Incendie | | 22/08/2023
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Tristesse et colère à la cité Maurice Thorez de l’île-Saint-Denis, après l’incendie mortel

Tristesse et colère à la cité Maurice Thorez de l’île-Saint-Denis, après l’incendie mortel © Raphaël Bernard

Deux jours après l’incendie d’un des bâtiments de la cité Maurice Thorez de l’Île-Saint-Denis samedi 19 août, qui a fait 3 morts et 19 blessés, les habitants restent sous le choc. Sur place, l’heure est au recueillement tout en demandant des comptes à Seine-Saint-Denis habitat, le bailleur social départemental, qui a très récemment repris la gestion des lieux. Reportage.

Parmi les briques rouges de la cité Maurice Thorez, à l’île-Saint-Denis, les quatre derniers étages noircis par le feu du bâtiment 1 détonnent. Ce sont les stigmates du violent incendie survenu le samedi 19 août au matin, provoquant la mort de trois personnes et en blessant dix-neuf.

Éparpillés en petits groupes, les habitants et habitantes ressassent ensemble cette matinée. Des trois victimes, un garçon de 13 ans, sa mère de 47 ans et une jeune femme de 26 ans, c’est cette dernière qui fait le plus parler. Atteinte de handicap, elle est morte défenestrée, alors qu’elle s’était réfugiée sur son balcon. “Je l’ai vue tomber. Elle s’est d’abord cognée contre un muret avant de heurter le sol”, raconte Rayan, 13 ans. Sa sœur de neuf ans a elle aussi vu la chute. “Elle fait des cauchemars tous les soirs depuis” raconte Dalila, leur maman, les larmes aux yeux.

Inquiétudes

Si l’heure est encore au recueillement, la colère est bien palpable parmi les riverains. Premier motif de mécontentement : le relogement. Si les habitants des seize appartements détruits par les flammes seront d’office relogés ailleurs, le bailleur, Seine-Saint-Denis Habitat, qui a repris la cité depuis mars 2022, prévoit qu’à terme, les habitants des étages inférieurs regagnent le bâtiment 1. Les travaux de nettoyage et de décontamination de l’immeuble doivent d’ailleurs commencer dès le 22 août. Une décision qui n’est pas du goût de plusieurs locataires. “Ils ne nous autorisent à monter dans l’immeuble que 10 minutes par jour pour prendre des affaires, parce que les escaliers ne sont pas sûrs, mais ils voudraient qu’on revienne habiter là-bas plus tard ! On n’est pas des cobayes !”, protestent plusieurs habitantes, réunies en bas du bâtiment 1. En attendant, la plupart des familles sont logées dans des hôtels environnants, aux frais du bailleur.

“Les escaliers étant en acier, les marches des étages atteints par l’incendie ont fléchi et sont donc impraticables. Mais pour le reste des escaliers, il n’y a pas de problème. Nous avons lancé une étude pour déterminer si la structure du bâtiment a été atteinte, comme l’exige la procédure après chaque incendie”, réagit Cécile Mage, directrice générale adjointe de Seine-Saint-Denis habitat. Présente sur les lieux avec une cellule d’accueil, elle explique avoir ressenti une “attente d’accompagnement” parmi les locataires, sans réelle tension.

Traumatismes

Les locataires s’inquiètent par ailleurs car ce n’est pas le premier incendie que connaît le bâtiment 1. En octobre 2021, le feu avait déjà pris, sans faire de victimes cette fois-ci. “Cet incendie a eu lieu alors que la Semiso [Société d’économie mixte de la ville de Saint-Ouen, le précédent bailleur social, ndlr] était à la gestion. Une enquête est en cours pour déterminer les causes de ce nouvel incendie, mais, à ce stade, rien ne permet de lier les deux événements entre eux. Le bâtiment répond aux normes de sécurité”, explique-t-on chez Seine-Saint-Denis Habitat.

Parmi la demi-douzaine de femmes réunies devant leur bâtiment, nombreuses sont celles qui se sont vues y passer. “Imaginez si le feu avait pris dans un étage plus bas, ou pendant la nuit ! Il y aurait eu encore plus de morts !”, pointe Cannelle, du quatrième étage. Aïcha, elle, n’a pas besoin d’imaginer. La main encore dans des bandages, elle raconte avoir cru perdre sa mère. “Ma mère a subi une opération récemment et souffre d’arthrose aux genoux. Elle ne peut même pas enjamber une baignoire, alors vous imaginez une échelle… Les pompiers ont dû rentrer pour éteindre le feu dans notre salon. Mais avant ça, elle m’a dit “Je ne sais pas si je pourrai descendre… J’ai vraiment cru qu’elle allait mourir devant moi”” raconte la vingtenaire, maillot de foot rose de la Juventus sur les épaules.

Comme Aïcha, ils sont plusieurs à s’estimer trop choqués pour vouloir revenir vivre dans cette tour. “Ma mère est tellement traumatisée qu’elle veut quitter la ville”, raconte Mélissa, la vingtaine. “Mon fils a vu le corps de la femme qui s’est défenestrée. Il n’a pas voulu revenir à la cité depuis” témoigne encore Brigitte. Une cellule de soutien psychologique a été mise en place au gymnase qui accueille les sinistrés.

Logements détériorés

Au-delà de ce terrible incendie de samedi, les locataires dénoncent une cité qui s’est largement dégradée avec le temps. “Depuis l’incendie de 2021, les fenêtres dans les parties communes ont explosé et n’ont pas été remplacées. Donc l’hiver, le froid pénètre dans les appartements”, indique Mélissa. Depuis plusieurs années, seul l’ascenseur desservant les étages impairs fonctionne, poursuit une autre. “Ça va faire trois ans que je n’utilise plus l’ascenseur, tellement je suis restée coincée dedans !”, affirme encore Aïcha, qui habitait au dixième étage. “Les volets à manivelle ne marchent pas dans beaucoup d’appartements ! Si ça se trouve, certains sont morts à cause de ça !”, rajoute Cannelle. D’autres évoquent la présence de punaises, et même de rats.

En principe, la cité Maurice Thorez devrait connaître de grands travaux de rénovation à partir de 2025. Après le drame, Mohamed Gnabaly, le maire (SE) de la ville a néamoins appelé Seine-Saint-Denis Habitat à accélérer le début des ouvrages. “Nous avons entendu la demande du maire”, répond Cécile Mage. “Mais ce type de projet demande d’abord des mois d’études avant d’être lancé. Donc même si nous avançons le début de la mission, nous ne gagnerons au mieux que quelques mois.”

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