Solidarité | | 31/05/2023
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Montreuil : prévenir l’insécurité alimentaire passe aussi par l’accès aux droits, défend Action contre la faim

Montreuil : prévenir l’insécurité alimentaire passe aussi par l’accès aux droits, défend Action contre la faim © CH

Durant quinze mois, les associations Action contre la faim (ACF) et l’Armée du salut ont mené à Montreuil un projet expérimental, “Passerelle”, à Montreuil, pour prévenir l’insécurité alimentaire autrement que par des distributions, en couplant un coup de pouce financier avec un accompagnement social.Les deux aossications en ont fait le bilan auprès du ministre des Solidarités venu présenter le nouvel appel à projets “Mieux manger pour tous”.

Aujourd’hui, je n’arrive pas à subvenir aux besoins de ma famille. J’ai des problèmes administratifs, financiers. Donc je dois demander de l’aide. Pourtant, j’ai peur d’être gênée, d’être rejetée, j’ai peur que ma dignité soit humiliée...”, souffle Ania (son prénom a été changé), en lisant un texte coécrit avec un groupe de bénéficiaires du projet “Passerelle”, avant de s’interrompre, prise d’émotion.

Comme Ania, 843 personnes, soit 200 ménages de Montreuil, ont bénéficié pendant quatre mois, d’une aide financière de 63 euros par mois et par personne, versée chaque quinzaine, sans distinction entre adulte et enfant.

Pour Hélène Quéau, directrice d’Action contre la Faim (ACF) pour la France, il était important que Jean-Christophe Combe entende le témoignage d’Ania. Le ministre des Solidarités, venu rencontrer jeudi 11 mai ACF et la fondation Armée du Salut à Montreuil pour le bilan du projet associatif Passerelle, a annoncé le lancement du volet local de l’appel à projets “Mieux manger pour tous”. Ce programme vise à améliorer l’accès des plus précaires à une alimentation de qualité, à protéger leur santé et à préserver l’environnement, avec plus de produits labellisés (fruits, de légumes, de légumineuses).

Au-delà de l’aide alimentaire : prévenir les causes

Pour les associations, assurer l’accès à l’alimentation va au-delà des actions d’aide alimentaire, même renouvelées, et nécessite de mettre en œuvre d’autres politiques sectorielles. Car les problèmes d’accès à une alimentation de qualité résultent d’un ensemble de problèmes sociaux. C’est dans ce contexte qu’ACF et l’Armée du Salut ont expérimenté un accompagnement conciliant aide financière et conseils à Montreuil.

Pendant la crise sanitaire, on a été frappé par les personnes qu’on croisait dans les distributions alimentaires, ces nouveaux précaires qui n’étaient pas forcément nouveaux, mais qui basculaient dans une situation beaucoup plus complexe“, rappelle Hélène Quéau.

Pour sa part, Emmanuel Ollivier, directeur de la fondation Armée du salut, souligne que l’intérêt de ce projet est de montrer que la question de la précarité alimentaire est très liée à la question de l’accès au droit commun et à l’accompagnement des personnes qui, à un moment, ont lâché prise sur leurs droits et passent entre les mailles du filet. On s’est rendu compte qu’avec certaines administrations, il y avait des difficultés dues par exemple à la fracture numérique et où à des problématiques d’accueil physique. Il fallait faire du passage de relais. Avec Passerelle, en quatre mois, on capte la personne“.

Un “coup de pouce” de 63 euros par mois

L’expérimentation Passerelle s’est déroulée entre janvier et septembre 2022 à Montreuil, où environ un quart de la population vit sous le seuil de pauvreté (selon l’Insee). Elle a ciblé des habitants de quatre quartiers prioritaires de la commune.

Les critères de sélection des bénéficiaires, élaborés avec les acteurs locaux les plus en contact avec ces publics en décrochage comme les centre sociaux ou les associations étaient multiples : habiter Montreuil, être en situation de logement, en situation administrative régulière, avec des difficultés aggravés avec la crise sanitaire (perte d’emploi) et éloignés des institutions.

Le montant de l’aide été calculé sur la base de 3,85 euros par personne par jour estimé comme la somme minimale pour couvrir les besoins alimentaires, auquel a été ajouté une petite marge de manœuvre pour d’autres coûts (transports par exemple), portant l’aide journalière à 4,5 euros. “Le postulat est de dire on est sur une aide coup de pouce conséquente mais pas sur aide qui revendique une couverture complète des besoins“, explique Hélène Quéau.

Pour l’attribuer, “Passerelle” a privilégié le transfert monétaire, largement utilisé par Action contre la faim à l’étranger. 95 ménages ont ainsi bénéficié de la carte Nickel. 99 ménages se sont vus attribuer la carte Cohésia, utilisable dans les commerces référencés Mastercard. Six ménages ont utilisé le chèque d’accompagnement personnalisé (faute de pouvoir présenter une pièce d’identité en cours de validité).

Si cette aide ne règle pas tous les problèmes, cette aide, couplée de l’accompagnement social, s’est distinguée par sa philosophie. “Avec ce projet nous avons pris le parti de valoriser le pouvoir d’agir des personnes“, résume Hélène Quéau.

Premier bilan

Les résultats que nous avons obtenus, nous poussent à creuser davantage, en particulier sur comment on peut encourager les gens à se tourner vers une alimentation saine et durable et sur l’offre alimentaire. Il n’y a pas une réponse magique, il faut adapter les réponses en fonction des territoires“, analyse Hélène Quéau qui espère désormais une réflexion sur la mise à l’échelle.

Sur les 843 personnes ciblées par “Passerelle”, 187 représentants de ménage ont accepté de participer aux enquêtes de suivi. La part des bénéficiaires déclarant consommer trois repas par jour a augmenté de 39% pendant le projet. Ils indiquent aussi avoir pu acheter davantage de fruits et légumes frais. Pour un tiers, ils affirment avoir diversifié leur alimentation. Autre enseignement notable : l’amélioration du plaisir procuré par certains produits, comme la viande. Si l’alimentation représentait le principal poste de dépense dans le cadre de l’aide, elle n’était pas exclusive.

Sur les modalités de l’aide, la possibilité de retirer des espèces (avec la carte Nickel) a été particulièrement appréciée, le recours aux espèces permettant d’assurer un meilleur suivi des dépenses et du budget.

Sur le plan de l’orientation sociale, 61% des personnes ont déclaré avoir une meilleure connaissance de leurs droits et 55% avoir été remises en confiance pour continuer les démarches.

Pour autant, relève l’étude de fin de projet, “les améliorations observées ne se stabilisent pas 2 mois après la fin de l’aide dans un contexte inflationniste” (pour la deuxième phase du projet de juin à septembre, la somme allouée a été revalorisée à 65 euros par jour par personne). Lors de sa réalisation, 71% déclaraient ne plus être en capacité de faire certaines dépenses essentielles depuis l’arrêt de l’aide.

Voir la synthèse de fin de projet

Après une micro-expérience encourageante : changer d’échelle

Couvrant 15 mois d’expérimentation, le projet Passerelle, qui a débuté en septembre 2021 par une phase préalable de cartographie, a couté 450 000 euros dont 250 000 euros financés par le plan France Relance et le reste via de grandes fondations et surtout une collecte de fonds.

Pour poursuivre l’expérimentation, les associations comptent candidater à l’appel à projets du volet local du programme “Mieux manger pour tous”, sur lequel est venu communiquer le ministre à Montreuil. Les crédits disponibles s’élèvent à 3,6 millions d’euros pour l’Ile-de-France et à 20 millions d’euros au niveau national. En trois ans, “les crédits de l’Etat à l’aide alimentaire, qui étaient de 56 millions en 2021 ont été multipliés par trois et atteindront cette année 156 millions d’euros », a pointé Jean-Christophe Combes.

Si la trajectoire du fonds annoncée va dans le bon sens, il faut rester attentif aux orientations de la stratégie nationale pour l’alimentation, la nutrition et le climat, aux moyens donnés aux plans alimentaires territoriaux, à la question des minimas sociaux…”, remarque Hélène Quéau qui salue l’intérêt porté à l’expérimentation du projet “Passerelle”. Dans le cadre de son plan alimentaire territorial, les services départementaux de la Seine-Saint-Denis, qui ont participé au projet, étudient par ailleurs les modalités de mise en place d’un système de transfert monétaire.

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