Plus de 100 000 personnes étaient au rendez-vous ce dimanche 12 novembre 2023 à Paris, pour manifester contre l’antisémitisme, des citoyens élus ou non aux représentants de culte en passant par les anciens présidents de la République.
“Pour la République, contre l’antisémitisme” : derrière ce mot d’ordre, la tête du cortège s’est élancée depuis le parvis de l’Assemblée nationale avant de s’arrêter à plusieurs reprises pour entonner la Marseillaise. Peu de pancartes ou de banderoles ce dimanche, mais beaucoup de drapeaux tricolores.
182 000 manifestants en France
L’esplanade des Invalides, point de départ de la marche, est restée longtemps emplie d’une foule compacte, témoignant d’une très forte affluence. Les manifestants étaient précisément 105 000 à Paris, selon la police, mais aussi 7 500 à Marseille ou encore 3 000 à Lyon et Strasbourg. Au total, le ministère de l’Intérieur a totalisé en fin de journée 182 000 participants, dont la capitale, dans plus de 70 villes.
“Je ne pensais pas devoir manifester un jour contre l’antisémitisme”, confie Johanna, 46 ans, secrétaire médicale en Seine-Saint-Denis, venue pour la seule raison qu’on ne doit pas “avoir peur d’être juif”. Comme beaucoup, elle a préféré ne donner que son prénom.
Un carré de personnalités politiques a pris la tête du cortège, au premier rang desquelles les deux chefs du Parlement, Yaël Braun-Pivet et Gérard Larcher, à l’initiative de cette marche, ainsi que la Première ministre Elisabeth Borne, les ex-présidents Nicolas Sarkozy et François Hollande, et le président du Crif Yonathan Arfi.
“On est heureux et rassurés que les Français aient répondu présents”, pose Yaël Braun-Pivet. “Notre ordre du jour, c’est la République”, résume Gérard Larcher, prônant un “sursaut citoyen” face à l’explosion du nombre d’actes hostiles aux juifs depuis les massacres du Hamas en Israël le 7 octobre et la riposte militaire massive qui a suivi.
La France compte la communauté juive la plus nombreuse d’Europe, avec environ 500 000 personnes, qui vivent côte-à-côte avec des millions de musulmans. L’augmentation des actes antisémites est un des signes d’une importation redoutée du conflit.
“Tout le monde devrait se sentir concerné”
“Je suis juif et j’ai pas envie de me cacher pour pouvoir vivre tranquillement”, témoigne Lucas, 17 ans, lycéen en banlieue parisienne.
C’est une cause pour laquelle “tout le monde devrait se sentir concerné”, estime le grand rabbin de France Haïm Korsia, regrettant que le sujet ait tourné au pugilat politique, “une honte”.
Tensions politiques
“Les postures n’ont pas leur place” dans cette manifestation, avait mis en garde Elisabeth Borne dimanche matin, ciblant à la fois La France insoumise dont “l’absence parle d’elle-même”, et le Rassemblement national dont “la présence ne trompe personne”.
“Nous sommes exactement là où nous devons être”, a rétorqué Marine Le Pen quelques heures plus tard depuis les Invalides, fustigeant la “petite politique politicienne” de ses détracteurs qui soulignent depuis plusieurs jours le passé antisémite de son parti. La patronne du RN a reçu le soutien inattendu d’Edouard Philippe, l’ancien Premier ministre d’Emmanuel Macron qui, tout en combattant le RN, ne fait “pas le tri des bonnes volontés qui veulent lutter contre l’antisémitisme”. “On est en train de faire passer le RN pour un parti anti-juif à cause des mots maladroits” de son fondateur Jean-Marie Le Pen, déplore Christine, retraitée de 71 ans, membre du parti.
La présence du RN a toutefois suscité des tensions dans le défilé. Un groupe de militants juifs de gauche a ainsi brièvement essayé de s’opposer à sa participation au début de la manifestation.
Les partis de gauche Europe Ecologie-Les Verts, PS et PCF ont pur leur part choisi de s’afficher derrière une banderole commune “contre l’antisémitisme et tous les fauteurs de haine et de racisme” dans une démarche de “cordon républicain” face à l’extrême droite, qui a défilé en queue de cortège. “On ne peut pas nier qu’on connaît des voisins juifs qui ont peur”, motive Nathalie, 53 ans, parisienne, lectrice documentaliste et électrice de gauche.
Pas de président de la République
Si ses prédécesseurs et sa Première ministre étaient en première ligne, Emmanuel Macron, lui, n’a pas pris part au défilé mais a déploré “l’insupportable résurgence d’un antisémitisme débridé”, dans le journal Le Parisien, appelant à l’unité du pays derrière “son universalisme”.
Une partie des députés LFI à Strasbourg
À gauche, la France insoumise n’était pas à Paris non plus, en raison de la présence du RN. Plusieurs élus LFI, comme Clémentine Autain, Raquel Garrido, François Ruffin ou encore Alexis Corbière, étaient en revanche à Strasbourg.
“On est là pour dire non” à l’antisémitisme”, indique le député de la Somme François Ruffin, justifiant le choix de marcher à Strasbourg par un appel de la Licra (Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme) du département à se rassembler contre l’antisémitisme et soulignant que “les forces d’extrême droite n’y étaient pas les bienvenues, donc ça nous a paru être le meilleur endroit pour manifester”. L’élu LFI demande à être dans un “moment de dignité, de gravité”, appelant à laisser de côté “au moins pendant 24 heures, toutes les polémiques”.
“Il faut manifester aujourd’hui, (…) l’unité nationale va être présente dans différents endroits” de France, s’est aussi exprimé Alexis Corbière. “Il y a de l’antisémitisme aujourd’hui. (…) Il faut dire non”, sans “ambiguïté“. Selon le député insoumis de Seine-Saint-Denis, qui a manifesté samedi pour le cessez-le-feu à Gaza, “rien ne s’oppose”.
Clémentine Autain a souhaité “pouvoir exprimer (sa) solidarité, (son) empathie”, disant que l’exprimer à Strasbourg et non à Paris permet de “résoudre l’équation qui est difficile”, avec un appel clair à Strasbourg. “Les initiateurs parisiens auraient dû avoir un discours de concorde”, selon la députée de Seine-Saint-Denis. “Imaginer que l’on puisse manifester contre l’antisémitisme avec des gens qui sont encore aujourd’hui porteurs du rejet de l’autre” n’était pas possible, a insisté la députée de Seine-Saint-Denis.
À Paris, le dépôt de gerbe organisé par les Insoumis près de l’emplacement de l’ancien Vel d’Hiv a été perturbé par un groupe de contre-manifestants arborant des pancartes “Touche pas à la mémoire”, aux cris de “collabos”. L’œuvre d‘”une dizaine d’excités”, a réagi la cheffe des députés LFI, Mathilde Panot. Un rassemblement plus important prévu par LFI avait été interdit par la Préfecture de police de Paris, mais le dépôt de fleurs avait été autorisé.
De leur côté, les responsables musulmans étaient divisés, plusieurs organisations ayant déploré que l’appel à manifester ne comporte “pas un mot sur l’islamophobie” et estimant qu’il y a des “amalgames” entre islam et antisémitisme.
Appel œcuménique dans le Val-de-Marne
Dans le Val-de-Marne, les trois représentants des cultes catholique, juif et musulman, ont signé ensemble un communiqué à l’occasion de l’anniversaire de l’armistice du 11 novembre 1918, souhaitant en profiter pour “réaffirmer le message d’unité et de fraternité” qu’ils avaient déjà prononcé ensemble en 2015.
“Nous redisons de toutes nos forces notre volonté de favoriser la tolérance et la connaissance de l’autre et voulons manifester notre espérance pour la paix entre tous les peuples. Celle-ci ne peut se tisser patiemment qu’au long des gestes authentiques de fraternité entre tous. Nous invitons les membres de nos communautés à ne jamais se détourner de l’amour envers son prochain (…). Nous savons combien l’actualité internationale a des répercussions en chacun de nous mais nous voulons redire avec insistance notre rejet fondamental de l’antisémitisme et de la xénophobie, quelle qu’en soit son origine. Tout homme, toute femme, est digne de respect en raison même de son humanité”, appellent Dominique Blanchet, évêque de Créteil, Karim Benaïssa, président du Rassemblement des associations musulmanes du Val-de-Marne et Elie Mimran, rabbin de Créteil.
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