Rudsel : toute la misère des mules à la barre de Bobigny

Les coudes appuyés au-dessus du plexiglas du box des accusés, Rudsel promène son regard paniqué entre la juge, son avocate et sa traductrice hispanophone. L’interprète a beau faire de son mieux, cet homme chauve et au ventre rebondi reste déboussolé.

Huit jours plus tôt, il a subi un contrôle douanier à sa descente de l’avion en provenance de Fort-de-France.  Dans son sac, trois ovules remplis de cocaïne – 42 g en tout. Aux douaniers, Rudsel affirme ne pas avoir su qu’il avait de la cocaïne dans son bagage, mais avoue immédiatement en avoir ingéré de grandes quantités. Il demande à aller aux toilettes où il expulse 1 288 grammes supplémentaires. Plus tard, d’autres expulsions viendront, portant le total à 1 340 g – plus de 1 000 fois la dose létale.

Un lourd profil social

Né en 1971 à Curacao, une petite île au Nord de la Guyane appartenant aux Pays-Bas, Rudsel aurait rencontré quelqu’un, “un Colombien, intelligent et bien connecté”, qui lui aurait proposé de faire la mule entre les Caraïbes et l’Europe. “Monsieur dit qu’il ne peut pas dire qui l’a envoyé car on va le tuer, il a agi pour le compte d’un réseau important”, lit la juge. “Si, si, si…”, confirme le prévenu en espagnol. Un boulot payé 4000€, moins le prix du billet d’avion. Pas grand-chose quand on sait que le kilo de poudre blanche se revend entre 30 et 35 000€ en Europe. Encore moins, quand on connaît les risques encourus : prison, overdose mortelle…

Avec cette somme, Rudsel, qui baisse les yeux aux sol en écoutant son interprète, aurait payé les soins de son ex-femme, gravement malade selon lui.  Une défense validée par le témoignage du frère de Rudsel sur place, qui  évoque une forte consommation d’alcool et de grands troubles psychologiques. Quant à Rudsel, il explique habiter seul, dans une maison en bois construite sur un container. Il vit sur un terrain appartenant à son père dont il a subi les violences récurrentes dans son enfance. Sa consommation d’alcool serait de son propre aveu “massive, et ce depuis l’âge de six ans”, récite la juge. “Et peut-être même plus jeune”, précise le prévenu, qui intervient pour essayer de se sauver tant bien que mal. Une fois la drogue arrivée à son destinataire, Rudsel souhaitait aller voir sa fille de 27 ans, domiciliée aux Pays-Bas – sans connaître la ville où elle réside. 

Un seul trajet ?

La “mule” a beau être inconnue des services de police français et hollandais, des doutes subsistent sur son degré d’implication dans le trafic. Élément à charge : quatre précédents allers-retours entre Cayenne et Orly effectués entre septembre et octobre 2022. Lui affirme ne pas avoir transporté de drogue lors de ces trajets : “on m’a payé ces billets pour me tester”, plaide-t-il. Manifestement peu convaincue par l’explication, la présidente du tribunal demande à nouveau : “ – Est-ce que c’était vraiment la première fois que vous faisiez ça ?” “- Si, si, si…”, répète Rudsel. 

C’est sur ce point que va appuyer le procureur lors de sa réquisition. “Ou on n’est pas du tout en situation de détresse financière et on fait le voyage pour gagner plus, ou on a déjà transporté de la cocaïne, mais on ne veut pas le dire…” argue l’accusation, sans enfoncer le clou. Peine requise : deux ans d’emprisonnement. La dernière déclaration revient à Rudsel, qui insiste sur son rôle de petite main du trafic. “Je ne suis personne… Je demande pardon”, souffle-t-il, avant de fondre en larmes. Il écopera de 45 012€ d’amende, ainsi qu’une peine de 18 mois d’emprisonnement assortie d’une interdiction de territoire français de 5 ans. Une interdiction qui lui permettra en pratique de regagner son pays après avoir purgé la moitié de sa peine. 

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