Alors que Paris veut mettre le marché aux puces dans une halle marchande dans le cadre du réaménagement de la place de la porte de Montreuil, les puciers estiment que cela reviendrait à “tuer un lieu de vie populaire“. Les riverains s’impatientent. Les élus tentent de trouver un compromis. Reportage.
“On utilisera tous les recours possibles“, clame Djamel Zidani, le président du syndicat du marché aux puces de Montreuil. “Nous on a rien contre le réaménagement de la porte de Montreuil, mais on veut que le marché aux puces y trouve sa place.”
Depuis l’annonce du projet de réaménagement de la place de la porte de Montreuil, les puciers ont engagé un véritable bras de fer avec la ville de Paris et le maire du 20ème arrdt, Eric Pliez. Le projet porté par Nexity, lauréat en 2019 du concours d’architecte Reinventing cities, prévoit la création d’une halle marchande sur le parking où s’installe le marché aux puces chaque samedi, dimanche et lundi.
“Ils veulent nous mettre dans une galerie sur deux étages, avec 114 places au premier. On aurait deux ascenseurs pour déballer! C’est impensable. En plus, dans leur projet il y moins de places que de marchands puisqu’au total il y en aurait 324, dont 80 en extérieur que la mairie a proposé de créé lors de la dernière rencontre. Mais que deviendront les autres?“, interroge Djamel Zidani. “La vérité c’est qu’ils veulent se débarrasser de ce marché. Ça a commencé depuis 2007 puisqu’il n’y a plus eu de renouvellement des places. On était alors 750. Aujourd’hui, on est 400. Il y a 180 places de libres. C’est pour ça qu’on veut faire venir les biffins“, explique-t-il.
“Greenwashing” et “gentrification“
Dans les allées du marché, le président du syndicat est unanimement encouragé. “Il défend le marché. Avec le projet de la mairie, on ouvrirait cinq à six jours par semaine dans un marché fermé… Autant dire que ce ne sera plus les puces“, peste Jimmy, marchand depuis 52 ans à Montreuil où il vend des vêtements pour enfants. “Les gens viennent ici parce que les produits sont abordables, il y a de tout et surtout il y a une ambiance. On discute, on mange… C’est populaire.”
Ce lundi matin, Djamel Zidani était accompagné par des militants des Amis de la Terre, fédération de protection de l’environnement qui organisait une “promenade urbaine“. “On s’est aussi mobilisé pour d’autres projets autour du périphérique comme celui de la porte Maillot. Mais ici, le contexte est différent et assez représentatif des contradictions entre le discours écologique et la promotion immobilière, avec des enjeux sociaux de gentrification qui sont forts“, explique Mathilde. “La mairie de Paris vante un projet écologique, mais elle construit 60 000 mètres carrés de bureaux, alors qu’il y a en 4 millions de mètres carrés vacants dans la capitale. Il fragilise aussi le patrimoine végétal existant avec l’abattage prévu de 250 arbres, dont 76 ont déjà été supprimés il y a un an. La dalle de béton qui doit recouvrir la place pose aussi problème en concentrant les gaz polluants en entrée et sortie de tunnel, comme le montre l’étude d’impact du projet Ville multistrate”, détaille-t-elle, fustigeant une opération de “greenwashing“.
“Ce projet est une aberration écologique. On va couper des arbres en prétendant que la végétalisation de la dalle va compenser ces pertes. Mais ça va coûter très cher d’arroser ces bacs à fleurs. Tout le monde est d’accord pour transformer cette place mais c’est pas des bureaux qu’il faut, ce sont des arbres plantés en pleine terre, des allées piétonnes et des pistes cyclables“, tonne Pascal, vendeur de DVD et fondateur du collectif Sauvons les puces de Montreuil, qui propose de classer le marché au patrimoine immatériel de l’Unesco.
“Ils ont beau jeu de dire ça, mais les puciers n’habitent pas là“, estime Marion Lefebvre, riveraine de la place et membre du collectif Porte de Montreuil qui milite pour un lancement des travaux le plus vite possible. “Cette place est laissée à l’abandon depuis plus de dix ans, ce n’est pas eux qui doivent la traverser tous les jours. Allez voir si c’est propre après le marché, allez voir le soir si vous vous sentez en sécurité“, fustige-t-elle.
De son côté Jérôme Gleise, élu EELV du 20ème arrdt au conseil de Paris, dit comprendre l’impatience de ces habitants qui se font attendre ces dernières semaines pour lancer le projet. “Mais sont-ils représentatifs de tous les habitants riverains de la place? Ou des propriétaires récemment arrivés? Nous, on ne veut pas de la gentrification”, insiste l’élu. On a proposé un contre-projet dans lequel il faut réfléchir à tous les usages. La question des puciers n’est pas tranchée aujourd’hui“, soutient-il.
80 places supplémentaires à l’extérieur
Représentants des marchands des puces et élus du 20ème arrdt doivent se réunir à nouveau dans une dizaine de jours pour discuter de la proposition de créer 80 places supplémentaires à l’extérieur de la futur halle, annoncée par Eric Pliez le 7 avril. A l’issue d’un dernier atelier de négociations, le maire du 20ème arrdt avait alors affirmé que la Semapa (Société d’étude, de maîtrise d’ouvrage et d’aménagement parisienne) allait déposer “dans les meilleurs délais” le permis d’aménager. “Il est temps que ce projet soit engagé. Les habitants ne peuvent plus vivre dans cet environnement pollué et accidentogène“, avait-il justifié.
Une fois le permis déposé, les puciers devront déménager sur un emplacement provisoire. “Les puciers ont tout à gagner puisqu’ils bénéficieront d’une halle plus attractive“, précise l’édile pour qui il n’est pas question de remettre en cause l’esprit populaire du lieu.
“Il est hors de question qu’on bouge d’ici tant que le projet définitif n’aura pas été réglé“, assure de son côté Djamel Zidani. De toute façon, pour lancer le projet, “il faudrait maintenant modifier le PLU [ndlr, plan local d’urbanisme] sur lequel écologistes, socialistes et communistes ont eu du mal à se mettre d‘accord!”
“Le réaménagement de la porte de Montreuil sera évoqué dans le futur PLU bioclimatique [qui doit être voté en juin]. Mais il ne s’appliquera pas à ce projet“, corrige néanmoins Jacques Baudrier, élu PCF du 20ème arrdt au conseil de Paris. “J’ai proposé de nouvelles négociations pour essayer d’arriver à un consensus avec les écologistes. On a fait des propositions importantes comme renoncer à l’immeuble-pont et à deux autres lots de bâti, créer 80 places supplémentaires pour les puciers et de créer un centre de santé“, rappelle-t-il.
Le projet porté par Nexity avait été adopté à l’unanimité du conseil de Paris en décembre 2019, à l’exception de Danielle Simonnet (LFI). En février dernier, les écologistes ont présenté une contre-proposition.
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