Ce vendredi 14 avril 2023, Jérémy Wasson aurait dû être diplômé de la prestigieuse École spéciale des travaux publics (ESTP). Ce jour de fête, il ne le connaîtra jamais. Le 28 mai 2020, le jeune étudiant ingénieur est décédé d’une chute mortelle sur le chantier du nouveau poste de commandement du RER E à Pantin, après seulement quelques jours de stage. Il avait 21 ans. Le fruit d’une négligence intolérable dans l’encadrement du stage par la société Urbaine de Travaux pour la famille, toujours aussi déterminée malgré les lenteurs du système judiciaire.
“Je n’arrive pas à me faire au rythme de la justice“, souffle Frédéric Wasson, le père de Jérémy, dans le hall du pôle social du tribunal judiciaire de Nanterre. Dans la salle n°11, les dossiers de contentieux avec la Sécurité sociale ou l’Assurance Maladie s’enchainent. Ce mardi 4 avril, les juges sont appelés à se prononcer sur les indemnités demandées à la société Urbaine des Travaux par la famille Wasson en réparation des préjudices moraux et économiques. Un volet civil en marge du procès pénal qui a déjà condamné l’entreprise en première instance, suite auquel l’employeur a fait appel.
Cette filiale du groupe Fayat, l’un des leaders du BTP en France, avait accueilli Jérémy Wasson, étudiant de l’École spéciale des travaux publics (ESTP) sur le chantier du centre de commandement unifié (CCU) des lignes SNCF de l’Est parisien, dont celle du RER Eole. Au quatrième jour de son stage de première année, le 28 mai 2020, l’élève ingénieur chute du toit-terrasse par une trémie. Il décédera 48 heures plus tard à l’hôpital de la Salpétrière.
“Il faut aussi taper au portefeuille parce qu’il n’y a que ça qu’ils entendent“
“Ce n’est pas une question d’argent“, lâche Frédéric Wasson au seuil de la salle du tribunal. “Rien ne nous rendra notre fils. Ce que l’on veut, c’est que cette entreprise prenne ses responsabilités, qu’elle soit lourdement condamnée. Ces accidents ne doivent plus se reproduire. Alors, oui, il faut aussi taper au portefeuille parce qu’il n’y a que ça qu’ils entendent.” C’est en substance le message qu’il aurait souhaité faire passer durant l’audience, mais son discours, qu’il avait soigneusement préparé, a été interrompu dans un climat lourde émotion.
Dans le volet pénal du procès opposant la famille Wasson à Urbaine des travaux, le tribunal correctionnel de Bobigny a rendu le 9 mars 2022 une décision condamnant fermement l’entreprise. Un jugement dont l’avocat de la défense, Me Patrice d’Herbomez, à fait appel, plaidant “une enquête de police bâclée” et l’absence “de détermination précise du point de chute” de Jérémy Wasson. Autant d’arguments visant à remettre en question la thèse d’une chute par une trémie de désenfumage retenue par le tribunal de Bobigny. Dans cette logique, il a demandé au juge du tribunal de Nanterre, d’attendre la décision de la cour d’appel de Paris pour statuer sur la demande d’indemnisation de la famille Wasson.
“Il n’y a aucune raison de surseoir à statuer“, pourfend Me Juliette Pappo qui défend les intérêts de la famille Wasson. “Les conditions de la faute inexcusable sont absolument démontrées. La société Urbaine des travaux avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposés ses salariés et elle aurait dû prendre les mesures nécessaires pour les en préserver“, insiste l’avocate. Et de pointer le non-respect du règlement sur la protection des trémies et tout particulièrement de la trémie de désenfumage d’où il est tombé, et l’absence de formation à la sécurité sur le chantier.
L’entreprise, marraine de promo de Jérémy
“On a l’impression que ce dossier ne les touche pas (…). Ce qui incroyable, c’est que cette société [ndlr, le groupe Fayat dont Urbaine des travaux est une filiale] est la marraine de la promotion de Jérémy Wasson, qu’elle accueille entre 50 et 70 jeunes élèves stagiaires chaque année, et il semble que rien n’a été fait pour que de tels drames ne se reproduisent plus.”
“On passe par des hauts et beaucoup de bas“
Pour la famille, la saga judiciaire est particulièrement éprouvante. “Il y a eu un premier report à Bobigny, puis la lourde condamnation d’Urbaine des Travaux, la procédure en appel pour laquelle on n’a pas de date, et maintenant cette audience au civil pour les indemnités. On passe par des hauts et beaucoup de bas. D’un point de vue émotionnel c’est insupportable. On n’arrive pas à faire le deuil. Mais on ne lâchera rien, on épuisera tous les recours“, promet Frédéric Wasson.
A ses côtés, Valérie Wasson, la mère de Jérémy, reste “choquée que l’ESTP continue d’envoyer ses élèves en stage sur les chantiers de l’Urbaine des travaux, comme si rien ne s’était passé.”
Pour sa part, l’ESTP affirme avoir tiré toutes les conséquences de ce drame. “Nous sommes encore profondément marqués par l’accident qui a provoqué la mort de Jérémy Wasson“, réagit Joël Cuny, le directeur général de l’école. “Nous avons mis en place un plan d’action pour renforcer la sensibilisation des étudiants sur la sécurité, qui est obligatoire avant de partir en stage de première année“, précise-t-il en ajoutant que “que l’école rendra un hommage en sa mémoire lors de la remise des diplômes de la promotion 2020-2023 dont il aurait dû faire partie.“
En attendant que justice leur soit rendue, Frédéric et Valérie Wasson ont décidé de rejoindre le Collectif de familles “Stop à la mort au travail” pour “dénoncer la négligence“.
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