À Nogent-sur-Marne, la librairie Nogent Presse du boulevard de Strasbourg, diffuseur de journaux historique de la ville, est connue des habitués par les messages affichés sur sa devanture, à l’occasion des rentrées littéraires par exemple. Des petits mots teintés d’humour qui font toujours sourire, sauf le dernier.
Ce jeudi 23 novembre, le page A4 glissée derrière la vitrine est un électrochoc. Le ton est grave, malgré les smileys et les boutades.
“La librairie est actuellement confrontée à une situation financière délicate due à une perte de chiffre d’affaires significative et à une disparition inquiétante et inexpliquée d’une partie de notre clientèle. (…) J’ai donc été dans l’obligation de prendre un second emploi. Je travaille actuellement à la boulangerie Thévenot (…)”, témoigne Karine Thieriot, la spécialiste de la partie librairie.
Changement d’habitudes après la crise sanitaire
Comment en est-on arrivé là ? Isabelle Serrier, qui a repris le fonds de commerce en 2007 après une carrière dans l’informatique, en embarquant dans l’aventure Karine Thieuriot, ancienne éducatrice spécialisée, pour la partie livres, résume la situation par une “crise post-covid”.
“Pendant la crise sanitaire, cela a très bien marché car nous sommes restés ouverts, comme magasin de presse. C’est début 2022, avec la guerre en Ukraine, les élections et l’inflation, que le chiffre d’affaires a brutalement diminué”, se souvient la gérante. Plusieurs facteurs se cumulent. “Le prix de la tonne de papier a grimpé de 400 à 900 euros et il y a eu moins de hors-séries. L’arrêt de bus a été déplacé un peu plus bas, changeant les habitudes des personnes âgées qui ne remontent plus vers chez nous, mais descendent plutôt au kiosque.” Le kiosque près du petit marché, la librairie l’avait repris il y a dix ans avant d’arrêter deux ans plus tard, faute de modèle économique viable pour ce type de point de vente.
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“Depuis la crise sanitaire aussi, les habitudes ont changé. Les gens partent plus en fin de semaine. Du reste, notre meilleur jour s’est déplacé du samedi au vendredi”, analyse Isabelle Serrier, entre deux clients qui viennent chercher le journal ou gratter un loto.
Des habitants attachés à leur librairie-presse de quartier
“Je viens de voir le petit mot. Faut que vous teniez le coup ! enjoint une habituée. On ne veut pas d’une énième agence immobilière ou d’un opticien !”
“Depuis que nous avons mis le mot, les gens reviennent, parfois des personnes que nous n’avions pas vues depuis longtemps. Cela fait vraiment plaisir ! On réalise que les habitants du quartier sont attachés à leur librairie.” En quelques jours, le commerce, qui était passé de 300 clients jours à près de la moitié en deux ans, a repris 40 visites supplémentaires, chiffre la libraire. Encourageant.
“Nous avons aussi eu un article dans le magazine municipal. Et puis, il y a eu l’effet Thévenot”, pointe Isabelle Serrier. Depuis septembre, Karine Thieuriot travaille dans cette boulangerie-pâtisserie. “Nous avons commencé par diminuer les stocks, début 2023. Mais cela ne suffisait pas.” Pour les habitués de Nogent Presse, qui fréquentent aussi la pâtisserie, retrouver leur libraire servant les baguettes a évidemment suscité des interrogations…
70 heures par semaine
Pour les deux libraires, la charge de travail est lourde. “Karine fait 35 heures à la boulangerie et 35 h à la librairie. Moi, je fais 70 h à la librairie.” Alors que la reprise s’amorce, pas question pour autant de se décourager et de baisser les bras. D’autant que le contexte réglementaire évolue aussi favorablement, avec, par exemple, depuis octobre, l’obligation pour les vendeurs en ligne de facturer 3 euros de frais de port pour les commandes de livres neufs dont le montant est inférieur à 35 euros. De quoi faire légèrement contrepoids à des plateformes comme Amazon. “Nous, on est des amazoniennes ! On est rapides. On peut passer commande chez nous ou par téléphone et les livres sont là en trois jours. Et en plus, on a une sélection de livres intéressante et on est de bon conseil pour les cadeaux de Noël !”
Cap sur les réseaux sociaux
Pour attaquer 2024, les libraires ont aussi une nouvelle résolution : investir les réseaux sociaux. Pour que les messages derrière la vitrine, qui réjouissent les passants dans la rue, délectent aussi les lecteurs sur la toile, et leur donnent envie de passer. Une nouvelle impulsion pour le plus ancien diffuseur de presse de la ville, ouvert en 1905 par la famille Agasse.
Bravo à elles. Soutien indéfectible.
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