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À Pantin, le long combat pour abattre “le mur de la honte” et récupérer le passage Forceval

À Pantin, le long combat pour abattre “le mur de la honte” et récupérer le passage Forceval © CH

Passée l’indignation, les insultes taguées sur la fresque de MS Béja dans la nuit du vendredi 20 septembre dernier ont eu au moins un mérite : remettre un coup de projecteur sur l’avenir du double mur construit par la préfecture de police de Paris le 24 septembre 2021, pour obturer le passage Forceval. L’association A SOS 4 Chemins, qui se bat depuis trois ans pour sa réouverture, veut en refaire un lieu de vie autour des arts urbains.

Un coup de pinceau vert barre, depuis mardi matin, le champ de fleurs peint par l’artiste MS Beja sur le mur de parpaings érigé il y a trois ans, au bout de la rue Berthier, pour boucher le tunnel Forceval. La mairie de Pantin a fait masquer l’injure taguée quatre jours auparavant. “Met tes fleurs dans ton (…) de (…) de bobo de (…)”, pouvait-on lire. “Merso”, la signature du ou des auteurs du message injurieux, est en revanche restée.

Un slogan à dégueuler, vulgaire, et surtout anti-femmes

On s’attendait à ce que les murs soient repris, parce que ce genre de fresques, dans la rue, ne peuvent être qu’éphémères. Mais on s’attendait pas du tout à ce qu’il y ait une insulte vis-à-vis de l’artiste et de toutes les femmes“, déplore Dominique Gamard, la présidente de l’association A SOS 4 Chemins. “Un slogan à dégueuler, vulgaire, et surtout anti-femmes. Celui ou ceux qui ont fait ça, l’ont fait en catimini. Ce sont des petits bras. Sandrine, alias MS Béja, l’artiste, est d’autant plus désolée que la fresque a été faite avec une quarantaine d’enfants du quartier“, accable-t-elle. Ni elle, ni l’association ne compte toutefois porter plainte. “Ça n’aurait pas de sens“, souffle celle qui a voulu mettre la lumière sur le forfait.

Des fresques pour abattre les murs

L’art repousse les murs“, peut-on lire à côté du paysage bucolique peint le 29 juin dernier, à l’occasion de la fête du quartier des Quatre-Chemins. “Nous avons voulu profiter de la fête de quartier pour un projet de plus grande ampleur : récupérer notre passage“, résume Dominique Gamard. L’A SOS 4Chemins, qui milite pour la réouverture du tunnel Forceval, invite aussi trois artistes femmes (Demoiselle MM, Louyz et Anna Conda) pour peindre des fresques sur le mur situé de l’autre côté du périphérique. “De ce côté-là, il n’a pas fallu une semaine pour voir fleurir un graff, mais le mur côté Pantin a tenu presque trois semaines“, remarque-t-elle.

Avant la construction des deux murs, le cheminement permettait de contourner le carrefour des Quatre-Chemins et le bas de la place Auguste Baron, et donc de se rendre plus rapidement au métro Porte de La Villette ou prendre le tramway T3. Le passage est condamné le 24 septembre 2021, par l’ancien préfet de police de Paris, Didier Lallemant. La police vient alors de déplacer un campement de toxicomanes consommateurs de crack venant principalement du jardin d’Eole (18ème arrdt de Paris) sur le square Forceval. Ni la mairie du 19ème arrdt, ni celles de Pantin et d’Aubervilliers ne sont consultées. Les murs sont censés empêcher la circulation des toxicomanes vers les Quatre-Chemins, quartier déjà bien connu pour ces problèmes de vente à la sauvette de cigarettes et de deal de stupéfiants. Très vite, apparaît un tag en lettres vertes côté Seine-Saint-Denis : “Le mur de la honte, merci Darmanin [du nom de l’ancien ministre de l’intérieur]”, exprimant l’écœurement des habitants à l’égard de l’opération. Le square Forceval sera finalement évacué le 5 octobre 2022, mais les murs sont encore bien là.

Faire du tunnel un lieu vivant de l’art urbain

La préfecture de police de Paris a donné son accord à la destruction des murs à condition qu’il y ait un projet d’animation du tunnel. Alors, nous proposons d‘en faire un lieu vivant de l’art urbain, avec des fresques, l’implantation de statues, des parcours de skate“, explique Dominique Gamard. Suite au vote d’un vœu déposé par le groupe Les écologistes, la préfecture donne, en effet, un accord de principe sous conditions : “nous pensons qu’un projet d’occupation positive de cet espace serait le bienvenu pour l’envisager“, déclare alors Elise Lavielle, la représentante du préfet de police, qui demande aussi l’installation “d’aménagements pertinents tels que de l’éclairage ou des caméras de vidéosurveillance pour renforcer la sécurité passive“.

Le projet d’occupation du passage Forceval n’est pas nouveau. “La ville de Paris avait déjà lancé un appel projet en 2018. Sauf que le projet retenu, d’un atelier de réparation de vélos, n’a jamais vu le jour. Donc, elle ne peut pas lancer un deuxième appel projet. La seule solution, c’est de lancer une mission d’intérêt. Ce qu’on va faire“, remarque Dominique Gamard.

Il faut savoir que les associations du quartier, mais aussi la ville de Pantin, se bagarrent depuis longtemps avec la mairie de Paris pour que le tunnel soit entretenu. Il était beaucoup emprunté par des piétons et des cyclistes, ce qui prouve qu’il est utile à de nombreuses personnes au quotidien, mais c’était aussi une pissotière, mal éclairée et peu secure“, pointe-t-elle.

Dire stop au mépris ou l’indifférence

Autre préoccupation qui agite le collectif d’habitants à l’origine de l’A SOS4Chemins : le projet de crématorium que la mairie de Paris veut construire square Forceval depuis 2018. “Il faudrait abattre 50 arbres qui ont été plantés là quand on a construit le périphérique. La Ligue de protection des animaux a fait un relevé d’oiseaux qui nichent régulièrement ou en permanence dans ce square, dont un faucon pèlerin“, pointe Dominique Gamard qui s’y oppose fermement. Dans l’incertitude, l’association multiplie les actions symboliques : elle a fait parrainer les arbres par 120 personnes en avril 2023 et elle a planté 50 arbustes en novembre suivant.

La présidente de l’A SOS4Chemins n’en est pas à son premier combat pour défendre son quartier où elle s’est installée voilà 47 ans. “On a créé l’association le 1ᵉʳ juillet 2020 pour dire stop au mépris ou l’indifférence et interpeller les pouvoirs publics : la ville, le département, la région et, bien sûr, Paris. Il y a des problèmes de propreté, de sécurité. Il manque aussi de la verdure. Et c’est toujours un peu le cas, même si on a obtenu des progrès. Il y a eu beaucoup d’articles sur “Brooklyn à Pantin”, mais que se passe-t-il pour les quartiers pauvres? Il y a 20 000 habitants aux Quatre-Chemins. C’est le quartier le plus précarisé de la ville, là où le taux de pauvreté est le plus important. Nous aussi, nous voulons du beau.”

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