La mairie de Saint-Denis a choisi de confier la gestion du théâtre de la Belle Etoile à l’ancienne équipe du théâtre parisien des Déchargeurs. Un changement mal vécu par la compagnie Jolie Môme, qui occupait le lieu depuis 2004. Explications et avant-goût de la nouvelle programmation.
“L’idée est de rebâtir un nouveau lieu dans ce territoire. Ce n’est pas un théâtre parisien qui déplace juste son public à Saint-Denis“, assure Rémi Prin, ancien programmateur du théâtre des Déchargeurs, mis en liquidation judiciaire début septembre. Avec Emmanuelle Jauffret, il co-dirigera à partir du 1er janvier le théâtre de La Belle étoile situé rue Saint-Just dans le quartier de La Plaine à Saint-Denis.
Mathieu Hanotin, le maire PS de la commune, a officiellement dévoilé ce lundi le changement de gestionnaire de ce lieu culturel dynosien, à l’issue d’un appel à manifestation d’intérêt et d’une sélection par un jury composé d’élus de la ville, de Plaine Commune et de la direction régionale des affaires culturelles (Drac). La ville finance le lieu à hauteur de 50 000 euros par an.
Sur huit candidats, six dossiers ont été retenus dans un premier temps, dont celui de la compagnie sortante, Jolie Môme, “les deux autres n’étant pas du tout mûrs”, précise l’édile. “Le choix était cornélien. Quasiment tous les dossiers auraient pu être en posture de gérer le lieu, chacun avec leurs spécificités. La beauté de ce concours était de nous permettre de réinventer un lieu pour les cinq ans qui viennent au moins“, confie-t-il. Les projets proposant une offre trop diversifiée d’activités culturelles ont été écartés pour privilégier l’identité liée au théâtre de la Belle Etoile.
“Un rayonnement métropolitain“
La compagnie Le Tambour des limbes, rejoint par une partie des anciens salariés des Déchargeurs, a donc finalement été choisi pour animer ce théâtre d’une capacité de 140 places assises qui a d’abord été une salle des fêtes, puis un gymnase et une de salle de répétition pour le Théâtre Gérard Philippe (TGP). Selon Mathieu Hanotin, c’est la “lisibilité” de son projet qui a fait la différence. “Le jeudi soir, même si vous n’avez pas lu le programme, vous pourrez aller au théâtre, vous êtes sûrs qu’il y aura un spectacle. Un peu comme quand vous allez au cinéma“, souligne-t-il en exemple.
L’objectif est qu’à partir de septembre 2024, un spectacle soit ainsi programmé tous les soirs du mercredi au dimanche. “En 2025 les villes de Saint-Denis et de Pierrefitte-sur-Seine vont se réunir. Avoir un théâtre de plus, en complément du TGP [ndlr, le théatre Gérard Philippe qui un centre dramatique national] dans une ville de 150 000 habitants, ne me paraît pas complètement démesuré“, défend aussi le maire, sans cacher l’ambition d’un “rayonnement métropolitain“, compte tenu de la proximité avec de Paris.
“En faire lieu de vie du quartier“
De son côté, Rémi Prin veut faire de la Belle Etoile un “lieu de création de spectacle vivant tourné vers la scène émergente, un peu dans la continuité de ce que faisait le théâtre des Déchargeurs, en accueillant des compagnies nationales et internationales en résidence. Mais, la priorité pour nous est d’en faire un lieu ouvert sur Saint-Denis et sa population. C’est pour cela que ce sera un tout autre projet avec sa propre identité“, explique le directeur du Tambour des Limbes en rappelant que sa compagnie est basée en Seine-Saint-Denis, à Saint-Ouen. Dès janvier, il promet de nouer le contact avec les associations et les écoles pour faire découvrir ou redécouvrir le théâtre.
“L’autre objectif est d’en faire un lieu de vie du quartier, un lieu complètement ouvert“, assure Rémi Prin, via la pratique amateur. “Ce lieu offre de nombreuses possibilités. Est-ce qu’il faut l’appeler strictement théâtre? Je ne suis pas sûr. On ne doit pas forcément consommer du théâtre pour y venir. C’est quelque chose d’important pour moi“, détaille-t-il. L’équipe réfléchit aussi au développement d’une activité de petite restauration, en lien avec des producteurs locaux. “L’idée est que les gens se disent en venant qu’ils peuvent aussi voir un spectacle.”
Le véritable test arrivera en juin avec les Jeux olympiques, temps durant lequel pourrait se dérouler un festival sur la thématique du sport.
Jolie Môme évincé
Rarement un changement de direction à la tête d’un théâtre municipal n’a toutefois provoqué autant de tensions. “Votre décision est prise, ah quelle surprise! Nous ne convenons pas“, a réagi la compagnie Jolie Môme dans un communiqué du 15 novembre titré “Pourquoi dissoudre un lieu de vie, de réflexion, d’humanité, de culture, de lien social?”
Une pétition pour le maintien de Jolie Môme à la Belle Etoile, lancée dès le 20 octobre, a déjà réuni plus de 6 700 signatures. La compagnie de théâtre, très engagée à gauche, a reçu plusieurs soutiens politiques dont ceux d’Eric Coquerel, député LFI de Seine-Saint-Denis, et d’autres Insoumis comme Bally Bagayoko et Silvia Capanema, ou encore Nathalie Artaud, porte-parole de Lutte ouvrière.
Alors que la convention d’occupation doit s’achever le 31 décembre, après avoir été prolongée de six mois, l’actuel gestionnaire de la Belle étoile compte bien aller jusqu’au bout de la saison, en juin 2024. “On nous demande de partir, mais on a une programmation qui va jusqu’au 3 décembre pour notre nouveau spectacle, puis il y a le festival Hyper Nova du 15 au 17 décembre. Comment voulez-vous qu’on déménage en 15 jours?“, remarque Michel Roger. Le metteur en scène et fondateur de la compagnie fait volontiers visiter les lieux: “On est ici depuis vingt ans, c’est nous qui avons fait de ce lieu un théâtre. La municipalité a changé et veut faire autre chose: ce sera un théâtre d’accueil, mais plus un lieu de vie d’une troupe et de ses ateliers“, regrette-t-il.
Michel Roger défend “un théâtre ouvert au cœur d’un quartier habité par des enfants du prolétariat. Les professions dans le coin ce sont des infirmières, des caissières, des chauffeurs de VTC, des informaticiens. Mais les gens viennent aussi de toute l’Ile-de-France et d’ailleurs“, ajoute-t-il. “Que va devenir la compagnie Tamèrantong qui propose des ateliers aux enfants et aux ados tous les mercredis? Que vont devenir les gens qui viennent participer aux ateliers théâtre et chanson-fanfare?“
“Le choix de la mairie, c’est le mépris total du travail fait, de la création artistique, d’un lieu qui est devenu un service public de proximité“, se désole Marc, musicien de métier et membre du comité de soutien, présent ce mercredi soir à l’atelier chanson-fanfare. “Les gens qui viennent ici ne sont pas des clients, ce sont des usagers. La porte est tout le temps ouverte. Il y a ici de la culture, de la pratique amateur, de la rencontre. Mais voilà, la nouvelle mairie veut une ville propre, alors un lieu comme celui-là, ça fait désordre, ce n’est pas bon chic bon genre.”
“Je suis en colère: cette équipe municipale passe son temps à démolir l’existant. Elle veut accélérer la gentrification de Saint-Denis. Mais sa “ville apaisée” n’est pas celle de tout le monde“, abonde Fabrice, habitant de Saint-Denis qui vient chanter depuis 14 ans à l’atelier.
Pour Michel Roger, le choix de la mairie est bien politique: “Je pense qu’il [ndlr, Mathieu Hanotin] veut plaire à son électorat qui n’est pas foncièrement de gauche. Il dit qu’on surjoue notre engagement. Je pense qu’il faut que cette culture continue à vivre, celle de Prévert, de Brecht, des gens qui défendent l’internationale. En fait, ils veulent nettoyer“, considère-t-il.
“On ne met personne à la porte“
Le positionnement politique de Jolie Môme a-t-il joué en sa défaveur? Interrogé à ce sujet, Mathieu Hanotin ne partage pas, en effet, la même conception du théâtre. “J’ai toujours pensé qu’il n’y avait pas besoin de faire de la politique théâtralisée pour que le théâtre soit politiquement fort et engagé. Il n’a pas besoin d’être la caricature de lui-même“, estime-t-il.
L’édile se défend toutefois de tout parti pris à cet égard: “Ce n’est pas mon rôle de donner la ligne. On confie un objet à une compagnie qui aura une liberté artistique complète, sous réserve qu’on soit pas dans une posture d’illégalité, ou de rupture d’un continuum de valeurs républicaines, de la ville“, prévient-il.
Pour lui, la compagnie Jolie Môme “a déposé un dossier qui visait essentiellement à continuer ce qui se faisait auparavant. C’est leur propos. On avait quand même exprimé une volonté de revitalisation du lieu, d’élargissement à une diversité de public, et d’élargissement de l’offre culturelle, qu’elle soit in situ ou dans l’aller vers, avec les écoles et le tissu culturel de Saint-Denis“, rappelle-t-il.
“On ne met personne à la porte“, assure-t-il. “C’est un processus normal de réinterrogation, dans le cadre duquel la compagnie sortante a proposé un projet qui n’était pas satisfaisant.” D’ailleurs, prévient Mathieu Hanotin, à l’adresse du nouveau gestionnaire, “dans cinq ans, il sera requestionné. Tout le monde connait les règles, il y aura un nouvel appel à projet.
Etonnant de donner les clés d’un théâtre à une compagnie en liquidation judiciaire…
Certains confondent culture et politique, bien content qu’on sépare enfin les deux et que des militants retrouvent leur simple place de militant.
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