Histoire | | 30/05/2023
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Résistants, collabos, couloir de la mort… un musée abritera la mémoire de la prison de Fresnes

Résistants, collabos, couloir de la mort… un musée abritera la mémoire de la prison de Fresnes © C215

Alors que la prison de Fresnes va fêter ses 125 ans d’existence, et attend toujours les gros travaux de réhabilitation prescrits par la justice, sa dimension mémorielle et historique s’impose peu à peu. Un musée y ouvrira prochainement.

Ce jeudi, Christian Guémy, alias C215, est retourné poser ses pochoirs à la prison de Fresnes. Dans les cours de promenade, fraîchement refaites, l’artiste de Vitry-sur-Seine a peint les portraits de René Parodi (1904-1942) et de Pierre Henri-Teitgen (1908-1997), deux membres éminents de la résistance, arrêtés et incarcérés à Fresnes. Chacun y a subi la torture. Le premier en est mort, retrouvé pendu dans sa cellule, vraisemblablement exécuté selon les historiens. Le second, déporté en Allemagne, a réussi à s’échapper et deviendra ministre dans plusieurs gouvernements après la guerre. C 215 a également croqué Jean Cavaillès (photo de une), cofondateur du mouvement Libération, qui sera exécuté à Arras en 1944.

Des grands résistants…

Au moment de la guerre, Fresnes occupe une place à part au sein de l’Administration pénitentiaire : c’est la plus grande, la plus moderne, la plus prestigieuse des grandes prisons françaises“, rappelle Patrice Périllat-Mercerot, historien, sur le Musée de la résistance en ligne. “Pendant l’Occupation, l’établissement prend une dimension nouvelle, hautement symbolique, avec la présence dans ses murs de grandes figures de la Résistance : le lieutenant de vaisseau d’Estienne d’Orves, le général Delestraint, Edmond Michelet, Pierre Brossolette, Missak Manouchian, Geneviève Anthonioz-de Gaulle… et bien d’autres encore, connus ou inconnus, communistes ou gaullistes… Pour tous ces détenus, Fresnes n’est qu’une étape, ils doivent y séjourner quelques mois seulement, le temps de l’instruction de leur affaire, puis la plupart partiront en Allemagne (Buchenwald, Ravensbrück…) ou seront conduits devant un peloton d’exécution au Mont-Valérien.”

Une page pourtant peu traitée. “La prison de Fresnes était un lieu central de la répression des résistants et des opposants politiques dans le département de la Seine (ndlr, département qui englobait Paris et la petite couronne) sous l’occupation. Or, le seul ouvrage qui traite de l’histoire du centre pénitentiaire ne consacre qu’une dizaine de pages à cet épisode qui devrait faire l’objet d’un travail plus profond“, regrette Loïc Damiani, historien, fils de déporté résistant et adjoint au maire de Fontenay-sous-Bois. La page Wikipedia dédiée à l’établissement fait aussi écho aux propos de l’historien. Sur la page dédiée à l’établissement sur l’encyclopédie en ligne, le paragraphe consacré à “l’affaire Kohlantess” est deux fois plus long que celui consacré aux résistants qui y furent incarcérés.

Aujourd’hui, ce sont des bénévoles qui effectuent un travail de fourmi pour identifier les détenus résistants et documenter leur vie au sein de l’établissement, d’abord administré par les autorités française puis par l’occupant allemand. “La plupart des fusillés du Mont Valérien sont passés par Fresnes. 8 300 déportés ont transité par ici. Il y avait des tribunaux pour juger les détenus mais c’était aussi un lieu de répression extrajudiciaire avec des violences, tortures et des exécutions“, reprend Loïc Damiani.

… aux collabos

À partir de la libération, en août 1944, la maison d’arrêt se peuple de collaborateurs. Y défileront le journaliste de Radio Paris Jean Hérold-Paquis, le ministre pétainiste Adrien Marquet, l’ex-président du conseil Pierre Laval, exécuté sur place en octobre 1945, le chef de la milice Joseph Darnand, l’écrivain Robert Brasillach, qui y écrira les Poèmes de Fresnes, l’industriel Louis Renault, l’amiral Georges Robert…

Le couloir de la mort

À l’occasion d’une visite l’année dernière, les sénateurs PCF Laurence Cohen et Pascal Savoldelli ont, pour leur part, porté leur attention sur “le couloir de la mort“. Un long cheminement en sous-sol qui mène aux parloirs. “Aujourd’hui, les familles empruntent le parcours autrefois pris par les prisonniers politiques. Il faut que ce lieu fasse l’objet d’une reconnaissance“, insiste Pascal Savoldelli, venu visiter la prison ce 25 mai. Le parlementaire note des signaux positifs obtenus du ministère de la Culture pour que ce couloir soit classé aux monuments historiques et espère que ce projet ira au bout.

Le couloir de la mort, aujourd’hui couloir d’accès aux parloirs
Le sénateur Pascal Savoldelli emprunte le guichet où les visiteurs viennent laisser leurs pièces d’identité

Une cellule historique et mémorielle, et bientôt un musée

De son côté, l’établissement pénitentiaire a développé une cellule historique et mémorielle avec le personnel. “L’approche de la restructuration et la célébration des 125 ans d’existence de la prison ont été des catalyseurs. Nous ne voulions pas passer à côté d’éléments importants sur la connaissance de ce lieu“, indique Asmaa Laarraji-Raymond, directrice adjointe de la prison. D’ici à la fin du mois de juin, un musée devrait ouvrir dans un bâtiment en briques situé face à la maison d’arrêt des hommes. Pour l’instant, toutefois, la direction ne communique pas sur son contenu ni les horaires d’ouvertures.

© Fb
Ce bâtiment de la prison de Fresnes devrait abriter un musée prochainement

S’agissant du domaine pénitentiaire, les horaires d’ouvertures et les modalités d’accès doivent encore être étudiées“, explique-t-on. Des colloques réunissant des historiens se dérouleront également cette année.

À moyen terme toutefois, l’établissement doit faire l’objet de lourds travaux de réhabilitation, très attendus alors que l’Etat a été condamné par la justice à les réaliser, il y a déjà plusieurs années.

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