La commune des Lilas accueillera prochainement une centrale de géothermie qui alimentera 20 000 équivalents logements, non seulement de la commune, mais aussi de Pantin, du Pré-Saint-Gervais, et plus tard de Romainville.
Haute de 40 mètres, la foreuse installée en contrebas du Fort de Romainville, aux Lilas, a déjà achevé un premier doublet de puits. Il aura fallu trois mois pour y parvenir. Au premier trimestre 2024, un second doublet sera achevé, avant l’installation de la centrale géothermique.
Pour rappel, la géothermie consiste à aller chercher la chaleur naturellement présente sous la terre pour l’exploiter. En Ile-de-France, la température du gisement d’eau contenu dans les calcaires du Dogger, à environ 2 km de profondeur, se situe ainsi entre 55 et 85 degrés. Pour utiliser cette chaleur naturelle, il faut creuser des puits pour la pomper et créer un circuit d’eau chaude. Ce premier circuit d’eau géothermale est salé car il s’agit historiquement d’eau de la mer, retenue depuis l’époque du Jurassique moyen (il y a 170 millions d’années) entre deux couches d’argile. Pour chauffer le réseau d’eau chaude desservant des équipements et habitats collectifs, ce premier réseau est donc connecté avec un second réseau d’eau douce, via un échangeur dont le principe est de mettre en contact les deux eaux sans qu’elles se mélangent, en les faisant circuler de part et d’autres de plaques en titane. Les eaux du Dogger, ainsi refroidies redescendent d’où elles viennent. Il s’agit d’une énergie propre, renouvelable et gratuite, qui permet de diminuer le recours aux énergies fossiles mais aussi la facture de chauffage.
“L’objectif pour nous est une mise en service progressive de ce nouveau réseau de chaleur en 2025“, indique Inès Gelu, la directrice d’Unigéo, société publique locale (SPL). Celle-ci a été créée pour ce projet, par le Syndicat intercommunal de la périphérie de Paris, pour les énergies et les réseaux de Communication (Sipperec) et les villes des Lilas, de Pantin et du Pré-Saint-Gervais. Romainville devrait aussi les rejoindre.
De l’eau à environ 55°C
Aux Lilas, il a fallu forer sur environ 2 200 mètres de longueur en tenant compte de l’inclinaison de 40 degrés du puits de production (près 1 700 mètres de profondeur) pour l’atteindre. “Il ne faut pas imaginer une poche d’eau, mais une couche de roche plus ou moins poreuse qui emprisonne de l’eau à environ 55°C“, précise Cyril Santos, superviseur du forage de la société SMP chargée des travaux. Une fois les deux puits d’extraction creusés, c’est la pression des sédiments accumulés jusqu’à la surface qui fait remonter l’eau, à travers un assemblage de tubes d’acier, installés au fur et à mesure du forage. La technique de forage est la même que dans l’industrie pétrolière.
De manière naturelle, le débit de chacun des puits de production, qui sont déjà en phase de test, atteint 100 mètres cubes par heure. En phase d’exploitation, il sera porté à 320 mètres cubes par heure grâce à une pompe.
Près de 30 000 tonnes de CO2 économisées chaque année
Les études de faisabilité menées durant trois ans ont permis de quantifier les besoins des trois villes initiatrices du projet à environ 193 gigawatts par an. Au total, 20 000 équivalents logements, dont plus de 4 500 aux Lilas, pourront être raccordés au futur réseau de chaleur, dont la plus grande partie à Pantin. Des ensembles de logements sociaux, des copropriétés, mais également des équipements comme le collège Marie Curie, situé juste en face du chantier, ainsi que des bâtiments publics. Seule condition pour en bénéficier : disposer d’un système de chauffage collectif au gaz ou au fuel. Selon le Sipperec, le projet mis en œuvre aux Lilas permettra d’éviter la production de 28 000 tonnes de CO2 chaque année.
Au-delà de la dimension environnementale, l’intérêt de la géothermie est de garantir “un coût maitrisé sur la durée du contrat proposé qui est de quinze ans“, souligne Inès Gelu. Le prix de l’abonnement représente, en effet, environ 60% de la facture, qui est donc beaucoup moins dépendante que les énergies fossiles des fluctuations du marché. Le réseau de chaleur n’est toutefois pas alimenté à 100% par la géothermie et nécessite du gaz. “Il est difficile de quantifier l’économie qui sera réalisée en raison des fluctuations du prix du gaz. En 2022, elle était d’environ 30%. Actuellement, elle serait plutôt de l’ordre de 10 à 15%. Dans tous les cas, l’Ademe [ndlr, l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie] nous demande un minimum de 5% en dessous des prix du gaz“, précise la directrice d’Unigéo.
Multiplication des projets de géothermie
Avec la guerre en Ukraine et l’envolée des prix de l’énergie, la géothermie a connu un regain d’attractivité. En Île-de-France, les réseaux se multiplient, comme au Bourget, où les travaux de raccordement de l’aéroport au réseau de chaleur urbain de Dugny-Le Bourget viennent d’être lancés. Le Sipperec compte, pour sa part, huit projets géothermiques, avec celui de Bobigny, dont les permis de forage sont en cours d’instruction.
“Les gens croient que c’est la crise de l’énergie qui explique le développement de la géothermie, mais il faut savoir que l’on travaille au projet des Lilas depuis 2017, parce qu’il faut beaucoup de temps pour mener les études de faisabilités et obtenir les autorisations nécessaires“, pointe Inès Gelu, qui confirme cependant que les demandes de raccordement sont de plus en plus nombreuses.
“Ça ne va pas sans créer un embouteillage des capacités d’exploitation du sous-sols dans des départements, comme la Seine-Saint-Denis ou le Val-de-Marne“, observe Inès Gelu, qui souligne par ailleurs que la géothermie n’est pas une nouveauté en Île-de-France. Le Val-de-Marne est du reste pionnier dans ce domaine depuis les années 1980. Avec le temps, les collectivités locales ont privilégié les SPL aux délégations de service public “pour avoir la main sur les projets et mutualiser l’investissement.” Aux yeux de la directrice, le développement de la géothermie reste néanmoins limité par le nombre restreint d’entreprises françaises capables de maitriser le processus de forage.
80 millions d’euros
À ce jour, l’investissement pour réaliser le futur réseau de chaleur est estimé à 80 millions d’euros dont 23 millions de subventions du conseil régional d’Île-de-France et de l’Ademe (respectivement 8 et 15 millions d’euros).
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