Le calme et le sourire d’Hassani Abdoulhamidi impressionnent. Depuis le mercredi 13 novembre, cette habitante de Pierrefitte-sur-Seine et ses cinq enfants ont été priés de quitter leur logement. En cause, le risque d’effondrement du pavillon dont elle est locataire depuis trois ans. En attendant une solution de relogement, la mairie leur a trouvé deux chambres dans un hôtel à quinze minutes de la gare RER de Garges-lès-Gonesses, dans le Val d’Oise.
“Je suis dans une situation choquante“, considère Hassani Abdoulhamid rencontrée ce samedi matin dans un café de Garges-lès-Gonesses. “La mairie nous a informé le 6 novembre que l’on avait une semaine pour partir parce qu’elle avait pris un arrêté de péril“, explique la mère de famille. Pourtant, l’arrêté mettant en demeure le propriétaire de prendre des mesures conservatoires, stipule bien que celui-ci est “tenu d’héberger les occupants“. “À défaut, pour les propriétaires d’avoir assuré l’hébergement des occupants, celui-ci sera effectué par la commune, au frais des propriétaires (ou de l’exploitant)“, précise-t-il.
“À 7h30, la police a toqué la porte et on nous dit d’appeler le 115“
“Je suis allée voir les services sociaux, j’ai même interpellé le maire de Pierrefitte-sur-Seine et celui de Saint-Denis qui était présent à une réunion du quartier Joncherolles parce qu’il y a la fusion [des deux villes]. Ils m’ont dit qu’ils s’occuperaient de notre dossier. Samedi, quatre jours avant notre expulsion, une élue m’a même appelée pour m’assurer que la ville nous proposerait un hébergement temporaire où l’on pourrait tout de même cuisiner et avoir un semblant de vie normale. Mais, mercredi matin à 7h30, la police a toqué la porte et on nous dit d’appeler le 115“, relate Hassani Abdoulhamidi.
Les services sociaux de la ville de Pierrefitte-sur-Seine lui obtiennent finalement un hébergement temporaire dans un hôtel à Garges-lès-Gonesses. D’une durée de trois jours initialement, il a été porté à 7 jours renouvelables. “Ce sont des conditions de vie vraiment difficile. Mon fils de 14 ans et ma fille de 7 ans ont maintenant une heure de transports pour aller à l’école“, observe-t-elle. “En plus, les chambres de l’hôtel sont toutes petites. Il y a trois lits côte à côte et juste assez de place pour s’asseoir. Je me sens comme dans une prison“, pointe Chaima, son autre fille de 21 ans. À l’inconfort et l’incertitude, s’ajoutent aussi des dépenses imprévues. “Comme il n’y a pas de cuisine, on doit manger dans les petits restos du coin. Je vous laisse faire le calcul à cinq, au “Grec” par exemple. Et, ici, à part une boulangerie, il n’y a rien…“, se désole Hassani Abdoulhamidi. Autre facture : “que vont devenir tous les meubles qu’on a laissés dans le pavillon ? On est partis avec ce que l’on pouvait : le linge et l’électroménager qui est entreposé dans un box à 70 euros par mois“, poursuit-elle.
“Ces bâtiments sont impropres à l’occupation“
À l’origine de l’arrêté de péril pris par la ville, Hassani Abdoulhamidi a signalé au service d’hygiène et de sécurité l’effondrement d’une partie du plafond de sa cuisine. “C’était le 16 octobre. En pleine nuit, j’entends un gros bruit. Je me lève et je vois un gros trou dans le plafond de la cuisine“, raconte sa fille, Chaima, 21 ans qui a pris des photos. À l’étage, se trouve la salle de bain. Les problèmes d’infiltration sont alors déjà anciens. Hassani Abdoulhamidi avait déjà alerté la mairie sur sa situation et a même fait venir un plombier qui n’a pas trouvé de solution. Mais, malgré les relances au propriétaire, rien n’a été fait.
Dans le rapport ayant motivé l’arrêté de péril, établi le 4 novembre, l’expert mandaté par le tribunal administratif de Montreuil, constate un “danger grave et imminent“. Les bâtiments dont un pavillon d’un étage et ses dépendances “ont fait l’objet de nombreuses modifications sauvages visant à en optimiser le rendement locatif au mépris de la dignité et de la sécurité de ses occupants. Ainsi, il est dénombré pas moins de 11 logements, dont 3 en sous-sols. Les logements accessibles lors de l’examen du site sont régulièrement en suroccupation manifeste“, pointe-t-il. L’expert note aussi “des modifications structurelles à l’aide de matériaux hétérogènes“, que “les règles de l’art sont bafouées à chaque étage“, ou encore que “le caractère anarchique des aménagements s’applique également au réseau d’assainissement et d’électricité qui présentent de très nombreuses défaillances affectant la sécurité des occupants“. Et de conclure que “ces bâtiments sont impropres à l’occupation” et que “la situation locative des occupants reste régulièrement obscure et devra être contrôlée.”
Risque de saturnisme
Cette semaine, la mairie de Pierrefitte devrait proposer à Hassani Abdoulhamidi de changer d’hôtel pour écourter les temps de transport. Avec toujours la promesse d’être relogé. “Mais quand ?“, interroge Hassani Abdoulhamidi. “On m’a tellement baladé que je méfie maintenant. On propose de me tourner vers le 115 ou la plateforme Al’In [du 1% patronal]. Ce que je ne comprends pas c’est que l’on se retrouve expulsé alors que le bailleur n’est pas inquiété. La veille de notre départ, il est même venu prélever les loyers“, indique-t-elle. Elle évoque des sommes démesurées par rapport aux surfaces louées et l’état du bâti. Elle dit même avoir dû payer jusqu’à 1 900 euros par mois dont la moitié en espèces. “Ça faisait partie de l’arrangement, mais j’étais bien obligée de trouver un logement. À l’époque [en 2021], on était dans un 12 mètres carrés et on avait besoin de plus d’espace“, se justifie-t-elle.
Pourtant, un premier arrêté préfectoral d’urgence avait été pris le 11 avril 2023. Il mettait alors en demeure le propriétaire de remédier “au danger imminent pour la santé ou la sécurité des personnes concernant la présence de sources de plomb accessibles à des concentrations supérieures ou égales aux seuils réglementaires dans certains revêtements et peintures dégradés“. L’arrêté souligne également le risque de saturnisme auquel sont exposés les deux enfants mineurs de la famille. “Dans cet arrêté, il est indiqué que c’est au propriétaire de nous reloger ou à défaut à l’État. J’ai relancé le propriétaire pour qu’il fasse des travaux, j’ai même voulu porter plainte au commissariat, mais on m’a découragé. De toute façon rien n’a été fait. La mairie est au courant de la situation depuis plus d’un an. Mes enfants ne sont pas des délinquants. Je travaille, je suis aide-soignante, j’enchaine des journées parfois de 6 heures à 22 heures. Et c’est l’État qui me met en précarité ! Ça arrive en pleine trêve hivernale. C’est absurde“, s’emporte-t-elle.
“Comme c’est un arrêté de péril, la trêve hivernale ne joue pas. Mais c’est une situation absolument anormale. Cette famille se retrouve traitée comme s’il s’agissait de personnes qui ne payaient pas leur loyer. C’est surtout incroyable parce que ça fait un an que l’on sait qu’il y a du plomb. Des expulsions de gens qui se plaignent de leur logement insalubre, il y en a malheureusement beaucoup. Mais, c’est la première fois que je vois ça : en principe, le risque de saturnisme, avec la présence d’enfants, aurait dû entrainer la mise en sécurité de cette famille“, estime Jean-Marc Bourquin, de l’association Droit au logement à Plaine Commune. Sollicitée, la préfecture n’a pas pour l’instant donné suite à nos demandes.
Une file d’attente de 2 500 demandeurs de logements sociaux
De son côté, la ville de Pierrefitte assure faire le nécessaire pour trouver à reloger cette famille. “Au départ, il y a un dysfonctionnement. L’Etat se défausse sur les collectivités. Nous nous sommes retrouvés bloqués, parce que le propriétaire n’en ont rien à faire. La ville doit s’y substituer. Mais, elle n’a pas d’énormes capacités en termes de logement“, explique Christian Pernot, premier adjoint en charge notamment du logement, qui estime de 20 à 30 le nombre de logements sociaux à sa disposition pour une file d’attente d’un millier de demandeurs pour un quatre pièces, surface équivalente au besoin de la famille (plus de 2 500 de logements sociaux intra-Pierrefitte). L’élu déplore par ailleurs l’absence de demande Dalo (droit opposable au logement) dans ce dossier. “Si la famille avait suivi les conseils d’accompagnement depuis l’arrêté d’insalubrité, cette situation aurait peut-être pu être accélérée. Mais, en aucun cas elle ne se retrouvera à la rue. Maintenant, on travaille activement à trouver une solution en regardant en particulier les possibilités de la commune nouvelle de Saint-Denis [qui deviendra effective au 1er janvier 2025]. Nous avons aussi proposé au garçon d’intégrer l’internat du collège de la ville dont il élève“, souligne-t-il.
Proposition que refuse catégoriquement le fils. Ironie de cette situation, il est un des élus du conseil municipal des collégiens. “Il s’est beaucoup impliqué dans ce rôle. Il a d’ailleurs participé le 11 novembre aux commémorations de l’armistice avec tous les autres élus. Mais, visiblement, sa situation n’a touché personne. Aucune réaction. Aucun appel. Comment voulez-vous qu’il croit aux valeurs de la République s’il constate que des règles existent, mais seulement sur le papier, et qu’elles ne sont pas appliquées ? C’est pour cela que je vais me battre, pour faire valoir mes droits. J’irai en justice s’il le faut“, se prépare la mère.
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