Solidarité | | 07/02
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À l’épicerie ukrainienne de Nogent-sur-Marne, on est passé du trop-plein d’aide au presque rien

À l’épicerie ukrainienne de Nogent-sur-Marne,  on est passé du trop-plein d’aide au presque rien © CD

À l’épicerie ukrainienne la Datcha de la Marne, à Nogent-sur-Marne, la vie de Luba Kharchenko, la gérante, a basculé lors de l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Depuis février 2022, elle consacre toute son énergie disponible à collecter des dons, les faire acheminer, aider les réfugiés. Mais, après deux ans de conflit, la générosité s’érode et il est difficile de maintenir la mobilisation. Témoignage.

Derrière son comptoir empli de confiseries, sur lequel flotte toujours un drapeau miniature jaune et bleu, Luba, les longs cheveux bruns retenus en queue de cheval, raconte la débâcle humanitaire de ces derniers mois.

“Les dons se sont presque totalement arrêtés”, résume-t-elle, amère. Au début de la guerre pourtant, son mari, Maryan, et elle, pouvaient remplir “deux garages” et “une grande cave”. Maryan faisait des voyages réguliers jusqu’en Ukraine pour distribuer de l’aide alimentaire amassée dans leur magasin. “Au début, on circulait très régulièrement, deux fois par semaine. Il amenait lui-même les dons vers la Pologne et l’Ukraine.” L’élan de solidarité était tel que le couple peinait à tout stocker. Avec les dons, le couple a aussi pu acheter trois drones et trois 4×4.

Lire notre article de 2022 : Nogent-sur-Marne: déjà 3 allers-retours en Ukraine depuis la Datcha de la Marne

“Les derniers à encore donner sont les personnes âgées”

Deux ans plus tard, une page s’est comme tournée, d’autres guerres ont pris le devant de la scène, et surtout, l’habitude de la situation s’est installée. Aujourd’hui, les dons prennent davantage la forme de menue monnaie ou de médicaments, témoigne Luba. “Les derniers à encore donner sont les personnes âgées, surtout des médicaments. Pendant la guerre, il y a un grand besoin d’antibiotiques, d’antidouleurs, ou encore de seringue etc.”  En parlant, la gérante montre de la main un petit pot en plastique rempli de pièces et de quelques billets de 5 euros.

Peur de la corruption

La peur de la corruption n’a pas amélioré la situation. “Il y a beaucoup d’étapes dans l’acheminement, entre le transport, la récolte, la distribution. Des personnes peuvent se servir à n’importe quel moment. Et il y a beaucoup de corruption à cause de la guerre, je ne vois pas pourquoi l’aide humanitaire y échapperait.”

Pour Luba, la peur du détournement des aides par des profiteurs de guerre a convaincu certains contributeurs à préférer favoriser leur famille et leur entourage proche. “Il y a des clients dont des membres de la famille sont en guerre. Dans ce cas, ils ne font pas trop de dons pour tout le monde ou vers “on ne sait pas où”. Ils préfèrent des collectes pour des gens spécifiques, des frères et leur bataillon, par exemple. Ils préfèrent envoyer directement le colis à quelqu’un en particulier, et être sûr qu’il arrive.”

Difficile de tenir dans la durée

L’investissement humain du couple est aussi devenu lourd à porter. Une sorte de “deuxième travail” difficile à assumer sur du long terme. “On oublie toute sa vie. Cela fatigue, prend du temps, et il faut avoir les moyens. Ce sont plein de petits trucs qu’il faut faire après le travail, parce que c’est impossible de le faire le reste de la journée. Moi, je ne peux plus le faire comme ça, confie Luba. Avec l’inflation et la montée des prix de l’énergie, d’autres préoccupations sont passées au premier plan. Le contexte n’est pas favorable au commerce. “Cette année, j’ai du mal. Avec les prix de l’électricité, de la marchandise… À la fin, il ne nous reste plus grand-chose et il reste les impôts. C’est compliqué.” 

“Si quelqu’un a mal, on ne peut pas être bien… Mais on ne peut pas non plus être mal deux ans d’affilée”

Ce n’est pourtant pas l’indifférence qui guette la commerçante. En France, Luba vit dans une paix intranquille. “Si quelqu’un a mal, on ne peut pas être bien… Mais on ne peut pas non plus être mal deux ans d’affilée. Alors on part en vacances, on va au restaurant… Mais, dès qu’on ouvre Instagram ou Facebook, on a ces images de là-bas, et on sait que ce n’est pas fini. C’est difficile, c’est pour ça qu’on essaye de faire de petites choses ici, même s’il y a des injustices et des vols. On se dit : si ce n’est pas nous qui aidons, ce sera qui ?” Luba est aussi déçue par les “réfugiés bien accueillis qui ne pensent pas à ceux qui sont restés.”

Moins d’initiatives associatives

Progressivement, Luba passe la main à d’autres associations franco-ukrainiennes, comme celle de sa marraine, “Aide franco-ukrainienne”, qui organise toutes les semaines des collectes à Boulogne-Billancourt. “Je pense que les associations se débrouillent bien en termes d’hygiène et de produits alimentaires. Ce qui est compliqué, ce sont les médicaments.”

Concert de solidarité fin mars à l’église Saint-Saturnin

Parmi les associations toujours investies, l’association nogentaise Ukraine Invicta organise fin mars un concert de solidarité à l’église Saint-Saturnin (132 grande rue à Nogent).

Mais, là encore, elle constate l’amenuisement des initiatives associatives et la diminution du nombre de bénévoles un peu partout. “Il ne se passe presque plus rien, mais on essaye de participer aux évènements organisés par l’association nogentaise Ukraine Invicta ou Idées sans frontières. Parfois, on a quelques dons et mon mari les amène à des associations qui peuvent les stocker.”

Luba reste malgré tout un maillon essentiel de la chaîne. En témoigne l’appel de ce routier en direction de l’Ukraine qu’elle reçoit pendant qu’elle se livre à Citoyens.com. Il souhaite participer à l’acheminement de vivres et sollicite son aide pour la logistique. “Il y a régulièrement des transporteurs qui se présentent pour être bénévole. Là, par exemple, j’ai reçu un message de quelqu’un qui fait cela souvent. Il apporte des fenêtres depuis la Pologne, puis il achemine l’aide humanitaire jusqu’en Ukraine.” Des convois qui se maintiennent difficilement en raison des contraintes de poids strictes et des prix du carburant en hausse. “Faire un aller-retour coutait 400 euros au mois de mars, maintenant, c’est plus cher à cause de l’essence”, calcule la gérante. “Mais il ’est nécessaire que certains fassent encore des choses”. Même si le cœur n’y est plus complètement. Luba sourit, le regard las. “La guerre en Ukraine a balayé la crise du Covid, et la guerre à Gaza a balayé la guerre en Ukraine.”

Article actualisé 09/02/2024 – date du concert

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