Près de 320 Ukrainiens sont scolarisés dans les écoles, collèges et lycées du Val-de-Marne, dopant le nombre d’élèves allophones. Dans les classes spécialisées, moins fréquentées durant la pandémie en raison de la fermeture des frontières, cet afflux a fait bondir les effectifs. Les élèves, eux, commencent à prendre leurs marques. Reportage au collège Lucie-Aubrac de Champigny-sur-Marne.
Il est 13h30 et la sonnerie retentit dans les couloirs. Dans la classe de Cécile Pérez, qui enseigne depuis dix ans en unité pédagogique pour élèves allophones (UPE2A), les tables ont été disposées en trois îlots pour distinguer les niveaux. “Ils n’arrivent pas tous au même moment, n’ont pas le même âge, viennent de pays différents, ne parlent pas les mêmes langues, et n’ont pas la même histoire. Certains peuvent être extrêmement impliqués, participer, d’autres peuvent être plus effacés. Les besoins varient tellement que la pédagogie différenciée est incontournable“, explique l’enseignante. Dans la classe, se rejoignent des Ukrainiens, Russes, Portugais, Algériens… Pour s’occuper de tout le monde, elle est épaulée cette année par Shaïneze, en service civique à l’Afev de Champigny-sur-Marne, une association qui lutte contre les inégalités scolaires.
Pour démarrer, un petit tour de présentation. Un exercice qui ne pas trop de difficultés même si certains cherchent leurs mots.”Bonjour, je m’appelle Katerina, j’ai onze ans, je viens d’Ukraine, j’ai une sœur, elle s’appelle Mia, j’habite à Champigny-sur-Marne, je parle un peu anglais et français, je suis en sixième“, se lance une élève de 11 ans. Suit un exercice de récitation pour retenir des expressions basiques avec le poème “Le déjeuner du matin” de Jacques Prévert. “Il a mis le café, dans la tasse, il a mis le lait, dans la tasse de café, il a mis le sucre, dans le café au lait, avec la petite cuiller, il a tourné , il a bu le café au lait, et il a reposé la tasse, sans me parler (…)“, déroule Anastasia, félicitée. “Jusqu’à maintenant, elle avait beaucoup de mal à comprendre, et puis il y a eu un déclic. Généralement, pour les élèves accueillis dès septembre, c’est en janvier ou février que l’on constate des progrès”, constate l’enseignante.
“Je suis venue d’Ivano-Frankivsk avec ma famille. Nous avons pris un bus et traversé la Pologne et l’Allemagne. À mon arrivée ici, je ne savais dire que “bonjour” et “au revoir”. Maintenant je peux parler avec d’autres enfants français, lire des livres, comprendre les informations à la télévision”, témoigne Arina.
Un effort qui ne va pas toujours de soi. “Les familles que je reçois en entretien comptent pour l’essentiel faire leur vie en France. Mais certains enfants ne semblent pas encore prêts à s’impliquer dans l’apprentissage sérieux de la langue.”
Le cours se poursuit par un exercice de compréhension écrite, en cherchant des mots dans le dictionnaire. Pour les collégiens, le passage de l’alphabet cyrillique à l’alphabet latin a été l’un des premiers obstacles à franchir.
Le téléphone portable et les applications de traduction font débat
Les élève admis en classe UPE2A dans le second degré ont droit à 21 heures d’enseignement spécifique pour jeune arrivant pendant une durée d’un an et sont progressivement incorporés à des classes banales.
Jusqu’en 2011, ils bénéficiaient de 26 heures. Seule la ville de Paris a maintenu le volume horaire initial.
Les élèves côtoient ainsi des enseignants aux méthodes différentes. L’utilisation du téléphone portable, interdit en principe pendant les heures de classe, fait l’objet d’appréciations variables, parfois autorisé pour traduire des textes. Cécile Pérez, elle, préfère accompagner la classe au CDI pour utiliser des programmes de français langue étrangère (FLE) sur ordinateur. “Si la solution à leur problème est à portée de main, ils vont éviter l’effort d’apprentissage, insiste-t-elle. Parfois, ils s’aident de logiciels de traduction pour les devoirs à la maison. Mais ces outils leur proposent des mots ou des phrases compliquées et pas toujours adaptées à la situation”.
“Nous ne parlons pas de la guerre“
Si les élèves d’un même pays peuvent parler leur langue ensemble, le mélange des nationalités incite à s’appuyer sur le français – ou l’anglais. Car la classe ne compte pas que des Ukrainiens. Venue d’Algérie, Messilva, 15 ans, arrivée d’Algérie, explique avoir attendu huit mois chez elle, avant d’être affectée, un problème récurrent alors que les classes disposent des places pour intégrer les élèves beaucoup plus tôt. “Ma langue maternelle, c’est le kabyle. J’ai travaillé le français chez moi mais pas suffisamment. Maintenant, je commence déjà à suivre de nombreux cours avec la classe banale”. Il y a deux semaines, trois nouveaux élèves ont été accueillis, dont Maria et Denzel, un frère et une sœur portugais de 12 et 13 ans, qui parlent déjà quelques mots de français. “Et dans nos classes normales, nous avons quelques camarades avec qui nous pouvons parler le portugais”, explique le garçon. Arina aussi vient de débarquer au collège Lucie-Aubrac pour suivre sa maman qui travaille chez Disney. De nationalité russe, les premiers jours n’ont pas été faciles. Elle a été victime d’insultes par des collégiens français. Pour l’instant, elle ne s’exprime qu’en anglais et échange beaucoup avec ses camarades Ukrainiens. “Nous ne parlons pas de la guerre. Nous nous entendons bien, on se fait des blagues, nous nous entraidons”, explique-t-elle.
Les syndicats réclament plus de moyens pour les UPE2A
Alors que la fermeture des frontières a tari le flux de jeunes arrivants durant la crise sanitaire, leur réouverture et le flux de réfugiés ukrainiens ont de nouveau rempli les classes d’UP2A, alors même que l’académie de Créteil avait redéployé des enseignants dans des classes banales. Sept postes en équivalent temps plein ont ainsi été fermés sur l’année scolaire 2021-2022, au grand dam des syndicats. “La moyenne globale sur le département est de 19,5 élèves par dispositif alors que les effectifs étaient de 15 en 2012”, déplore le Snuipp-FSU 94. A Alfortville, à Choisy-le-Roi ou à Vitry-sur-Seine, des UP2A ont avoisiné les 30 élèves, chiffre le syndicat.
Dans ses premières mesures de carte scolaire pour septembre 2023, la direction académique prévoit donc l’ouverture de sept postes. “C’est une mesure bien insuffisante au regard des besoins et du nombre d’élèves allophones accueillis dans notre département qui a plus que doublé entre les rentrées 2021 et 2022“, estile néanmoins le Snudi-FO 94 qui réclame le rétablissement des effectifs maximum à 15 élèves, la création de tous les dispositifs nécessaires, des temps complets rattachés à une seule école ou encore la prise en charge du transport domicile-école à l’instar des élèves en situation de handicap.
“Le processus d’affectation a pu être un peu long, reconnait-on au rectorat. Quand les jeunes veulent entrer en UPE2A, ils doivent repérer les bons interlocuteurs puis passer des tests d’évaluation scolaire dans des centres d’information et d’orientation (CIO). Ces résultats sont ensuite transmis à la direction des services départementaux qui cherche la meilleure affectation.” L’Académie admet que les délais ont augmenté avec l’arrivée massive des jeunes Ukrainiens. “Nous avons donné pour consigne de les dispenser d’évaluation pour qu’ils intègrent les classes près de chez eux”, indique le rectorat tout en précisant ne pas avoir non plus demandé de freiner les demandes d’autres nationalités. “Nous sommes maintenant sur des effectifs très stabilisés.”
Au dernier décompte réalisé début février, l’académie de Créteil (77, 93 et 94) accueillait 763 élèves ukrainiens, en plus des 6 000 élèves allophones estimés chaque année dans l’Académie. 320 sont scolarisés en Val-de-Marne.
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