753 logements neufs, 360 réhabilitations, 388 démolitions… Le quartier Emile Dubois est l’un des premiers d’Aubervilliers à entrer dans la phase active du programme de renouvellement urbain. Alors que seulement un tiers des logements sociaux actuels seront reconstruits, certains habitants s’inquiètent. D’autres pressent le mouvement.
À la lisière de Pantin et de La Courneuve, le quartier Emile Dubois s’apprête à une mue d’ampleur les dix prochaines années, dans le cadre du programme de renouvellement urbain qui démarre tout juste.
Avec La Maladrerie, Villette-Quatre Chemins et Villette-République, Emile Dubois est un des quatre quartiers d’Aubervilliers qui bénficiera du financement de l’Agence nationale de la rénovation urbaine (Anru). Pour lui seul, le coût total du projet s’élève à 100 millions d’euros, dont 44 millions d’euros financés par l’Anru.
388 démolitions
Au programme : moins de logements et plus de vert. “Nos ambitions : la garantie d’une offre de logements neufs et requalifiés et la poursuite de la résorption de l’habitat indigne, le verdissement et la végétalisation de nouveaux espaces, la revalorisation du patrimoine architectural et l’amélioration de l’offre d’équipements et des espaces publics. On a le droit d’avoir du beau à Aubervilliers et ça on y tient“, résume Karine Franclet, la maire (UDI) de la commune, lors d’une réunion avec les habitants ce jeudi 12 octobre, en présence des responsables opérationnels du projet, à la mairie, à l’office public de l’habitat et l’intercommunalité Plaine Commune. “Je vois dans ce projet une victoire pour votre quotidien“, poursuit celle qui a fait tomber ce bastion du PCF lors élections municipales de 2020. “Nous savons que la bonne réalisation du projet de renouvellement passera fondamentalement par la réussite du processus de relogement qui doit permettre à tous les habitants qui le souhaitent de rester sur le territoire d’Aubervilliers“, ajoute l’édile.
En tête des préoccupations des habitants figurent, en effet, les démolitions de logements, au nombre de 388, et donc le processus de relogement qui va les accompagner. Trois phases sont prévues : la première centrée sur l’allée Charles Grosperrin est déjà en cours. La deuxième, prévue en 2024-2025, portera sur l’allée Georges Leblanc et une section de la barre de l’allée Gabriel Rabot. Celle-ci sera complètement démolie lors d’une troisième phase qui doit démarrer après 2025, et qui concernera aussi l’allée Pierre Prual.
Pour donner un coup de jeune à ce quartier construit dans les années 1950, le programme de renouvellement urbain prévoit la construction de 753 logements neufs. Problème : sur les logements reconstruits, un peu plus de 55% seront en accession libre à la propriété. Au final, “on ne reconstruit que 32 logements sociaux sur un total 753 logements“, dénombre Marc Ruer, président de la Confédération national du logement (CNL) à Aubervilliers, qui pointe le nombre élevé de démolitions “dans une période où l’on est en pénurie de logements sociaux“.
“Qu’est ce que ça veut dire améliorer le quartier ? On parle du bâti ou de la population ?“
“Dans le règlement de l’Anru, pour tout logement démoli, il faut en reconstruire un. 32 logements sociaux seront reconstitués sur le site à Emile Dubois-Maladrerie, mais à l’échelle de la ville et de Plaine Commune, on aura tous les autres. L’idée, avec les projets Anru, c’est d’apporter de la mixité sociale et d’avoir une mixité de l’offre sur l’habitat“, rappelle Samia Aït-Amer, responsable du nouveau programme national de rénovation urbaine (NPNRU) à l’OPH d’Aubervilliers.
“Moi, mon quartier, il me plait, c’est le plus vert de tout Aubervilliers. Qu’est ce que ça veut dire améliorer le quartier ? On parle du bâti ou de la population ? Sur le quartier, on va détruire 38% des logements sociaux. On va reconstruire 47% de logements en plus. Donc, cette amélioration passe par la densification et par du logement privé. C’est pour ça qu’on va résidentialiser [ndlr, sécuriser les pieds d’immeubles] le reste pour que ça ne fasse pas désordre“, assène, pour sa part, Antoine Wohlgroth, chargé de mission de la CNL à Aubervilliers, qui habite le quartier depuis plus de 35 ans. Pour lui tout, l’enjeu est donc bien de savoir si tous ceux qui le souhaitent pourront être relogés dans le quartier.
“Une phase de relogement dure 18 mois en moyenne“
Si certains habitants sont inquiets à l’idée de déménager, d’autres s’impatientent de la lenteur du processus. “Je voudrais savoir pourquoi la Mous (Ndlr, Maîtrise d’œuvre urbaine et sociale) a pris du retard ? En juillet, on nous avait dit qu’on pouvait se préparer pour partir. La situation est de pire en pire. Dans mon immeuble, on n’arrive plus à dormir à cause des sous-locations. Il y a trois semaines, il y a eu un feu. Seuls les pompiers sont venus. On a dû aller aux urgences“, se plaint une jeune femme de l’allée Charles Grosperrin.
“Le processus commence à s’enclencher“, réagit Samia Aït-Amer. “Ce n’est pas simple parce que c’est le démarrage de la Mous. Une phase de relogement dure en moyenne 18 mois“, ajoutant que l’Office a fait de la sécurisation des logements qui se libèrent une “priorité”. En attendant, l’office va proposer à des associations ou des artistes d’occuper temporairement les logements laissés vacants.
“Les logements proposés sont encore plus pourris que les logements que l’on quitte. On a le droit à trois propositions, après c’est l’expulsion“, affirme, de son côté, Fatouma Camara, qui habite également allée Grosperrin. En tant que représentante des locataires à l’OPH et membre de l’association Alliance citoyenne, elle demande par ailleurs des clarifications sur une augmentation de 3,5% des loyers à partir du 1er janvier 2024. Divisé sur le sujet, le conseil d’administration de l’OPH qui devait voter cette mesure le 10 octobre a été reporté. En 2023, une hausse équivalente avait déjà suscité la grogne des locataires. Dans ces conditions, interroge Fatouma Camara, “est-ce que les habitants actuels vont pouvoir rester à long terme sur Aubervilliers? Je ne le pense pas“.
“Il n’a jamais été dit qu’il y aurait une augmentation de 3,5% tous les ans. On aura ce débat le 31 octobre [ndlr, date de la nouvelle réunion du conseil d’administration], rectifie Jean-Baptiste Paturet, le directeur de l’OPH.
“On densifie parce que la ligne 15 arrive“
Parallèlement aux démolitions, 360 logements seront réhabilités à partir de 2025. Des travaux de réfection portant essentiellement sur la sécurité des appartements (électricité, plomberie), mais dont l’étendue est encore soumise à la concertation avec les locataires.
Cette opération sera suivie d’une résidentialisation d’une partie des immeubles du quartier, prévue en deux temps (en 2026 et en 2028) et menée en lien avec la reconfiguration de l’espace public. En dehors de la création de nouveaux parcs et de placettes, deux groupes scolaires de 24 classes chacun (maternelle/élémentaire) viendront “palier l’offre vieillissante actuelle et permettre d’accueillir de nouveaux habitants“. Une crèche de 60 berceaux sera également créée. Une fois livrés, les équipements actuels (les écoles maternelles Angela Davis et Jean Perrin ainsi que les écoles élémentaires Juliot-Curie et Langevin), considérés vétustes et inadaptés, seront démolis.
“Est-ce que sera suffisant ? Les gens qui vont venir seront essentiellement des jeunes parents qui n’arrivent plus à se loger à Paris. Il y aura donc beaucoup plus de jeunes enfants“, s’inquiète encore Sarah. “On densifie parce que la ligne 15 arrive“, analyse, de son côté, Antoine Wohlgroth. Une habitante de la Maladrerie estime que “si 7 000 habitants supplémentaires s’installent entre le Fort d’Aubervilliers et Emile Dubois, il faudrait 7 hectares d’espaces de pleine terre en raisonnant sur le ratio de 10 mètres carrés d’espace vert par habitants [ndlr, préconisés par l’Organisation mondiale de la santé]. Chose qu’on n’aura pas. Donc, on sait déjà que ce sera invivable dans les années à venir !”
Contraintes financières
La transformation du quartier Emile Dubois démarrera avec la destruction de la rotonde commerciale dès 2024. Pharmacie, tabac, supérette… Les commerces seront installés dans des coques provisoires le temps des travaux. “Pourquoi commencer par ça en premier, alors que les premières démolitions pour les habitants n’auront pas commencé? C’est un service de proximité indispensable“, interroge Massinissa Hocine, élu d’opposition et président de l’union des entrepreneurs locaux (Udel) qui s’inquiète aussi du risque d’explosion des loyers commerciaux.
“La démolition de la rotonde était prévue dans l’Anru, mais on s’est battu pour obtenir qu’elle soit exclue du cadre des opérations de renouvellement urbain afin de la vendre à un prix juste pour financer la réhabilitation des logements de tous les locataires“, explique Samia Aït-Amer. “On vend au plus tôt parce qu’on a besoin de cet argent pour le réinjecter dans les réhabilitations.“
L’OPH, qui a signé en 2017 un protocole avec la Caisse de garantie du logement locatif social (CGLLS) pour son redressement financier, doit, en effet, assumer la part d’investissement la plus lourde. La première version du projet porté par la ville avait d’ailleurs été retoquée par l’Anru car jugée irréaliste financièrement. Au total, l’agence de rénovation urbaine a finalement accordé à Aubervilliers 177,5 millions d’euros de financement dans le cadre du NPNRU, dont une rallonge de 35 millions d’euros ajoutée en mai dernier, au titre de la clause de revoyure.
La concertation se poursuit
Après cette deuxième réunion publiques, la concertation se poursuit avec de nouvelles étapes pour la maison des projets mobiles :
3 novembre de 15h30 à 19h00 devant la rotonde commerciale.
23 novembre de 15h30 à 19h00 devant le groupe scolaire Curie Langevin Perrin.
Une réunion publique se tiendra par ailleurs le 21 novembre sur le renouvellement urbain dans le quartier de La Maladrerie.
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