Ce samedi 16 mars à 12 heures précises, l’enquête publique sur le Schéma directeur environnemental d’Ile-de-France (Sdrif-E) s’achèvera. En attendant, le débat chauffe, entre citoyens, et entre politiques. Ce document, objet d’un affrontement droite-gauche à bas bruit, revêt une importance stratégique puisqu’il fixera de grandes règles sur quinze ans pour répondre à l’urgence climatique, au besoin de logements et de transport, et encore de rééquilibrage économique territorial.
Comment concilier crise climatique et développement de l’Ile-de-France ? C’est sur cette ligne de crête que le conseil régional d’Ile-de-France a révisé de son schéma directeur : le Sdrif à l’horizon 2040, auquel s’est ajouté un E pour environnemental.
Sdrif, PLU, PLUI, Scot : au-delà des sigles, les différents échelons du pouvoir
Pour comprendre le contexte réglementaire dans lequel s’inscrit le schéma directeur régional, un petit lexique s’impose, qui donne à voir les différents niveaux de pouvoir politique local qui ont voix au chapitre. Car l’urbanisme, c’est d’abord l’apanage des maires qui délivrent les permis de construire. Un pouvoir essentiel de décider où bétonner, verdir, ou encore créer une nouvelle liaison, qui passait historiquement par le Plan local d’urbanisme (document détaillé qui précise, par exemple, si, dans telle rue, on peut construire à telle hauteur, et sur quelle surface). Désormais, ce PLU n’est plus voté au niveau municipal, mais intercommunal. En effet, en 2016, deux niveaux supplémentaires de gouvernance ont été créés dans l’agglomération parisienne : La Métropole du Grand Paris, une grande intercommunalité de 136 communes, et douze EPT (établissements publics territoriaux), à savoir onze intercommunalités de plus petite dimension, et Paris). Ce sont désormais les EPT qui votent le PLU intercommunal, qui s’appelle maintenant le PLUI.
Lire : Mille-feuille communal du Grand Paris : la face cachée des municipales
De son côté, la Métropole du Grand Paris a voté son SCOT (Schéma de cohérence territoriale), pour donner de grandes orientations. Celui-ci s’impose aux PLUI. Encore au-dessus, s’imposant au Scot, la région définit son Sdrif-E, à savoir son Schéma directeur régional Ile-de-France environnemental. Une fois approuvé par le Conseil d’État cet été, la dernière version du Sdrif-E deviendra le nouveau cadre de référence en matière d’aménagement urbain au niveau francilien.
Le Sdrif doit, pour sa part, tenir compte d’autres outils de planification comme le plan de gestion des risques d’inondation (PGRI), le schéma régional de cohérence écologique (SRCE), ou encore les schémas de services collectifs (enseignement supérieur et recherche, culture, santé, information et communication, énergie, espaces naturels et ruraux, sport).
“Pour la première fois, le Sdrif-E met la nature et le vivant au cœur de son élaboration, et fait primer leur protection vitale sur les consommations inhérentes au développement“, motive Valérie Pécresse, la présidente (LR) du conseil régional, en préface du document. Intitulé “Ile-de-France 2040, un nouvel équilibre“, il s’accompagne de 148 orientations règlementaires, organisées en cinq objectifs (environnement, ressources, cadre de vie, économie et mobilité), d’une étude environnementale et de trois cartes règlementaires, détaillant le développement urbain, les espaces naturels et les espaces de développement économique. Son objectif est de maîtriser la croissance urbaine et démographique, ainsi que l’utilisation de l’espace, tout en garantissant le rayonnement international de la région. Voir le document
Enquête publique jusqu’au 16 mars à midi
Une enquête publique se tient actuellement pour que les citoyens formulent leurs remarques sur le Sdrif-E. Plusieurs milliers de contributions ont déjà été déposées en ligne. Le site est ouvert jusqu’au vendredi 16 mars à 12 heures.
Participer à l’enquête publique
E comme environnement
Premier objectif donc, l’environnement, urgence climatique oblige. Le Sdrif-E se veut donc sans émissions nettes de gaz à effet de serre (Zen), sans artificialisation nette (Zan) et sans déchets, grâce à l’économie circulaire. En bref : Zen, Zan et circulaire. Il prévoit notamment de réduire la consommation foncière de 20% par décennie jusqu’en 2050, date à partir de laquelle toute nouvelle artificialisation devra faire l’objet d’une renaturation équivalente. Concrètement, cette trajectoire correspond à ouvrir un maximum de 14 700 hectares à horizon 2050, dont 10 650 hectares à horizon 2040 “La région a décidé d’enclencher la révision du Sdrif avant que la loi ne le lui impose. Soit près d’un an avant que la loi climat et résilience du 22 août 2021 oblige toutes les régions à revoir leurs documents d’urbanisme, notamment pour intégrer la trajectoire zéro artificialisation nette (ZAN)”, explique Jean-Philippe Dugoin-Clément, vice-président de la région en charge du projet, et maire UDI de Mennecy (Essonne). “Le Sdrif de 2013 n’était plus adapté, même si tout n’était pas mauvais. Il a été adopté dans un monde de l’avant-Covid, à une époque où la question du réchauffement climatique n’était pas encore prise à sa juste mesure. C’était d’ailleurs un Sdrif d’extension urbaine qui ouvrait jusqu’à 1 300 hectares d’artificialisation annuel“, poursuit-il.
Un objectif qui ne va pas encore assez loin pour certains. “La région peut s’affranchir du ZAN contrairement aux autres régions qui doivent adopter un schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET)“, regrette Muriel Casalaspro, conseillère régionale et cosecrétaire départementale EELV en Seine-Saint-Denis. “L’Ile-de-France, c’est 23% d’urbanisation. C’est le territoire le plus urbanisé du pays. Sur le territoire de la Métropole, on est à 84%”, objecte aussi Francis Redon, résident de l’association Environnement 93, qui remet en cause le concept de ZAN. “Nous militons pour le zéro artificialisation brute parce qu’on ne pourra pas reconstituer, par exemple, les terrains agricoles que l’on détruit aujourd’hui. La compensation nette n’a aucun sens. On aurait pu imaginer que le conseil régional se saisisse du Sdrif-E pour essayer de corriger. Mais, au contraire, il s’est donné des objectifs qui sont dérisoires par rapport à l’urgence climatique. On n’atteindra jamais en 2050 les objectifs de la loi concernant le ZAN. L’urgence climatique est déjà là. Si on ne fait rien, on aura déjà d’ici 2030 des populations dans des situations encore plus fragiles“, poursuit-il.
Dans son avis, l’Autorité environnementale recommande également “de revoir la trajectoire permettant de parvenir à l’absence d’artificialisation nette en 2050.” Voir son avis
Un avis que Jean-Philippe Dugoin-Clément estime “socialement irresponsable”, notant que l’État ne le partage pas. “On ne peut pas faire en Ile-de-France ce que l’on fait dans d’autres régions. Sur 4% du territoire, l’Ile-de-France, c’est 31% du PIB pour 18% de la population. Il n’y a pas d’autre région aussi dense et aussi intense dans l’Union européenne, en tout cas dans le périmètre de la Métropole du Grand Paris. Et aucune autre région n’a fait autant d’efforts pour réduire l’artificialisation. En trente ans, elle a été divisée par quatre“,détaille-t-il. “Moins 20% c’est une trajectoire ambitieuse par rapport aux marges de manœuvre réelles que l’on a, si l’on veut faire des lignes de transports en commun, la production d’énergies renouvelables, et tenir compte des projets de l’État. Je rappelle par ailleurs que 77% du territoire est classé ENAF (espace national agricole et forestier). En 2040, on sera à 76%“, ajoute-t-il.
De la ville du quart d’heure à la région des vingt minutes
Autre gros enjeu pour la région, s’émanciper de la centralité parisienne, encore très prégnante aujourd’hui. Pour Valérie Pécresse, il s’agit de “casser cette logique mortifère du “métro-boulot-dodo”, des déplacements pendulaires trop longs et des banlieues dortoirs, ou pire des banlieues ghettos.” Dans ce contexte, le schéma divise la région en différents basins de vie.
Le futur métro périphérique Grand Paris Express devrait contribuer à cette stratégie, en évitant de repasser systématiquement par Paris pour aller d’un pôle à l’autre de la banlieue. La région prévoit par ailleurs 770 km de nouvelles lignes de transports collectifs, dont 240 km de lignes ferrées. Des villes comme Drancy, qui reste la dernière ville de plus de 80 000 habitants à ne pas avoir d’offre de transport structurante, appellent également leurs administrés à s’emparer de l’enquête publique pour “pousser” l’extension de la ligne 7.
“La région décrète 27 centralités et 113 polarités. Mais il s’agit de territoire prescrit et non vécu. On ne sait pas comment des emplois vont arriver par miracle dans les villes qui en manque et à l’inverse comment créer du logement dans des villes où il y a beaucoup d’emplois“, critique toutefois Murielle Casalaspro, conseillère régionale écologiste et co-secrétaire départementale EELV 93.
“Quand on parle de région polycentrique, c’est une Ile-de-France que l’on souhaite plus résiliente et plus autonome par rapport à l’épicentre parisien. C’est, au fond la théorie de ville du quart d’heure de Carlos Moreno, appliquée à travers l’idée de région des 20 minutes. Pour cela, on veut s’appuyer sur des polarités qui soient assez fortes pour permettre aux Franciliens des parcours de vie à proximité de chez eux”, défend Jean-Philippe Dugoin-Clément qui veut dépasser les critiques sur l’approche sociale du schéma d’aménagement proposé par le Sdrif-E.
Rééquilibrage social et économique
Le point qui divise sans doute le plus la droite et la gauche concernant le Sdrif-E est toutefois le rééquilibrage social et économique du territoire. “La présidente de région indique dans la préface du document que le rééquilibrage Est-Ouest est accompli. Quand le taux de pauvreté moyen en Ile-de-France est de 15% et qu’il est à peu près toujours du double en Seine-Saint-Denis, nous ne le considérons pas. Ce n’est pas parce que la région a construit son siège à Saint-Ouen que ça suffit à régler les inégalités et les déséquilibres“, tacle ainsi Stéphane Troussel, président socialiste de Seine-Saint-Denis. “Loin de s’attaquer aux inégalités sociales et territoriales flagrantes dans la région la plus riche d’Europe, le projet de la droite porte une vision étriquée, partisane et éloignée des besoins des habitants“, dénonce Céline Malaisé (PCF), la présidente du groupe Gauche communiste, écologiste, citoyenne du conseil régional, à l’initiative d’une rencontre sur le Sdrif-E, accueillie en mairie de Montreuil début mars.
Sur ce sujet, la question qui fâche le plus est celle du logement social. Si le Sdrif-E reprend l’objectif de 25% de logement social obligatoire dans chaque commune requis par la loi solidarité et renouvellement urbain (SRU), il l’assortit, en effet, d’un plafond “anti-ghetto“. Celui-ci consiste à “ne pas construire plus de 30 % des logements très sociaux (PLAI-PLUS) par commune, de façon à y assurer une réelle mixité sociale“.
Pour Eric Pliez, maire (Paris en Commun) du 20ème arrdt, cette mesure “nous condamne à ne plus accueillir. Mais elle va aussi aggraver la situation puisque si on va vers cette solution, c’est une chute de la production [de logements sociaux] de plus de 20%. La situation est dramatique. Le nombre de sans-abris a Paris a augmenté de 7%. Un chiffre pour le 20ème : chaque année, nous avons 240 logements attribués, cela représente 0,1% de la demande. On ne construit plus et on ne sort plus du logement social“, constate l’édile qui est aussi président du Paris Habitat.
Dans un contexte où le nombre de demandes de logements sociaux a presque doublé en dix ans (783 000 ménages selon l’Institut Paris Région), “les délais d’attente, c’est au minimum 10 ans pour les chanceux. Comment imagine-t-on de construire une famille dans une société qui ne construit pas de logement social? Vous avez des villes dans le Val-de-Marne, département que je connais, qui plafonnent à 1,5%, membre de la Confédération nationale du logement“, souffle encore Hervé Corzini, membre de la Confédération national du logement. “80% des familles en Ile-de-France sont éligibles au logement social. Donc, le logement social, ce n’est pas le problème, c’est la solution“, assure Delphine Valentin, directrice générale d’IDF habitat.
“On défend une Ile-de-France agréable à vivre pour tous, et le maintien de la production de 70 000 logements par an prévue par la loi sur le Grand Paris. Mais, nous voulons deux tiers [sur ce volume] de logements qui soient accessibles, ce qui n’a jamais été fait, c’est-à-dire de logements intermédiaires, d’accession à la propriété et de bail réel solidaire, réagit sur ce point Jean-Philippe Dugoin-Clément. Dans des quartiers qui sont déjà totalement paupérisés, il est irresponsable de vouloir continuer à les fragiliser en ne créant pas de mixité.”
Maintenant que tout est bétonné dans un rayon de 25 km autour de Paris, que la ceinture maraichère a été remplacée par des lotissements, des voies rapides ou des champs remembrés, et que la séparation entre banlieues riches et banlieues populaires, dites aussi “les quartiers”, avec un entassement des population immigrées, et que tous les moyens de transport dans un rayon de 50 km sont saturés, on nous parle de protection de la nature, de verdissement, de zéro artificialisation nette, de pureté de l’air …
L’art de se fiche du monde. Mais cela permet de faire grossir le mille feuilles administratif.
“et que la séparation entre banlieues riches et banlieues populaires [ … ] est irréversible { … ]
N'envoyez que des photos que vous avez prises vous-même, ou libres de tout droit. Les photos sont publiées sous votre responsabilité.