Des vendeurs du Centre international de commerce de gros France-Asie (le marché Cifa) d’Aubervilliers sont attendus au tribunal correctionnel de Paris ce mardi, aux côtés de trafiquants de cannabis marocain. Ils sont accusés d’avoir contribué au blanchiment de leur trafic de drogue. L’opération, qui reposait sur un savant système de compensation d’une rive à l’autre de la méditerranée, était parfaitement rodée.
Au total, 21 personnes âgées de 34 à 60 ans, dont des grossistes d’origine chinoise et des trafiquants marocains, sont poursuivies pour blanchiment en bande organisée et association de malfaiteurs. Huit sociétés, spécialisées dans l’import-export de produits textiles, sont également appelées à comparaître pour les mêmes faits devant le tribunal correctionnel. Le procès est prévu jusqu’au 29 mars. Les prévenus encourent jusqu’à dix ans de prison.
L’affaire, qui a inspiré une saison de la série télévisée à succès “Engrenages”, remonte à 2014, quand la Brigade de recherches et d’investigations financières (Brif) de la police judiciaire parisienne, identifie un réseau de blanchiment agissant sous couvert d’une société spécialisée dans l’import-export de produits textiles, gérée par un couple de ressortissants chinois. L’enquête a mis au jour un système complexe de “compensation” pour “blanchir” de l’argent provenant d’un trafic de résine de cannabis importée du Maroc via l’Espagne.
Une fois intégrés dans le flux des fonds provenant de leur commerce légal, les grossistes chinois opéraient des transferts pour un montant équivalent – moins une commission d’environ 5% – à destination de membres de la communauté chinoise implantés à l’étranger. Ces derniers remettaient ensuite les fonds en espèces aux complices des trafiquants.
Des perquisitions ont permis la saisie de près de 600 000 euros en espèces, pour la plupart dissimulés à l’intérieur de mannequins ou compactés dans des emballages similaires à ceux utilisés en matière de stupéfiants.
Un processus de blanchiment en quatre étapes
Selon les enquêteurs, le schéma du blanchiment s’articulait autour de quatre grandes phases successives.
D’abord un “flux massif d’espèces” en provenance pour partie du trafic de stupéfiants, récupéré et centralisé par des collecteurs et transporteurs souvent d’origine nord-africaine.
Ces espèces étaient ensuite acheminées via des collecteurs au sein de la communauté des grossistes chinois du Cifa, puis transformées en virements bancaires à destination de la Chine, “le tout agrémenté des commissions de rigueur sur lesquelles prospérait cette criminalité financière”.
Ouvert fin 2006, le Cifa, parfois surnommé le Rungis de la fringue, rassemble quelque 700 grossistes de prêt-à-porter à Aubervilliers, en place d’un ancien site sidérurgique.
Le Saraf, banquier du blanchiment
Parmi les moyens utilisés par les trafiquants pour récupérer l’argent de leur commerce illégal, il y avait aussi l’achat de textiles aux grossistes chinois dans le but de les revendre à d’autres grossistes au Maroc.
Au centre de ce trafic trônait le “saraf”, une sorte de banquier occulte résidant au Maroc et grand absent de ce procès.
Selon les enquêteurs, le système fonctionnait comme suit. Un premier client du “saraf”, soit un homme d’affaires marocain, souhaite acquérir un stock de marchandises auprès d’un fabricant chinois mais sans payer les taxes frappant les importations au Maroc. Il règle l’essentiel de sa facture, par exemple 90%, en dirhams au “saraf” marocain, qui remet ensuite ces dirhams à un second client (souvent un trafiquant de stupéfiants marocain) après avoir prélevé une commission.
En échange, le trafiquant fait remettre les euros de son commerce illégal aux collecteurs du “saraf” en Europe, qui les versent ensuite à des commerçants chinois en Europe en lien avec les usines de production en Chine.
La société marocaine passe alors commande officiellement auprès de l’usine chinoise pour une marchandise dont la valeur est minorée de 90% avec l’accord du fournisseur. Elle règle donc 10% de la valeur de la marchandise, les 90% restant correspondant à la somme versée au “saraf” et depuis remise aux commerçants chinois. La marchandise est livrée au Maroc et taxée sur la valeur annoncée (10%) sur la base de fausses factures.
“Les sommes blanchies apparaissaient comme considérables au cours des années 2014 et 2015 sur lesquelles portaient les investigations”, ont souligné les enquêteurs. Au cœur du trafic, “le Cifa d’Aubervilliers constituait la plaque tournante en France du blanchiment international”, ont-ils affirmé.
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