Solidarité | | 27/01/2023
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Nuit de la solidarité à Alfortville : quand les habitants partent à la rencontre des sans-abris

Nuit de la solidarité à Alfortville : quand les habitants partent à la rencontre des sans-abris © FB

“Avez-vous un hébergement pour la nuit ?” Ce jeudi soir, quelques milliers de bénévoles ont sillonné la métropole parisienne pour recenser les sans-abris et leur profil, à l’occasion de la Nuit de la solidarité. À Alfortville, une quarantaine d’habitants ont prêté main forte. Reportage.

Ambiance studieuse dans la salle de convivialité du pôle culturel d’Alfortville ce jeudi soir. Le centre communal d’action sociale (CCAS) prépare cette nuit depuis trois mois. À 22 heures, dans une trentaine de villes de la métropole parisienne, des équipes de bénévoles vont passer au peigne fin les rues, les espaces verts et les quais pour recenser les sans-abris. En remplissant des questionnaires, les bénévoles enrichissent une base de donnée qui tente chaque année d’affiner la géographie et le profil des personnes qui vivent à la rue.

À Alfortville, les statisticiens ont découpé la commune en huit zones. François, 70 ans, retraité de l’armée et responsable de l’antenne locale des Petits Frères des Pauvres, fait partie des huit chefs d’équipe formés en amont de l’événement pour encadrer les autres bénévoles. Il a hérité du quartier des fleurs, une zone essentiellement pavillonnaire comprise entre les avenues Zola et Carnot. “Pour être efficace, je vous propose de nous diviser en deux binômes pour que nous passions dans les rues en zig-zag“, propose-t-il. Dans son équipe, trois habitants. On échange les numéros de téléphone, “au cas où”, avant de partir. “Je ne suis installé à Alfortville que depuis un an donc je ne connais pas encore très bien la ville”, explique Valérie, conseillère à Pôle emploi. Georges, cadre administratif municipal et Sophie, prof de yoga et sophrologue, habitent tous les deux le quartier et la rassure.

L’organisation du passage dans les rues du quartier des fleurs

Ultime entraînement avant le départ

“Ce n’est ni une maraude, ni une intervention sociale. Vous devez proposer le questionnaire à toutes les personnes croisées dans la rue en leur demandant si elles savent où dormir ce soir. Interroger tout le monde permet de dépasser les représentations des personnes sans abri. Peut importe leur tenue, leur apparence. Si la personne indique avoir une solution pour la nuit, ou dormir en squat ou chez quelqu’un, ne proposez pas le questionnaire, remerciez la personne et poursuivez”, briefe Laure Le Chevanton, directrice des solidarités de la municipalité, tout en distillant quelques conseil pour éviter de brusquer les personnes, couper court en cas d’agressivité, ne pas réveiller ceux qui dorment. “Nous vous invitons à la minutie, ce n’est pas anodin d’aller vérifier si quelqu’un se trouve dans sa voiture, sous une porte-cochère. Ne soyez pas frustrés non-plus si vous ne trouvez personne en situation de sans-abrisme. Zéro dans un quartier sera quand même un chiffre informatif, et une bonne nouvelle !”, ajoute Etienne Fillol, maire-adjoint chargé des solidarités.

Avant de partir, les quatre du quartier des fleurs s’entraînent à mener des entretiens. “Je pense que nous allons remplir les cases principales mais je ne pense pas que les gens nous consacreront beaucoup plus de temps”, estime Georges, qui s’étonne de compter une trentaine de questions. “Je trouve aussi que c’est un peu long cette litanie de question. Il faudra s’adapter en fonction du ressenti”, abonde Valérie, après un nouvel exercice en situation. “Il en faut un qui pose les questions, pour garder le contact visuel avec la personne interrogée, et un qui note”, suggère François. 22 heures, gilets jaunes siglés Nuit des Solidarités, sur le dos et papiers en main, les bénévoles se mettent en route.

Inspection des rues, y compris dans les véhicules au cas où quelqu’un s’y trouverait pour la nuit

Un livreur de repas vide son sac

En chemin, les bénévoles continuent de faire connaissance avant d’apercevoir plusieurs personnes attendant le bus 103, qui traverse Alfortville. “Qu’est-ce que l’on fait ? Il faut les interroger ?“, demande l’un d’eux. Trop tard. Le bus marque l’arrêt et embarque tous les piétons. Les premières rues pavillonnaires remontées ne donnent rien. “C’est un quartier dortoir, il n’y a plus un chat à cette heure-ci.”

Devant La Soundiata, un restaurant africain, le groupe aperçoit un livreur à vélo qui attend une commande. Ce sera le premier interrogé. “Au départ il nous a dit qu’il avait un ami pour le dépanner ce soir, mais plus la conversation durait, plus il voulait se confier sur sa situation. Il lui arrive parfois de dormir à la rue à Alfortville“, résume François. L’échange avec cet homme d’une trentaine d’années, sans situation professionnelle stable et sans logement depuis une séparation, a marqué les esprits. Déjà domicilié au CCAS, il a accepté que l’équipe note son nom et ses coordonnées sur un registre pour que les services municipaux l’aident.

Le long de l’avenue Zola, Sophie interroge une jeune femme. “Bonjour je suis Sophie, bénévole pour la Nuit des Solidarités. Avez-vous un endroit où passer la nuit ?” Incompréhension dans le regard de l’interlocutrice, puis tristesse teintée de colère. “Pourquoi vous me demandez ça ? C’est parce que je porte un pantalon de jogging ?” s’agace-t-elle avant de passer son chemin. De quoi susciter un petit malaise rapidement dissipé. “C’est fou de le prendre comme ça !” Ailleurs, les réactions des interrogés se font plus cocasses. “J’ai déjà donné pour les calendriers !”, “Vous êtes des gilets jaunes ?”. Avenue Dolet, une passante parle français avec un accent étranger. “Vous cherchez un endroit où dormir ? Moi ? Ah! Non, je rentre chez moi. Mais merci, c’est bien ce que vous faites”.

Après un peu plus d’une heure à traverser le quartier, les quatre bénévoles terminent par un parking peu éclairé où de nombreuses voitures stationnent. Là, un homme s’apprête à passer la nuit dans son véhicule de fonction. Valérie et Sophie s’approchent de la portière conducteur, ouverte. “Il nous a dit qu’il s’apprêtait à s’endormir. Alors nous l’avons laissé tranquille, mais nous lui avons laissé une couverture.”

L’équipe remplit un questionnaire a posteriori

Sur toutes les personnes rencontrées cette nuit dans le quartier, seuls le livreur et l’homme dans le parking sont en situation de sans-abrisme. “C’est trop. Honnêtement, je ne m’attendais pas à cela pour connaître un peu ce quartier. Je n’ose pas imaginer ce que cela donne à l’échelle de la ville !”, confie Georges.

Retour au quartier général

De retour à la salle de convivialité du pôle culturel, les équipes restituent les questionnaires qui sont contrôlés par des agents, dont Jérôme Mazet, médecin au centre médical de santé, présent en cas d’urgence médicale remontée par les équipes. Finalement, le formulaire rempli par le livreur de repas ne sera pas pris en compte. “Il vous a dit qu’il avait une solution de logement pour ce soir, il ne fallait pas aller plus loin. Mais ne vous inquiétez pas, nous ferons bien remonter l’information comme quoi il souhaite être aidé“, rassure l’une des agentes.

Le docteur Mazet contrôle les questionnaires remplis par l’équipe

Ce vendredi soir, la Croix-Rouge prendra le relais, comme chaque semaine, via une maraude en bonne et due forme cette fois, pour intervenir auprès des sans-abris signalés dans la ville.

Lire : Maraudes auprès des sans-abri : proposer sans imposer

Concernant le recensement de ce jeudi, les services municipaux doivent désormais consolider les résultats. Une séance pour débriefer la soirée sera organisée mercredi et les résultats pour la ville seront communiqués le 7 février. Une restitution globale du recensement sera ensuite organisée à l’hôtel de ville de Paris, avec la Métropole du Grand Paris et l’Apur.

L’opération, lancée en 2018 par la seule ville de Paris, a depuis été rejointe par la Métropole du Grand Paris et elle agrège un peu plus de villes chaque année. Elle commence aussi à se répliquer en région. Ce jeudi soir, une trentaine de communes franciliennes* ont participé, soit trois fois plus que l’an dernier. En 2022, 2 600 sans-abri avaient été recensés à Paris et près de 500 en banlieue.

*Les villes participantes : Paris ; Colombes ; Courbevoie ; Issy-les-Moulineaux ; Nanterre ; Neuilly-sur-Seine ; Rueil-Malmaison ; Sèvres ; Ville d’Avray ; Villeneuve-la-Garenne ; Aubervilliers ; Bagnolet ; Bobigny ; Bondy ; Drancy ; Gagny ; Les Lilas ; Noisy-le-Sec ; Pierrefitte-sur-Seine ; Romainville ; Rosny-sous-Bois ; Saint-Denis ; Saint-Ouen-sur-Seine ; Le Pré Saint Gervais ; Alfortville ; Charenton-le-Pont ; Le Kremlin Bicêtre ; Villejuif ; Vincennes.

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