Politique | | 22/02
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À Saint-Denis, l’opposition claque la porte du conseil municipal

À Saint-Denis, l’opposition claque la porte du conseil municipal © Ville Saint-Denis

Il aura fallu un peu moins de 2h30 de débat avant que les élus de l’opposition ne quittent les bancs du conseil municipal de Saint-Denis, le jeudi 8 février. Sur fond désaccord sur le budget participatif 2024-2025, c’est bien la fusion éclair entre Saint-Denis et Pierrefitte, annoncée il y a moins d’un an et prévue pour le 1er janvier 2025, qui échauffe les esprits.

C’est fini, on se casse“, lâche Sophie Rigard, conseillère municipale d’opposition (SE), alors qu’elle avait demandé et obtenu une suspension de séance. Quelques minutes auparavant, le maire (PS) de Saint-Denis, Mathieu Hanotin, lui avait coupé le micro en pleine déclaration dans le cadre du vote sur le budget participatif 2024-2025.

À la suite de Laurent Russier, l’ancien maire (PCF) de Saint-Denis et président du groupe Saint-Denis à Gauche, les élus de l’opposition ont ensuite quitté l’hémicycle. “Vous allez pouvoir reprendre l’ordre du jour, mais sans nous. Nous décidons de quitter l’assemblée. Pour nous, le sujet du budget participatif, c’était l’occasion de parler de votre manquement en termes de démocratie (…) On voit bien que ça vous gêne, c’est d’ailleurs symptomatique que ce soit sur ces sujets-là de démocratie que vous nous coupiez la parole, mais ce n’est pas la première fois“, a-t-il justifié.

Dérapage sur le budget participatif

La nouvelle municipalité a souhaité en 2020 renouveler le pacte démocratique avec les habitants” qui “est donc, trois petits points, le budget participatif, c’est-à-dire un dispositif qui existe en France déjà depuis dix ans et surtout qui préexistait largement à votre élection. C’est dire l’audace de votre mandat en matière de démocratie“, avait commencé par ironiser Sophie Rigard. Puis de pointer l’abandon du projet d'”atelier citoyen” promis par Mathieu Hanotin durant la campagne électorale de 2020 pour “fédérer les conseils citoyens de quartier“. “Votre budget participatif, il est techno, il est verrouillé“, a asséné l’élue, déplorant l’absence de projets “pour faire vivre le lien social“, comme des repas et des fêtes de quartiers, ou encore de projets portés par les jeunes.

Toutefois, c’est le reproche sur l’absence d’analyse sur la rixe qui a endeuillé la ville en janvier qui a fini par agacer le maire de Saint-Denis.

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Madame Rigard, soit vous revenez au budget participatif, soit je vais arrêter votre intervention“, a alors prévenu l’édile. “En fait, monsieur le maire, je parle de ce que je veux, quand je veux et j’ai la parole“, a-t-elle rétorqué. “Eh bien, vous ne l’avez plus“, a interrompu Matthieu Hanotin, pour qui la conseillère d’opposition était “complètement hors sujet“. “Je vous signale que, au terme de l’article 4.4 et 4.8 de notre règlement, un conseiller municipal n’a pas le droit de s’écarter complètement du sujet sur lequel nous débattons“, a-t-il motivé.

La fusion en filigrane

En toile de fond, c’est toutefois le projet de fusion entre Saint-Denis et Pierrefitte-sur-Seine qui a tissé le fil de la confrontation en conseil municipal “Vous choisissez d’orienter ce budget participatif sur la commune nouvelle. Quel décalage, quelle déconnexion“, a d’ailleurs raillé Sophie Rigard. La particularité de cette “saison 2” du budget participatif présenté par la municipalité élue depuis 2020, est, en effet, que Pierrefitte-sur-Seine y est associée. Campagne de communication commune, vote des habitants sur la même plateforme, ce budget participatif est déployé par les deux villes pour la première fois. En conséquence, son enveloppe financière est portée à 1,2 million d’euros, soit 20% de plus que le précédent. Pour Matthieu Hanotin, ces projets vont même “incarner” la future ville fusionnée de Saint-Denis. Une partie des projets porteront ainsi le label “commune nouvelle“.

Or, le projet de fusion ne passe toujours pas pour l’opposition qui accuse régulièrement Matthieu Hanotin d’éluder la concertation avec la population et réclame un référendum. “Permettez-nous de douter, encore une fois, de vos intentions sur cette commune nouvelle. Il y a un an, vos motivations étaient très floues et le temps n’a rien fait à l’affaire. Depuis le 5 avril, vous n’en avez pas marre de brasser du vent?“, avait déjà taclé Sofia Boutrih (PCF) avant le débat sur le budget participatif, à l’occasion d’un point d’étape sur la fusion.

“Nous sommes droit dans nos bottes : nous sommes contre cette fusion. Il est important de rappeler qu’en 2020, vous n’avez jamais dit dans votre programme municipal que vous n’avez jamais dit que vous alliez faire une fusion de commune“, a-t-elle poursuivi, invitant Mathieu Hanotin à présenter son projet de fusion plutôt lors des élections municipales de 2026.

Sofia Boutrih a par ailleurs porté la critique sur les enjeux financiers de la fusion. “Au moment où vous avez annoncé votre fusion, on ne connaissait pas les moyens financiers et RH [ndlr, des ressources humaines] de Pierrefitte. Maintenant, on a pu éplucher le rapport de la chambre régionale des comptes. La situation financière de Pierrefitte dégradée (…) est due à une mauvaise gestion de la ville par Michel Fourcade et sa majorité. Cette fusion-absorption nous entraine dans une dynamique financière périlleuse. On peut imaginer que dans le secret des discussions que vous avez eues au départ, vous avez pour simple but de sauver le soldat Fourcade“, a-t-elle accusé.

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Un rapport de la CRC sur Saint-Denis attendu

Mais, pour elle, “ce ne sont pas les dotations obtenues qui vont permettre d’absorber tous les investissements à venir parce que la situation financière de Saint-Denis est fragile et les capacités d’investissement sont limitées. Et là, c’est la chambre régionale des comptes qui le dit, cette fois-ci dans un rapport pour la ville de Saint-Denis que nous aurons à examiner dans les prochains mois. Elle alerte, comme nous l’avons fait à plusieurs reprises, en disant que si vous voulez tenir vos engagements en termes d’investissement, il va falloir faire un plan d’économies sur le fonctionnement. Donc, la fusion-absorption va conduire à encore plus d’économies sur les services publics dyonisiens“, a encore lâché Sofia Boutrih.

Vous dites des choses illégales. M. Russier vous a manifestement transmis un document confidentiel qu’il n’avait pas à vous transmettre. Ce qui s’est passé est scandaleux. Vous y avez fait référence alors que vous n’avez pas le droit de le faire. C’est un document qui sera débattu publiquement. En faire état comme cela, c’est anormal et illégal“, a recadré le maire de Saint-Denis. “Un document provisoire ne peut attester votre démonstration par ailleurs. Pour connaitre ce document, vous en avez largement tordu et l’esprit et la lettre. Il y est souligné le redressement des finances de la ville sur ces quatre dernières années, tout en développant d’imposantes politiques nouvelles !”

Les municipales de 2026 feront office de référendum

Sur le fond, Mathieu Hanotin a dit sa surprise de “l’évolution du parti communiste de Saint-Denis vers la culture référendaire.” “Oui, il y aura un référendum et ce sera mars 2026. Je vous mets au défi d’inscrire la dé-fusion dans votre programme pour les élections municipales. Je prends le pari que ce [n’en] fera pas partie parce que la commune nouvelle va incarner dès le 1er janvier 2025 un certain nombre de progrès de politiques publiques. Il y a, à l’évidence, un besoin de rattrapage de service public qui est plus fort à Pierrefitte qu’à Saint-Denis. Mais, vous êtes contre cette solidarité?“, a questionné le maire avant de lister les avancées attendues. Au programme : une police municipale qui fonctionnera 24h24 et 7 jour sur 7 dans les deux villes dès le 1er janvier 2025, la cantine gratuite de la maternelle au CE2 également étendue à Pierrefitte… Mathieu Hanotin a, par ailleurs, assuré que “les impôts n’augmenteront pas” avant la fin du mandat. “Ce ne sont pas les Dyonisiens qui paieront cette fusion.”

Sur la forme, l’édile ne s’est pas privé de moquer les arguments de l’opposition. “Il faudrait choisir votre argument : un coup c’est Fourcade qui vient sauver Hanotin qui a peur de perdre et un coup c’est l’inverse. Tout ça n’est pas très clair dans votre approche politique. Si nous sommes massivement rejetés comme vous le décriez ici et là, vous n’avez pas à vous inquiéter. La liste que vous incarnerez, sera à l’évidence majoritaire.”

À l’issue de ce conseil municipal, le groupe Saint-Denis à gauche a fait savoir qu’il avait saisi le préfet de Seine-Saint-Denis.

Fusion Saint-Denis – Pierrefitte : où en est-on  ?

Pour rappel, l’entrée en vigueur de la commune nouvelle est fixée au 1er janvier 2025. D’ici à la fin du printemps, les deux municipalités doivent consulter les conseils sociaux territoriaux (CST) sur les impacts de la fusion en matière de ressources humaines. Après une première rencontre avec les organisations syndicales, elles ont mis en place des “rencontres sociales de projet” qui doivent se tenir fin mars et fin avril. Les deux municipalités doivent également créer une “commission municipale unique” qui réunira au moins deux fois les élus sur le projet de fusion. À l’été, les deux conseils municipaux voteront la délibération de création de la commune nouvelle, avant l’arrêté du préfet de Seine-Saint-Denis qui formalisera celle-ci. Parallèlement, la population est associée au processus via un site interne, des débats mobiles, des “ambassadeurs” au nombre d’une quarantaine issus des deux villes, ainsi qu’une réunion publique avant juin prochain.

La phase transitoire, entre janvier 2025 et mars 2026, a été affinée. Les deux communes déléguées seront conservées, mais avec un maire à la tête de la commune nouvelle. Seront encore à déterminer le nombre d’adjoints dans chacune d’elle, mais tous les élus ont vocation à terminer leur mandat. Pendant un an, les deux municipalités fonctionneront alors en format plénier, avec un conseil élargi aux 94 élus. La commune déléguée de Saint-Denis a vocation à disparaître après mars 2026. Au total, le budget de la fusion représente, pour 2024, 600 000 euros. Un montant qui couvre l’ensemble des coûts en matière de ressources humaines et des appels à maitrise d’ouvrage (cinq dont quatre portés par la commune nouvelle et un par l’établissement public territorial Plaine Commune).

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