Société | | 20/01/2023
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Réunion sur la prison à Noiseau : 600 habitants furieux face à l’État

Réunion sur la prison à Noiseau : 600 habitants furieux face à l’État

C’est dans une salle pleine à craquer d’habitants venus exprimer leur colère en rangs serrés, que l’Agence pour l’immobilier de la justice a eu, ce jeudi soir, l’inconfortable mission de présenter le projet de prison de 800 places sur une partie des terres agricoles de Noiseau à côté de l’ancien site France Télécom. Ambiance.

Chaises intégralement occupées, gradins bondés, et foules debout de part et d’autre, débordant jusqu’à l’entrée du bâtiment… Si certaines réunions de concertation publique peinent à mobiliser les citoyens, celle-ci a battu des records, avec près de 600 personnes pour une ville de 4 600 habitants. Certes, quelques dizaines d’élus étaient venus de communes voisines, mais l’essentiel des troupes était constitué de Noiséens. “On a tout donné pour mobiliser. On a déposé des flyers dans toutes les boites aux lettres”, explique une membre du Collectif citoyen contre une prison à Noiseau, “contente” du résultat.

Au-delà du contenu des échanges, la colère a été palpable durant toute la soirée, au son des “Non à la prison”, des huées, ou au contraire des applaudissements après des punchlines réussies contre le projet. Petits drapeaux à la main ou banderoles tendues à plusieurs, les Noiséens ont largement donné à voir et à entendre tout le mal qu’ils pensent du projet.

En face, sur l’estrade, un binôme de garants de la concertation qui ont expliqué leur rôle et leur devoir de neutralité, leur “interdisant d’avoir un avis”, et les représentants de l’Agence pour l’immobilier de la justice (Apij) et de l’administration pénitentiaire. Pour ces derniers, la tâche a parfois été rude pour se faire entendre, et les volumes des micros ont dû être poussés plusieurs fois.

Au milieu de l’arène, une animatrice qui a réussi avec brio à distribuer la parole et à faire entendre les arguments de chacun, relançant l’administration sur les points insuffisamment éclaircis.

Avec une banderole Non à la prison au fond de la salle, face aux représentants de l’Etat, et l’introduction du maire de Noiseau, Yvan Femel (LR), le ton a été donné d’emblée. “Nous avons pris connaissance de ce projet, “avec effarement”, “par la presse”, a rappelé l’édile. Depuis, un collectif anti-prison a recueilli 2000 signatures contre, mais l’Etat reste sourd”, a regretté l’élu, résumant ensuite les principaux motifs de refus, du manque d’infrastructures de transports à la suppression de terres agricoles en passant par la présence d’une prison déjà très importante dans le département. Une entrée en matière ovationnée par une salle qui a sorti les drapeaux et scandé une première fois “Non à la prison”.

Sur le projet lui-même, la réunion n’a pas apporté beaucoup plus de précisions que le dossier de concertation en ligne. La présentation, d’autant plus succincte que ni le site définitif au sein du périmètre retenu, ni le projet architectural, ne sont encore connus, a, en revanche, permis une heure et demie d’échanges très attendus entre la population et l’Etat.

Sur la présentation du projet, lire : Prison de Noiseau : que nous apprend le dossier de concertation publique ?

Pourquoi une nouvelle prison ? Pourquoi en Val-de-Marne ?

L’équation incontournable, Pierre Azzopardi, chef de service de l’administration à la direction de l’administration pénitentiaire, l’a rappelée dès l’introduction. “Il y a 72 000 détenus en France et nous avons 60 000 places. Nous avons donc besoin de construire des prisons”, a chiffré l’administrateur général, déclenchant immédiatement un “pas ici !” dans la salle. En faisant une projection sur dix ans, l’État a évalué les besoins à 15 000 places, dont 4 000 en Ile-de-France, soit cinq nouveaux établissements. Pourquoi le Val-de-Marne ? Pour répondre aux besoins du département et aux peines d’emprisonnement prononcées au tribunal de Créteil, alors que la prison de Fresnes est de nouveau occupée à 150 %, après une accalmie durant le confinement. Alors que la prison compte environ 1300 places, elle accueille actuellement 2 000 détenus, selon les dernières statistiques.

Un verdict refusé par les élus. “Le Val-de-Marne prend déjà largement sa part avec la Maison d’arrêt de Fresnes, en état de délabrement général”, estime le sénateur Christian Cambon (LR), rappelant les condamnations de l’Etat concernant les conditions de détention à Fresnes. “Si vous avez de l’argent, commencez par rénover Fresnes !” a suggéré le parlementaire, avant d’inviter à construire la prison au pied du nouveau Tribunal judiciaire de Paris, dans le 17e arrondissement, à l’issue des Jeux Olympiques.

Pourquoi Noiseau ?

Les habitants, eux, se demandent surtout pourquoi Noiseau a été spécifiquement ciblée dans tout le Val-de-Marne, alors que la commune périurbaine, qui compte encore quelques terres agricoles, est plutôt excentrée, non accessible directement depuis les grands axes routiers et loin des grandes infrastructures de transport en commun. Pas si proche non plus du tribunal de Créteil d’où seront issus une bonne partie des écroués après leur procès. Premier élément de réponse, la ville dispose de 15 hectares de terrain plat, a déroulé Christophe Amat, l’un des directeurs de l’Apij avant de faire hurler la salle en enchaînant sur la compatibilité avec le schéma directeur régional (le Sdrif), l’accessibilité par la route et les transports en commun, et la proximité avec les équipements publics comme les hôpitaux, commissariats… “Proximité des hôpitaux ?” s’est étonné Jean-Paul Faure-Soulet, maire LR de La Queue-en-Brie. “L’hôpital le plus proche est dans ma ville, et il s’agit d’un hôpital psychiatrique !”a lâché l’élu. “Nous assurons la quasi-intégralité des soins en interne”, a tenté de rassurer Stéphane Scotto, directeur interrégional des services pénitentiaires. “Vous parlez d’équipements publics mais on considère que Noiseau est trop petite pour avoir une Poste, il n’y a pas de commissariat, et nous avons juste une police municipale”, ajoute une participante.

Transports : de la théorie à la pratique

Dans le plaidoyer de l’Apij, la question des transports est l’une de celles qui crispent le plus. “Il n’y a qu’une seule ligne de bus, pas très fréquente”, s’inquiète une habitante, rappelant qu’il “a fallu 10 ans pour qu’un bus passe le dimanche”. Si les lignes 2 et 3 du réseau Situs desservent Noiseau depuis Sucy-en-Brie, à une fréquence indiquée de 20 minutes aux heures de pointe et de 30 minutes aux autres périodes de la journée, la commune ne bénéficie d’aucun accès direct à une ligne de train ou de RER. “Ici, c’est embouteillage permanent car il n’y a pas de desserte. L’Etat ne s’est jamais intéressé à nos besoins de transport en commun”, a déploré Marie-Carole Ciuntu, maire LR de Sucy-en-Brie, qui a longtemps bataillé avec les autres élus du secteur pour que tous les RER A aillent jusqu’à Boissy. La route, elle, est systématiquement embouteillée aux heures de pointe, ont témoigné les habitants. “Vous estimez qu’il faut 36 minutes pour relier Paris et Noiseau ? Cela ne correspond à aucune réalité, c’est une ineptie !” lâche une participante.

Sur le sujet, les représentants de l’État ont assuré qu’une étude plus précise serait menée pour évaluer l’impact de la prison sur le trafic. Concernant les flux de détenus. Le directeur interrégional a indiqué que les condamnés arrivaient en général tard le soir et que les départs vers le tribunal s’effectuaient le matin, avant les bouchons, laissant les participants dubitatifs.

Terres agricoles grignotées

Autre source d’indignation : la suppression de terres agricoles pour construire la prison. Dans la salle, un paysan, qui sera exproprié si le projet se poursuit, dénonce les doubles discours, entre l’impression d’une concertation ouverte et des démarches urbaines déjà commencées, ou encore entre les déclarations ministérielles et ce qu’il constate. “Dans le dernier numéro de France Agricole, il y avait un bel article du ministre de l’Agriculture qui refuse tout bétonnage des terres agricoles… il faut croire qu’il pèse moins que celui de la Justice. Mais il y a une chose à laquelle il va falloir penser avant de supprimer toutes les terres agricoles, prévient-il, c’est qu’il faut bien manger !”

Alors que l’Apij a motivé le choix du lieu par une compatibilité avec le schéma directeur, les élus dénoncent une mésinterprétation. “On parle écologie matin, midi et soir mais vous vous soustrayez aux règles qui s’imposent à nous”, tacle Marie-Carole Ciuntu. Marie-Christine Ségui, maire d’Ormesson-sur-Marne, s’inquiète pour sa part des conséquences de ce “bétonnage”. “On nous demande toujours de construire. Dans ma commune, ce sont des logements. Ici, c’est une prison. Le résultat est une artificialisation des sols dont nous souffrons des conséquences lors des fortes pluies, avec de plus en plus d’inondations !” Du côté de l’association Renard, on s’inquiète par ailleurs de l’attention qui sera portée à la biodiversité, déplorant un manque d’écoute dans l’actuel projet de prison mené en Seine-et-Marne, à Crisenoy.

“Idéalement, nous essayons de trouver des friches, défend David Barjon, directeur général de l’Apij, avant d’expliquer que ces dernières soulèvent souvent des obstacles rédhibitoires. Dans le Val-de-Marne, deux friches industrielles ont ainsi été retenues aux Ardoines, à Vitry-sur-Seine, qui auraient été opportunément connectées au Grand Paris Express, mais elles ont été retoquées en raison de pollution des sols et de la présence du dépôt pétrolier, classé Seveso. D’autres sites, comme à Villeneuve-Saint-Georges, étaient en zone inondable. “Mais nous avons des contraintes de compensation équivalente lorsque nous utilisons des terres agricoles”, insiste David Barjon. “On ne veut pas de compensation ailleurs, on veut garder nos terres agricoles”, tonne une habitante.

Sécurité, nuisances, dévaluations immobilière

Du côté des Noiséens, on s’inquiète aussi des nuisances éventuelles, du bruit des détenus qui se hèlent par la fenêtre, de la lumière autour du site, d’éventuels drones ou hélicoptères, de la sécurité… Autant de nuisances qui vont faire chuter les prix de l’immobilier, anticipent les résidents. “Je travaille ici depuis vingt ans, témoigne une agente immobilière. Nous n’avons plus d’acquéreurs sur Noiseau et je vois arriver des bailleurs qui ont mis toutes leurs économies dans un investissement locatif et craignent de ne pas pouvoir le louer.” Dans la salle, une mère de famille témoigne des inquiétudes de son fils qui fait des “cauchemars” car il craint “le retour des alarmes et des sirènes”, comme lorsqu’ils habitaient à Créteil. “Alors que l’on s’est saigné pendant dix ans pour acheter une maison ici.” Il n’y aura ni drone ni hélicoptère et les alentours des prisons sont généralement très sécurisés, réagit Stéphane Scotto tandis que Pierre Azzopardi cite une étude du Credoc de 2018 qui serait plutôt rassurante et montrerait, par exemple, qu’à Meaux, les lotissements se rapprochent de plus en plus de la prison. “Pour un peu, il nous expliquerait que nos maisons vont prendre de la valeur”, s’agace une résidente en sortant de la réunion, encore plus énervée.

Le poids de la parole des citoyens et des élus

“Au final, si tous les obstacles sont levés, mais que les citoyens et élus restent unanimement contre, quel sera le poids de leur voix dans la décision ?” pose la députée Modem Maud Petit. Pour répondre, le chef de service à l’administration pénitentiaire revient à l’équation initiale : le besoin de 15 000 places dont 4 000 en Ile-de-France. “Nous n’avons aucun parti pris pour Noiseau”, mais le ministre a écrit aux préfets dès 2017 pour identifier les sites, a-t-il rappelé, et il en faudra un en Val-de-Marne. Dans l’assistance, une habitante ne comprend pas. “Mais, en 2019, Emmanuel Macron avait promis aux élus qu’il ne ferait rien contre eux”, s’étonne-t-elle. À l’époque, le président avait répondu à la maire de Limeil-Brévannes, où était envisagé un centre pour fin de peine, semi-ouvert. “Si tous les obstacles sont levés, le projet se fera donc, malgré l’opposition des habitants et des élus”, regrette la députée à l’issue de la réunion.

Pas convaincus

À la sortie, personne ne s’illusionne sur la suite du processus. “C’était une formalité. Si l’Etat écoutait, il aurait déjà arrêté, après les marches et démarches menées par les élus depuis plusieurs années”, commente l’ancienne maire de Marolles, Sylvie Gérinte. “On va saisir nos députés, c’est pas au niveau local que ça se passe”, prévient un membre du Rassemblement national. “Cette réunion était une blague”, estime encore une membre du collectif citoyen contre la prison, bien décidée à poursuivre la lutte. Venues du village de Crisenoy, où se dessine une prison d’un millier de places, deux élues se réjouissent de la mobilisation locale. “Nous ne sommes que quelques centaines d’habitants et chez nous, les gens sont davantage blasés. Il n’y pas eu autant de réactions”, constate la première adjointe, Evelyne Michel. “Et il n’y a pas d’unanimité contre au niveau de l’intercommunalité, contrairement à ici”, souligne la deuxième adjointe, Martine Goncalves.

Du côté de l’Apij, on reste serein. “Présenter un projet de prison n’est jamais bien accueilli par les habitants”, rappelle David Barjon. Le thermomètre se situe davantage au niveau de la mobilisation. “Là, c’était une grosse participation”, reconnaît le directeur général de l’Apij.

Suite de la concertation mode d’emploi

Deux autres temps d’échange sont prévus dans la concertation en cours, sous forme d’ateliers thématiques, ainsi q’une permanence pour rencontrer le maitre d’ouvrage et les garants.

  • Mercredi 1er février : visite de site de 15h00 à 17h00 (RDV en mairie à 14h45) puis atelier sur le thème de l’insertion urbaine et paysagère et interface avec l’agro-quartier, de 17h30 à 19h30, à la mairie de Noiseau. Attention, visite et atelier sur inscription via le site de concertation ou la mairie de Noiseau.
  • Vendredi 10 février de 17h30 à 19h30 : atelier sur le thème de l’environnement, des espaces naturels et agricoles à la mairie de Noiseau, 2 rue Pierre Vienot. Attention, atelier sur inscription via le site de concertation ou la mairie de Noiseau.
  • Mercredi 15 février: permanence pour rencontrer le maître d’ouvrage et les garants, de 15h00 à 19h00, à la mairie de Noiseau

Il est également possible de participer en ligne.

Les conclusions et la décision de poursuivre ou non seront connues au printemps. Si le projet continue, une enquête publique, préalable à la déclaration d’utilité publique permettant de modifier le plan d’urbanisme pour accueillir le projet, se tiendra au premier semestre 2024. La prison pourrait ouvrir en 2027.

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