Classée en bas tableau des résultats des évaluations nationales en mathématiques, l’Académie de Créteil peut désormais se vanter d’avoir la première Maison académique des mathématiques de France. Avec son tableau-mur, ses poufs et sa grande salle de réunion modulable, le nouvel espace inauguré ce jeudi au collège Jean Lolive à Pantin, a même de faux airs de start-up. Objectif : changer l’image des maths en faisant évoluer la manière de les enseigner.
“On ne dirait pas que c’est fait pour travailler. C’est cocooning“, observe tout sourire Medina. “Ça donne envie de revenir au collège et de résoudre des équations“, confie même Nagnagalé à Julie Benetti, la rectrice de l’Académie de Créteil. Les deux jeunes filles ne sont pas élèves du collège Jean Lolive, mais en terminale, section Étude et réalisation d’aménagement, au lycée Eugène Hénaff à Bagnolet. Comme neuf autres camarades, elles découvrent la toute nouvelle Maison académique des mathématiques dont leur classe et celle du lycée Bartholdi à Saint-Denis, ont conçu une partie du mobilier. En démonstration, les “armoires du savoir”. Ces bibliothèques qui s’ouvrent comme un livre et peuvent faire office de tableau et de séparateur, sont à l’image du lieu : un espace modulable pour accueillir enseignants, chercheurs, formateurs, mais aussi élèves et parents.
Un tiers-lieu collaboratif doublé d’une réplique numérique
“La Maison académique des mathématiques est conçue pour être à la fois un espace de travail collaboratif qui enjambe les frontières qui parfois nous freinent entre le 1er et le 2d degré, entre les enseignants et les familles, entre les élèves. Un espace d’échanges et de rencontres. Un écosystème où l’on va pouvoir mettre en place un plan de formation extrêmement ambitieux pour nos enseignants“, explique Julie Benetti. “Il est très important que les maths ne soient pas cet espace réservé à quelques-uns, mais bien une discipline ouverte à tous“, ajoute-t-elle.
De fait, tout a été fait pour s’y sentir à l’aise. “Nous sommes partis de l’aspect maison pour créer le cocon dans lequel les gens ont envie de venir et la possibilité de faire tout ce qu’ils veulent dedans : lire, discuter, organiser des conférences ou des réunions“, commente Malik Darmayan, l’architecte de 28 Architectures, qui rappelle que le lieu était auparavant la salle de réunion des parents d’élève du collège. D’ici à la fin de l’année scolaire, les activités de la Maison académique des mathématiques seront par ailleurs accessibles via une plateforme en ligne.
“Dans le classement national, on doit être dans les derniers“
À la source de ce projet, le constat des “très mauvais résultats” en mathématiques des élèves de l’Académie de Créteil, qui regroupe les départements de Seine-Saint-Denis, de Seine-et-Marne et du Val-de-Marne. “Dans le classement national, on doit être dans les derniers. Quand on prend les études Pisa, la France est une des nations qui génère le plus de stress pour les mathématiques. On a un problème de gestion des émotions. Avant même l’arrivée en classe, ça bloque“, pointe Stéphanie Houdecek, directrice opérationnelle du programme “Vers une nouvelle équation académique” dans lequel s’inscrit le projet.
20 millions d’euros
La Maison académique des mathématiques est, en effet, l’un des volets de l’appel à manifestation d’intérêt “Innovation dans les formes scolaires” lancé par le secrétariat général pour l’investissement et dont l’Académie de Créteil est l’un des lauréats. Pour le mettre en œuvre, l’institution a obtenu 20 millions d’euros, dont 7 millions d’euros mis à disposition par la Banque des territoires. “Le projet couvre l’ensemble du champ mathématique. Il comprend un vaste volet formation pour concevoir de nouvelles modalités de formation pour les enseignants et un volet expérimentation animé par des laboratoires de recherche. Au sein des établissements, les chercheurs aideront à expérimenter des nouvelles techniques, voir ce qui fonctionne, ce qui ne fonctionne pas“, détaille Stéphanie Houdecek. En tout, sept collèges et 39 écoles sont parties prenantes du projet qui s’intéresse aux cycles d’apprentissage allant du CE1 à la 3ème.
“Partager les bonnes pratiques grâce au travail en réseau“
L’objectif n’est pas de créer de nouvelles méthodes pédagogiques, mais de “partager les bonnes pratiques grâce au travail en réseau. Il y a beaucoup de choses qui se font, mais on ne le sait pas“, poursuit la directrice opérationnelle du projet qui peut s’appuyer sur un maillage de 32 laboratoires de mathématiques.
Dans la pratique, un laboratoire en sciences cognitives doit, par exemple, équiper les élèves d’un système de captation pour voir au moment de la lecture des énoncés ou de la réflexion en mathématiques, où se positionne le regard pour essayer d’identifier les sources de blocages. “On va travailler autant sur les gestes professionnels des enseignants que sur l’approche des élèves : comment ils développent leur attention, comment ils gèrent la classe, comment ils utilisent les ressources… On va aussi travailler sur la base de l’évaluation des élèves pour voir comment ils progressent. Dans l’idéal, il s’agit d’essayer de les suivre deux ou trois ans“, indique Xavier Aparicio, professeur des universités en psychologie cognitive à l’UPEC (Université Paris-Est Créteil) et directeur adjoint de l’Inspé (Institut national supérieur du professorat et de l’éducation) à Créteil.
“Il faut aussi inverser l’idée reçue que les maths c’est abstrait“
La Maison des maths de Pantin est désormais identifiée comme le projet le plus important mis en œuvre en réponse au plan “21 mesures pour l’enseignement des mathématiques” élaboré par les mathématiciens Cédric Vilani et Charles Torossian. Ce dernier, qui est aussi inspecteur général de l’éducation nationale, a fait le déplacement pour l’inauguration. “On veut faire tomber les tabous et les stéréotypes. On avait besoin d’un lieu comme celui-ci où les enseignants peuvent se parler. Mais pas seulement les professeurs de mathématiques“, commente-t-il. “On se demande pourquoi les maths c’est si complexe. Il y a beaucoup de problèmes de langage. Ce n’est pas que les élèves ne comprennent pas les maths, c’est qu’ils n’ont pas forcément les outils. Il faut savoir de quoi on parle, lever l’implicite, savoir se poser les bonnes questions. On a donc d’abord besoin que les enseignants comprennent que ce qu’ils comprennent eux n’est pas aussi évident que ça. Il faut aussi inverser l’idée reçue que les maths c’est abstrait. Non, c’est très concret“, analyse Charles Torossian.
Quatre salles Newton en Seine-Saint-Denis
Pour le département de la Seine-Saint-Denis, cette Maison académique des mathématiques s’inscrit dans le prolongement du partenariat mis en place avec l’Éducation nationale pour développer l’attractivité de ses collèges, avec la création de filières d’excellence, dont celle du collège Jean Lolive créée en 2023.
“Nous avons recruté une quinzaine d’élèves dont 11 filles de 4ème et de 3ème dans le but d’ouvrir des horizons pour leur orientation vers des études supérieures. Je vous avoue qu’au début, nous étions un peu inquiets et assez sceptiques quant à l’idée de faire des maths d’un niveau assez élevé dans établissement REP plus (réseau d’éducation prioritaire). Finalement, nous avons été agréablement surpris et impressionnés“, relate Mme Bedja, professeure de mathématiques qui dirige le pôle d’excellence. À la fin de l’année, tous ses élèves, “certes choisis avec soins“, ont obtenu leur brevet et ont été orientés en 2de général et technologique.
“Ce n’est un hasard si nous avons décidé tous ensemble qu’elle [la structure] pouvait être accueillie ici“, considère Stéphane Troussel, le président (PS) du conseil départemental, qui constate que c’est au collège que “beaucoup de nos élèves décrochent le plus. Malheureusement, ces résultats sont corrélés aux indices de position sociale de nos collèges. Il y a donc urgence à démocratiser l’apprentissage et la réussite en maths et, pour cela, nous avons besoin de professeurs formés, d’heures de soutien, mais aussi de lieux d’innovation pédagogique, de formation différenciée, d’échanges entre scientifiques, pédagogues et bien sûr de publics plus larges encore“.
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De son côté, le département aménage actuelle des salles innovantes dites “Newton” et “404”, tournées vers le savoir scientifique et les mathématiques, dans quatre collèges : Jean de Beaumont à Villemomble, Jean Jaurès à Villepinte, Myriam Makéba à Aubervilliers et Oulm Kalsoum à Montreuil. “Nous voulons favoriser l’acquisition d’une culture mathématique et scientifique plus approfondie en développant des actions éducatives complémentaires au programme scolaire“, motive Stéphane Troussel qui évoque aussi des partenariats avec le muséum d’histoire naturelle ou encore la maison des mathématiques Henri Poincaré.
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