Portrait | | 26/01/2023
Réagir Par

Saint-Denis : des fractures aux “factures”, Chayili règle ses comptes sur scène

Saint-Denis : des fractures aux “factures”, Chayili règle ses comptes sur scène

Violences conjugales, galères… Débutante dans le stand-up, Chayili, dionysienne d’adoption, parle de son vécu difficile sans tabous. Une manière de faire rire, tout en tirant un trait. Rencontre.

Avant de monter sur la scène ouverte, Chayili s’isole pour répéter une dernière fois son texte. Capuche sur la tête, casque sur les oreilles et regard dans le vide, on pourrait croire à un boxeur qui s’apprête à monter sur le ring. Et pour cause : bien avant de se lancer dans l’humour, Chayili, de son vrai nom Sara Goumon, était d’abord combattante de Jiu-Jitsu Brésilien (JJB). Au point de finir sur le podium de plusieurs compétitions nationales et européennes, quelques années auparavant. “Cette manière de me préparer, ça me vient du JJB. C’est un sport qui m’a aidé à gagner en rigueur et discipline”, explique naturellement la jeune femme de 35 ans.

C’est aussi un plaisir. Sans complexe, elle avoue aimer la violence : “En vérité, je pense que tout le monde a un côté violent. Tout le monde s’est déjà mis en colère, tout le monde a déjà dit “je vais le tuer !” La différence, c’est que moi, je l’assume.” Sa prise préférée : l’étranglement. “Tant que l’autre est d’accord, bien sûr !”, rigole-t-elle, en tentant de nous rassurer.

Hip-hop et langage cru

Après un rappeur et un slammeur, c’est au tour de Chayili de faire ses preuves. En survêtement rose, Chayili entre sur scène sur Chop du rappeur Fresh la Peufra, tout en plaçant quelques moves de breakdance. De l’univers des sports de combats, on passe à celui de la danse hip-hop, le premier amour de Chayili. Elle s’y met à 16 ans, alors qu’elle habite encore aux Sables-d’Olonne (Vendée). “J’ai appris les bases en regardant des clips. Au début, on s’entraînait dans la gare avec un petit poste de musique, puis de fil en aiguille, on a monté un cours de danse au lycée.” Après son bac, Sara continue, jusqu’à faire des apparitions dans des clips de petits artistes. Sans réussir à en faire son métier, Sara continue à danser dès qu’elle en a l’occasion, au détour de battles ou de simples soirées. Avec le temps, elle s’ouvre à d’autres styles de danse, comme l’afrobeat ou le dancehall.

Pour commencer son sketch, Chayili opte par un direct au visage. “Y’a des fils de pute dans la salle ?” Le public est choqué, le spectacle peut commencer. C’est parti pour un cours de quelques minutes sur les différents niveaux de “fils de pute” : “Il y a d’abord le niveau brevet-bac, c’est celui qui drague une autre fille devant toi. Il y a ensuite le niveau master, c’est celui qui te met sur écoute. Et enfin, le niveau doctorat, celui qui essaye de t’étouffer !” À chaque niveau, Chayili s’imagine les étrangler, façon jiu-jitsu. Le langage est cru, les métaphores sont explicites : malgré le sketch décousu, impossible de ne pas y voir le vécu.

Années de galère

Les “fils de pute”, ce sont évidemment des “ex-conjoints qui [lui] tapaient sur la gueule”. Plus précisément, deux personnes que Chayili fréquente de ses 19 à ses 26 ans, alors qu’elle était encore en Vendée. Au bout de sept ans d’abus, Sara craque. “J’ai eu le nez cassé, des côtes fêlées… Les coups étaient devenus une routine. Donc j’ai fait ce que j’avais à faire. J’ai porté plainte et je suis montée à Paris”. Mais les galères ne s’arrêtent pas là. Après 9 mois chez des amis (“ma famille”) à Cergy, la combattante atterrit à Saint-Denis, où pendant plusieurs années, elle enchaîne les galères de logement entre squats et logements incendiés. Malgré tout, elle continue la danse, tout en enchaînant les boulots “lambdas” (employée dans une salle de sport, agente d’entretien, vigile…) pour vivre.

Ce sont des rencontres qui vont l’aider à remonter la pente. “À chaque étape de ma vie, j’ai eu des sortes d’anges gardiens qui m’ont dit “T’inquiète, ça va aller“”, raconte-t-elle. Parmi eux, elle cite notamment la famille brésilienne qui l’a accueillie alors qu’elle fuyait la Vendée, ou encore Bouboute et Malik Sylla, respectivement coach et partenaire de JJB. “À la base, je n’étais pas rigoureuse, pas disciplinée. Les sports de combat m’ont beaucoup aidé.” Elle se fixe un nouvel objectif : l’obtention d’un Brevet Profession de la Jeunesse, de l’Éducation Populaire et du Sport (BPJEPS), qui ouvre la voie au métiers de l’animation culturelle et sportive. Via un camarade du jiu-jitsu, elle intègre l’Association des Centres Sociaux d’Aulnay-sous-Bois (ACSA). Son tuteur, Jamal Soifeni, anime notamment le Chill Comedy Club, où des humoristes débutants peuvent venir s’exercer à l’écriture et à la scène. “Au départ, je lui avais parlé brièvement des ateliers de stand-up que j’animais. Je pensais que ça pourrait l’intéresser. Elle m’avait dit que pour l’instant, elle se concentrait sur l’obtention de son diplôme, mais qu’elle se pencherait dessus par la suite. Je pensais qu’elle disait ça par politesse, mais non ! C’est une artiste polyvalente, qui a une détermination qui lui vient sûrement du sport”, se rappelle l’intéressé.

“C’est des factures”

La voilà désormais à enchaîner les scènes ouvertes (trois en trois semaines), en racontant un peu de son histoire. Sans prétention aucune : “Je ne suis pas une héroïne, mais si mon spectacle peut servir, tant mieux ! C’est important que les gens sachent. Il y a des signaux à repérer : ça commence par des petits manques de respect, des choses anodines… On n’arrive pas à se faire étouffer par son conjoint du jour au lendemain !” Pas de quoi pourtant y voir du féminisme chez celle qui assume “se foutre de la politique” : “Ce sont les gens qui font des liens. Si, par rapport à leurs critères, je suis féministe, c’est le hasard de la vie !”

Et si la scène n’est pas une tribune, ce n’est pas non plus un défouloir. “Mon exutoire, c’est le JJB. Le stand-up, c’est plutôt des factures. C’est une manière de dire à ceux qui m’ont fait du mal : “Regarde où j’en suis !” Quelle que soit l’intention, le résultat commence à être au rendez-vous. “L’humour, c’est une technique qui s’apprend. Le plus dur, c’est d’avoir un fond intéressant. Or, ça, elle l’a déjà, en plus de la discipline, la détermination et l’envie” souligne Jamal Soifeni, sans se forcer. Bref, les factures risquent d’être salées.

Abonnez-vous pour pouvoir télécharger l'article au format PDF. Déjà abonné ? Cliquez ici.
Aucun commentaire

    N'envoyez que des photos que vous avez prises vous-même, ou libres de tout droit. Les photos sont publiées sous votre responsabilité.

    Ajouter une photo
    Ajouter une photo

    Laisser un commentaire

    Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

    Vous chargez l'article suivant