C’est un joyau du cinéma qui va éclore à partir des pépites que sont les Studios de Bry et l’Ina (Institut national de l’audiovisuel), avec le doublement des studios de tournage et un campus complet des métiers de l’audiovisuel, le tout à quelques minutes de Paris et des bords de Marne. Deux sites voisins qui ont pourtant failli disparaître, chacun leur tour, si le destin n’avait pas été forcé.
À l’ombre du jardin de la villa Daguerre, l’heure était aux réjouissances ce mercredi 13 juin, quelques jours après l’annonce du rachat des Studios de Bry par Axa et celle, durant le festival de Cannes, de sa labellisation Grande fabrique de l’image par l’Etat. Ce label, doté de 350 millions d’euros au niveau national, va contribuer au développement des studios et de l’industrie du cinéma et de l’audiovisuel. Concernant les Studios de Bry, le cœur du projet est le doublement de sa surface d’exploitation.
“Les planètes se sont parfaitement alignées”, résume Olivier Capitanio, président de l’intercommunalité Paris Est Marne et Bois. Un alignement “qui n’était pas évident il y a encore quelques mois”, rappelle l’élu.
Un parcours du combattant
“45 réunions hebdomadaires, 150 RDV de lobbying ou techniques pour convaincre un à un l’ensemble des décideurs du cinéma et de l’audiovisuel, un dialogue compétitif de deux ans et demi qui a échoué car, parmi les membres, l’ancien propriétaire Nexity, avait, tout en jouant le jeu, des intérêts différents...” Maire de Bry-sur-Marne, Charles Aslangul rappelle combien le “combat” avait été “rude”.
Plan d’urbanisme résistant
La détermination politique locale, soutenue par des professionnels du cinéma, à commencer par les associations de décorateurs comme ADC et MAD qui ont été chaleureusement remerciées, a marqué le point. L’arme fatale ? Le plan d’urbanisme (PLU). Alors que les PLU des villes d’accueil des studios (Bry et Villiers) stipulaient déjà que la vocation du site n’était pas de construire du logement, cela n’avait pas empêché le promoteur d’y investir une belle somme en pariant sur l’avenir. Mais l’intercommunalité, désormais en charge de l’urbanisme, a maintenu le cap dans son PLUI (plan intercommunal). “Nous avons toujours prévenu Nexity qu’il n’y aurait pas de logements à cet endroit”, insiste Olivier Capitanio.
Restait toutefois à sortir de l’impasse par le haut pour tout le monde. C’est dans ce contexte que l’intercommunalité a financé une mission de préfiguration du pôle image, présidée par le maire de Bry et menée opérationnellement par Stephan Bender, venu de Film France. Un pro du cinéma connaissant parfaitement les enjeux du secteur et les contacts à actionner, convaincu du bien fondé du projet.
La rencontre déterminante sera celle avec Guillaume de Menthon, ancien président de Telfrance, producteur de séries comme Plus Belle la Vie ou Versailles. Lui aussi va croire au projet et à ces studios “comme on ne pourrait plus en créer aujourd’hui, à deux pas de Paris.” Des studios spacieux très prisés par les professionnels du décor car ils peuvent les réaliser sur place, dans des ateliers situés face aux lieux de tournage.
Des ressources humaines formées à proximité : un atout clef
Un autre atout contribue à l’attractivité du site : la présence, juste en face, de l’INA (Institut national de l’audiovisuel). Fruit de l’histoire (voir l’encadré ci-dessous), la proximité de l’INA et des studios n’a guère nourri de synergies pendant longtemps. Une situation en passe de changer car l’INA a développé fortement son pôle formation, en plus de sa mission d’archivage, et compte aller encore plus loin en fédérant des écoles des métiers du cinéma sur place. L’institut, qui a également été labellisé Grande fabrique de l’image, prévoit d’accueillir “une dizaine d’écoles”, une fois le bâtiment “décarboné”, a détaillé ce mercredi Jean-Marc Boero, directeur général du campus de l’Ina. “En France, il n’y a pas de lieu unique autour des métiers du cinéma”, motive le directeur, pour qui l’enjeu est de “répondre aux besoins croissants du secteur”. L’Ina compte à la fois développer la formation continue pour “parer aux besoins urgents” et la formation initiale “pour former les forces vives de demain”, promet le patron du campus qui prévoit d’accueillir à terme 1600 étudiants. “On sera fier de voir leur nom en bas des génériques !” Et il ne s’agit pas que de cadreurs et ingénieurs du son.
“Lorsque je suis arrivé aux Etats-Unis pour promouvoir les tournages en France, la première question que l’on m’a posée est : avez-vous des administrateurs de production ? avez-vous des comptables ?” s’en souvient encore Stephan Bender. Avec l’école en face des studios, il n’y aura plus “qu’à traverser la rue”.
Ina, Studios de Bry : une histoire commune
L’ORTF, l’établissement d’Etat qui contrôlait radio, télévision et production audiovisuelle nationale de 1964 à 1974 a éclaté en sept entreprises ou établissements publics en 1974 : les trois premières chaines de télévision, Radio France, la Société française de production (production, studios), l’Institut national de l’audiovisuel (archives) et Télédiffusion de France (gestion des émetteurs). L’INA va d’abord s’installer dans les hauteurs de Bry, à l’époque aux confins de l’agglomération.
Deux fleurons de l’image qui ont failli quitter Bry
La SFP prend ses quartiers en face, à partir de 1993. Huit studios y ont été créés. Elle est revendue en 2001 à Euro Media. Mais le groupe, qui a investi dans plusieurs studios, notamment dans le pôle cinéma de Saint-Denis, revend le site à un petit promoteur en 2014, avec une clause de non-concurrence empêchant la poursuite d’activités liées à la production cinématographique. Un arrêt de mort contre lequel les professionnels du cinéma se rebellent, faisant signer une pétition par l’ensemble du monde du cinéma, jusqu’aux plus grandes stars qui sont passées par les studios. Après moult discussions entre promoteur, opérateurs, élus, les studios sont sauvés une première fois et l’exploitation est confiée à Transpalux. En 2017, le petit promoteur revend les terrains à une plus grosse pointure, Nexity. S’en suivra une nouvelle période de sursis pour les studios, jusqu’aux annonces de cette année.
De son côté, l’Ina a aussi failli quitter la ville. L’hypothèse a été officiellement débattue en 2011, sous la présidence de Mathieu Gallet, dans le cadre de son nouveau projet immobilier. (Lire notre article de l’époque) Finalement, l’institut est resté et s’est étendu sur place, en développant son pôle formation.
Pour Guillaume de Menthon, il n’était donc pas question de laisser cette perle. “Cela a été un projet d’équipe très compliqué mais il y a eu une solidarité globale de toutes les parties, confie ce dernier. Il a fallu concevoir plusieurs projets parallèles pour reprendre, non seulement les murs, mais aussi le fonds de commerce.” Les équipes locales resteront en place, notamment le directeur des studios, Pascal Bécu, précise le producteur. Au final, c’est Axa Investment Managers (AIM), investisseur de long terme, qui a repris le site. Pour l’investisseur, il s’agit là d’une première incursion “dans une nouvelle classe d’actifs”, a confié l’un de ses représentants ce mercredi.
150 millions d’euros tout compris
Le budget total est de 150 millions d’euros, comprenant à la fois l’acquisition mais aussi les investissements à venir sur place, sur deux à quatre ans, précise Guillaume de Menthon.
Doublement des surfaces intérieures
Au cœur du projet, le doublement des surfaces, leur modernisation et réaménagement, sans changer l’organisation actuelle déjà hyper-fonctionnelle, avec la rue intérieure. Concrètement, la surface disponible est de 12 hectares, dont un tiers sont occupés par les studios actuels.
Un marché en pleine croissance
Comment expliquer cette croissance dans la demande de studios ? “Un changement culturel”, explique Guillaume de Menthon. Après les années caméra sur l’épaule et tournage en milieu naturel, la praticité des studios, de mieux en mieux équipée techniquement, séduit. Car les tournages en extérieur sont parfois compliqués, entre plan vigipirate, météo trop chaude ou trop pluvieuse, centre-ville piéton… “Le développement des séries contribue aussi à la demande, abonde une décoratrice, car les séries ont besoin de construire des décors récurrents.” De leur côté, les studios intègrent de plus en plus les évolutions technologiques, des fonds verts à l’intelligence artificielle.
Le plateau extérieur pourrait être supprimé
Le backlot, cette petite ruelle extérieure redécorée tant de fois pour servir des films de toutes les époques, pourrait en revanche disparaitre. Car si les studios de Bry sont spacieux tout en étant proches de la capitale, ils restent petits par rapport aux projets qui s’esquissent un peu plus loin, notamment à Coulommiers, en Seine-et-Marne, où les studios TSF ont investi une ancienne base aérienne. Difficile, peut-être, de jouer sur tous les tableaux.
Un projet de territoire
Localement, “ce pôle images et sons va renforcer l’attractivité du territoire”, insiste Olivier Capitanio, président de l’interco et du département. Un projet qui vient en lien avec d’autres sites en pleine mutation à proximité, comme la gare du Grand Paris Express et le grand projet de ville – quartier d’affaires – centre de congrès Marne Europe, à Villiers-sur-Marne. “Et lorsqu’une passerelle reliera ce quartier aux studios, en franchissant l’autoroute A4, Cannes aura un pôle concurrent ! lance le maire de Villiers, Jacques-Alain Bénisiti. À quand un festival de Villiers-Bry ?”
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