Attendu depuis dix ans, le service d’urgences psychiatriques du centre hospitalier de Saint-Denis a ouvert début septembre. Un enjeu crucial alors que le nombre de patients psy a bondi aux urgences ces dernières années. Ce Crup (Centre renforcé d’urgences psychiatriques) innove aussi dans son approche, permettant d’éviter les hospitalisations automatiques.
C’est dans une aile toute neuve de l’hôpital Delafontaine qu’a ouvert ce nouveau service début septembre, inauguré ce lundi 9 octobre. “Avant cette unité, il n’y avait rien. Il y avait un vrai défaut dans la prise en charge des patients“, résume Jean Pinson, directeur du Centre hospitalier de Saint-Denis, qui chapeaute les hôpitaux Delafontaine et Casanova. Avec la crise sanitaire et ses confinements successifs, l’hôpital Delafontaine a pourtant vu le nombre d’hospitalisations “sauvages” de patients psychiatriques monter en flèche. En trois ans, les séjours de plus de 24 heures ont doublé, voire triplé.
“On imagine la difficulté pour les patients qui se retrouvaient souvent contentionnés chimiquement ou physiquement, pour les autres patients des urgences, les entourages, le personnel… Cette unité apporte une vraie solution. On est clairement dans une démarche progrès en termes de bien traitance et d’humanité“, observe le directeur du centre hospitalier.
Pour l’heure, l’équipe est composée de 12 infirmiers (sur les 14 prévus) et de six aides-soignants.
139 admissions en quatre semaines
Adossé aux urgences de l’hôpital de Saint-Denis, ce Centre renforcé d’urgences psychiatriques (Crup) permet d’accueillir des patients en crise aiguë, que les urgences géraient jusque-là comme elles le pouvaient. Des heures passées sur des brancards, faute de lit documentées par Éric Guéret, en 2022, dans le film Premières urgences, tourné dans ce même hôpital.
Depuis son ouverture le 4 septembre, le Crup a réalisé 139 admissions en quatre semaines. “C’est le rythme d’un service de psychiatrie sur six mois, mais on n’a pas subi de violences ni de dégradations. C’est la preuve que lorsque les patients sont accueillis et accompagnés correctement, ils vous le rendent. Pourtant, on est en psychiatrie, en Seine-Saint-Denis. Cela balaye donc aussi pas mal de préjugés“, relève le docteur Faycal Mouaffak, psychiatre des hôpitaux, également chef du pôle G04 de Ville Evrard et co-responsable du Crup avec le docteur Mathias Wargon, chef du service des urgences de Saint-Denis.
“Une structure calme et apaisante“
En tout, 15 lits sont répartis dans deux unités de psychiatrie aiguë (Upa), l’une de 24 heures, qui compte quatre lits, l’autre de 72 heures, composée de 10 lits. Cette dernière accueille les patients qui requièrent une hospitalisation. Elle contient deux chambres de soins intensifs et un lit réservé aux patients qui viennent recevoir un traitement qui ne peut être administré qu’à l’hôpital.
Sur les 139 admissions, 41 ont donné lieu à un retour à domicile et à la réactivation d’un suivi ambulatoire. La durée moyenne de séjour est de 34 heures.
“On est très heureux de cette UPA 24, car on avait des patients qui passaient des jours aux urgences“, souligne pour sa part Mathias Wargon, spécifiquement en charge de cette unité d’observation. “Au moins, ils pourront bénéficier d’un véritable lit dans une structure apaisante et calme. C’est aussi une qualité de vie pour nos soignants des urgences. Tant qu’on n’améliorera pas cela, on n’améliorera pas la qualité de vie de nos patients, en particulier en psychiatrie. En Seine-Saint-Denis, on a en beaucoup plus qu’ailleurs en situation de décompensation. Ils sont souvent moins bien traités qu’ailleurs, pour des raisons sociales et culturelles d’une part, mais aussi en raison d’un tissu plus faible de la médecine psychiatrique.”
Proportionnellement à l’ensemble du service des urgences de l’hôpital, les patients en psychiatrie représentent 5% de la file active et génèrent jusqu’à un quart de l’activité. “La psychiatrie en urgences, c’est 2 millions de passages par an, sur les 20 millions enregistrés dans les services d’accueil des urgences du pays“, relève Faycal Mouaffak.
Alternative à l’hospitalisation
Un des enjeux du Crup est aussi d’éviter ou de réduire les hospitalisations, “les mesures de coercition et le recours à la sédation“, souligne Faycal Mouaffak. L’UPA 24 cherche ainsi à articuler la prise en charge des patients avec la médecine ambulatoire en permettant d’extraire le médecin psychiatre de la temporalité trop contraignante des urgences pour lui donner le temps de doser la réponse médicale. “Autrement, il opte une fois sur deux pour l’hospitalisation, alors que dans les soins somatiques, cela ne représente que 13% à 15% des patients”, précise le chef de pôle. Une hospitalisation qui peut aussi avoir des effets indésirables.
“Comme l’UHCD, l’Unité d’hospitalisation de courte durée des urgences, son existence pointe aussi l’échec des hospitalisations d’aval, de la médecine de ville. Autrement dit, on reçoit des patients dont on ignore quoi faire. C’est une énorme faillite du système de santé, mais aussi de nos soignants, alerte Mathias Wargon. Tous les matins, on négocie pour “vendre” nos patients afin de les orienter. En psychiatrie, où l’espérance de vie est de dix ans inférieure à la normale, il y en a souvent qui cumulent deux pathologies, psychiatrique et somatique, parce que ces patients ne soignent pas ou mal. De ce fait, ils entrent dans une espèce de trou noir de la médecine, de l’éthique et de la morale, parce que l’on considère qu’un patient avec un problème somatique ne peut pas aller en psychiatrie, et vice-versa. Ici, nous ne faisons pas cette différence“, analyse-t-il. Le Crup, lui, ne fait pas cette différence.
2,3 millions d’euros d’investissement
Autre nouveauté de ce centre renforcé d’urgences psy, une chambre est dédiée, le soir, aux séances de sismothérapie qui consiste à traiter la dépression sévère par des stimulations électriques du cerveau, sous anesthésie générale. “Une énorme avancée pour les patients en Seine-Saint-Denis qui ne disposaient jusque-là que d’un seul lieu [ndlr, la maison de santé d’Épinay-sur-Seine] pour bénéficier de ce soin indispensable“, insiste Faycal Mouaffak.
Sur la table depuis dix ans, le projet a pu voir le jour grâce à un partenariat étroit entre l’hôpital de Saint-Denis et l’établissement public de santé mental Ville-Evrard, situé à Neuilly-sur-Marne, qui a l’a piloté et a investi 2,3 millions d’euros en fonds propres. L’Agence régionale de santé (ARS) a, quant à elle, apporté 200 000 euros. Reste désormais à financer le transfert du centre d’accueil et de crise (Cac) de la ville de Saint-Denis, encore en attente de financement.
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