Nourritures, boissons, décorations… Sous les rails du métro aérien de Stalingrad se trouvent d’anciens kiosques à journaux, transformés en commerces de proximité. Reportage.
“Je n’ai pas encore eu le temps de tout déballer !”, rigole Djamila, debout derrière le comptoir de Safida’s, son épiderie fine de produits africains. Il y a quelques semaines, “la plus Bordelaise des Béninoises vivant à Paris”, comme elle se définit elle-même, a posé ses cartons dans un des “kiosques éthiques” installé sous les rails du métro aérien, à la station Stalingrad (XIXᵉ arrondissement). Sur ses rayons, de la confiture de bissap, de la farine de baobab, ou encore djees haricots de cornet, “une super alternative à la viande”. Après un passage dans la finance, la quarantenaire a lancé son activité en ligne il y a deux ans avant d’ouvrir sa première boutique physique. “J’ai deux types de clients : ceux qui découvrent les produits, et ceux qui les connaissent déjà”, explique-t-elle. L’avantage de la vente en présentiel : pas de frais de livraison (de 6€) pour les clients.
Heureuse de disposer de son propre magasin, Djamila appréhende aussi un peu. “Ça fait un peu peur. Pendant 15 ans, j’étais en back-office. Maintenant, je dois créer du relationnel !”, sourit-elle en balayant ses longues tresses. À terme, elle aimerait organiser des ateliers de cuisine pour apprendre à utiliser ses produits, et, pourquoi pas, ouvrir un restaurant un jour.
Loyer avantageux
Il y a trois acteurs à l’initiative de ce projet. L’association Les Canaux, créée en 2017 pour l’Économie Sociale et Solidaire (ESS), la mairie de Paris, et Mediakiosk, entité de JC Decaux qui gère les kiosques à journaux. Alors que la vente de journaux imprimés est à la peine, trois anciens kiosques sont mis à disposition. Ils sont ouverts aux entrepreneurs locaux promouvant les emplois en insertion et la consommation responsable. À ce stade, ils sont 29 à avoir pu en profiter, comme Djamila. Si l’initiative semble porter ses fruits, la mairie n’a pour le moment pas prévu d’étendre l’opération à d’autres kiosques.
Le principe est simple : sept jours sur sept, deux commerçants se partagent un kiosque, ouvert de 11h à 19h. Cette mutualisation permet de partager les coûts et les profits. “Un commerçant peut très bien vendre les produits de l’autre en son absence”, souligne Kelly Campet, chargée de mission aux Canaux. Les commerçants s’acquittent d’un loyer de 300€ par trimestre, en plus des charges d’eau et d’électricité. La redevance due à l’exploitation d’un espace publicitaire s’élève à 500€ la première année. Les revenus issus des publicités disposées sur les côtés des kiosques continuent à revenir à Médiakiosque. Les commerçants qui souhaitant participer doivent intégrer un Groupement d’Intérêt Économique (GIE). Il s’agit d’une forme juridique officialisant la coopération de l’ensemble des entrepreneurs. Ce sont ces derniers qui se réunissent pour décider d’intégrer de nouvelles boutiques dans les kiosques.
Un tremplin pour les projets
Parmi les premiers participants, Abdoulaye et sa sœur Codou, fondateurs de Boolofood, présents sous le métro depuis 2019. Dans leur échoppe, des mafés, thiebs, yassas et toutes sortes de plats et boissons d’Afrique de l’Ouest. Natif du quartier avant de partir hors de Paris, Abdoulaye a réappris à connaître les lieux. Avec la pandémie de Covid, l’aventure n’aura pas été de tout repos.
Avec le temps, le frère et la sœur ont réussi à se constituer une clientèle d’habitués. “Il y a surtout des gens qui travaillent autour, des employés de la RATP, des personnes du coin”, détaille Abdoulaye. Parmi eux, Laura, habitante dans le quartier depuis trois ans. “J’avais faim, je suis passée devant chez Abdou, on a discuté et puis il m’a fait un prix… alors, je suis revenue ! Une fois, je cherchais un contact pour acheter des tissus africains, il m’a aidée, et de là, le lien s’est créé. Maintenant, à chaque fois que je passe et qu’il est libre, on discute”, détaille cette formatrice de quarante ans. Malgré des hauts et des bas, le commerce a tenu bon, et même mieux… À quelques encablures du kiosque, Abdoulaye et Codou ont ouvert un véritable restaurant rue de Joinville (XIXᵉ arrondissement). “Le kiosque, c’était pour se lancer. Maintenant, il faut laisser la place à d’autres…”
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