L’empathie pour lutter contre le harcèlement scolaire ? À Bonneuil-sur-Marne, l’école Romain Rolland B a testé le principe, bien avant que le gouvernement n’envisage des cours d’empathie. D’abord dans trois classes, puis cette année à l’échelle de ses 180 élèves, l’école a expérimenté la méthode Tatou Kompry développée par la psychopédagogue Marie-Pierre Lescure. Un ensemble de jeux, routines et principes qui ont progressivement changé les réactions à chaud, apaisant les situations les plus tendues. Au-delà, la démarche, qui vise à développer la confiance en soi, permet aussi aux élèves de mieux s’investir dans les apprentissages. Reportage.
Parmi les outils, par exemple, le cercle de paix. Les enfants se mettent en rond et se transmettent un bâton de parole pour énoncer à voix haute la dernière contrariété qu’un ou une de leur camarade leur a fait ressentir. L’objectif, explique un enseignant, désamorcer les tensions entre élèves. “Hedy parfois il m’embête et me pique la balle” lance Souleymane. Hedy veut répondre, l’une des enseignantes le retient : “on ne répond pas, on écoute“. Le cercle de paix permet à l’un de s’exprimer, à l’autre de se remettre en question. En résulte “une vie de classe apaisée, une cohésion de groupe renforcée“, développe l’enseignante. Après le cercle de paix, vient le cercle d’entraide, “les enfants réfléchissent à une solution ensemble pour apaiser le conflit” qui s’achève sur “un câlin ou un « check » de la main” comme tient à le préciser un petit garçon à lunettes.
Porté par l’association Educ’AT, créée par la psychopédagogue Marie-Pierre Lescure, le projet a été déployé dans les onze classes de l’école située en quartier prioritaire de la ville (QPV), après une première expérimentation dans trois classes l’an dernier. “La méthode Tatou Kompry, c’est un guide pour toute la vie, qui permet à l’enfant de connaître ses émotions, d’avoir les ressources en lui-même et, s’il ne les a pas, d’aller les chercher à l’extérieur” résume Marie-Pierre Lescure.
Pas de cas de harcèlement et pas de départ d’enseignant
La méthode a-t-elle fonctionné ? “Cette année, l’école n’a déclaré aucune situation de harcèlement et, contrairement aux années précédentes, il n’y a eu aucune demande de mouvement (transfert d’établissement dans le jargon de l’Éducation nationale) de la part des enseignants”, annonce la directrice, Ilhem Yousfi, ce vendredi 7 juin, alors qu’une après-midi de clôture de l’expérience et de présentation aux parents est organisée. “Les enfants ont gagné en confiance, en sens du collectif. Et les enseignants ont changé leur regard sur les élèves et sur leurs pratiques professionnelles“, poursuit la directrice.
“À la maison, les enfants sont plus à l’aise pour parler de leurs émotions“
Du côté des enseignants, ce laisser-passer des émotions dans la classe, sans tabou, est nouveau. “À la maison, les enfants sont plus à l’aise pour parler de leurs émotions“, remarque une mère. “Avant je ne parlais jamais avec les filles de ma classe, aujourd’hui je joue avec elles“, confie pour sa part Youssef, élève de CM2.
Désamorcer les tensions par l’écoute, par l’empathie
La directrice se souvient aussi de l’an passé. Un élève avec des troubles d’apprentissage, qui “multipliait tous les maux de la terre“, était arrivé dans l’école, avec un comportement agressif vis-à-vis de ces camarades. Une situation qui aurait pu faire exploser la classe, mais a été gérée directement par les élèves, déjà convertis à la méthode, qui ont réagi par l’empathie, en essayant de comprendre ce qui n’allait pas, pour désamorcer. “Un élève perturbateur, c’est d’abord un élève qui ne va pas bien“, insiste Marie-Pierre Lescure.
Autre outil de la méthode en démonstration ce vendredi : l’atelier “des petites chaises”. Les enfants déambulent autour des adultes, assis les yeux fermés, en leur glissant des compliments à l’oreille. Tantôt un “je t’aime“, tantôt un “tu es belle“. Une enseignante explique : “On met en place cet atelier quand un enfant n’est pas dans son assiette. Ils en ressortent heureux et apaisés.”
Développer la confiance en soi
“Je suis gentille“, “je sai bien faire de la trottinette, je suis formidable“, “ja daure mes coupins“. Les messages positifs ne s’adressent pas qu’aux autres, mais également à soi-même, qui ornent les murs jaunes et orange du hall de l’école, bien visibles. Car la confiance en soi fait partie des objectifs visés, essentiels pour se donner la motivation de progresser.
L’un des objectifs est de développer les compétences pychosociales des élèves, développe la directrice. Nous avons constaté que les élèves en situation d’échec scolaire sont souvent empêchés par un manque de confiance en eux, lié notamment à une situation socioéconomique compliquée.” L’approche par le savoir être contribue à la fois à apaiser le climat, mais aussi à donner confiance.
Le harcèlement scolaire : un fléau endémique
Fléau endémique dans les établissements scolaires, le harcèlement concerne 5% des écoliers du CE2 au CM2, 6% des collégiens et 4% des lycéens, selon une enquête nationale menée en novembre 2023. En réaction, le programme PHARE, programme de lutte contre le harcèlement scolaire, a été déployé sur l’ensemble du territoire depuis la rentrée scolaire 2023. Il impose la constitution d’une équipe ressource au sein de chaque établissement pour gérer les situations de harcèlement.
Créer des ambassadeurs
L’année scolaire touche à sa fin, mais le programme sera reconduit l’an prochain dans l’école. Et il essaimera aussi au collège, car les élèves de Romain Rolland B s’en feront les ambassadeurs.
N'envoyez que des photos que vous avez prises vous-même, ou libres de tout droit. Les photos sont publiées sous votre responsabilité.