Malgré les demandes des riverains, relayées dans un courrier signé par de nombreux maires et parlementaires locaux, d’étendre le couvre-feu à l’aéroport d’Orly, le gouvernement vient de proposer un arrêté qui y renonce totalement. L’arrêté, soumis à consultation, retient le scénario le plus light proposé pour tenter de réduire le niveau de décibels la nuit.
Alors que les nuisances sonores liées aux atterrissages et décollages à l’aéroport d’Orly dépassent le seuil recommandé par l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), l’État avait lancé une Étude d’impact selon l’approche équilibrée (EIAE) pour réduire le bruit de six décibels, entre 22h et 6 h du matin, autour de l’aéroport. Pour l’heure, en effet, le couvre-feu ne commence qu’à 23h30 et s’arrête à 6 heures, ne laissant que 6h30 de répit la nuit aux riverains.
L’étude commanditée par l’État a été menée par CGX Aero, cabinet spécialiste des traitements de données aéronautiques, a abouti à trois scénarios dont deux auraient modifié les horaires de couvre-feu. Voir ci-dessous.
Les trois scénarios en débat
Scénario A : maintien du couvre-feu actuel et interdiction des vols les plus bruyants à partir de 22 h
Scénario B : interdiction des vols les plus bruyants à partir de 22 h et interdiction des décollages à partir de 23 h
Scénario C : extension du couvre-feu de 23 h jusqu’à 6 h et interdiction des vols les plus bruyants à partir de 22 h.
Durant plusieurs mois, l’espoir de bénéficier d’une heure de tranquillité en plus la nuit est ainsi rené parmi les riverains et leurs élus locaux. Cosigné par plus de 200 maires et parlementaires, un courrier commun avec des associations de riverains a ainsi été remis à la préfète puis au Premier ministre, plaidant notamment pour un rallongement du couvre-feu d’une heure minimum, en conformité avec les prescriptions de l’OMS et du PPBE métropolitain. (Voir le courrier) Des dizaines de réunions avec toutes les parties prenantes ont aussi été organisées par la préfète, pour consulter tout le monde.
Ce lundi 29 avril, l’État a tranché en proposant un arrêté qui reprend l’hypothèse A, renonçant à toute extension de couvre-feu, mais interdisant les avions les plus bruyants entre 22h et 6h. Le projet d’arrêté est toutefois mis en consultation publique jusqu’au 29 juillet. Voir le site dédié à la consultation publique , qui permet de déposer un avis, mais pas, à ce stade, d’accéder publiquement aux contributions déposées.
“C’est indécent de prétendre proposer une consultation autour de cette seule hypothèse, alors que la concertation a eu lieu en amont, avec des dizaines de réunions et des centaines d’élus qui ont plaidé en faveur du scénario C. L’État a tort de se couper des corps intermédiaires qui portent la voix du peuple. Que veulent-ils ? Des zadistes, des gens qui font des opérations escargot pendant les JO? fustige Didier Gonzales, maire LR de Villeneuve-le-Roi, l’une des communes qui subit le plus les nuisances aériennes. Tous les élus ont joué le jeu de la démocratie, ont passé des heures à faire des réunions et des réunions préparatoires aux réunions, à participer à des groupes de travail, des auditions…”, reprend le maire. “Mais, une fois de plus, c’est le lobby aérien qui l’a emporté, comme c’est le cas sur de nombreux sujets, comme le kérosène, par exemple, seul carburant à n’être pas taxé. Cela au détriment de la santé des gens ! Car, nous avons fait les calculs avec Bruitparif. Même si les seuls avions en mouvement étaient des Airbus A320 Néo, réputés moins bruyants, on ne réduirait le bruit que de 3 décibels, et non de 6.”
“Cet arrêté, c’est du flan“
“Une fois de plus, c’est la DGAC (Direction générale de l’aviation civile) qui a travaillé en sous-main. Ils ont gagné du temps, et nous, on ne gagne rien. Cet arrêté, c’est du flan. La nouvelle procédure de départ provoque encore plus de bruit et, en phase d’arrivée, un Airbus 320 Néo (avions moins bruyants) qui a les trains d’atterrissage sortis fait autant de bruit”, abonde Luc Offenstein, président de l’association de lutte contre les nuisances aériennes Oye 349.
Enjeu économique local
Si le Plan de prévention du bruit dans l’environnement (PPBE) de la Métropole du Grand Paris, voté à l’unanimité des élus en décembre 2019, préconise l’allongement du couvre-feu d’1 heure et le plafonnement des atterrissages et décollages à 200 000 mouvements par an, le débat sur les différents scénarios a malgré tout divisé localement. En témoigne l’impossible consensus sur le sujet au sein du conseil départemental et de l’intercommunalité Grand-Orly Seine Bièvre.
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En question : le rayonnement économique de l’aéroport, également vecteur d’emplois. 25 000 personnes travaillent, en effet, à l’aéroport d’Orly.
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Le seul vœu adopté au Grand-Orly Seinen Bièvre soulignait ainsi qu’il faut rechercher le “meilleur rapport entre la limitation des nuisances aériennes pour les populations, qu’elles soient environnementales ou en termes de santé publique, et le plus faible impact socio-économique” et correspondait au final à l’hypothèse A, retenue dans l’arrêté.
“On a cherché un équilibre entre la vision purement environnementale et ceux qui avaient une préoccupation économique, explique Gilles Lafon, élu Génération.S de Villejuif, qui avait présenté ce vœu. De mon point de vue, les évolutions technologiques qu’on nous promet pour diminuer le bruit des avions relèvent d’anticipation sur le futur qu’on ne maitrise pas bien, et seule la baisse du nombre d’heures permettrait de diminuer le nombre de décibels. Mais cela est mon point de vue d’élu, il ne fait pas consensus. L’impact socio-économique a aussi dû être pris en compte et il a fallu trouver le plus petit dénominateur commun. C’est un bon exemple des difficultés pour faire avancer l’agenda écologique. Pour avancer, il faudrait que l’ensemble de la puissance publique assume la perte financière”, estime l’élu, qui regrette malgré tout que l’Etat ne se soit pas appuyé davantage sur Bruitparif, l’observatoire de la pollution sonore en Île-de-France.
Selon l’étude menée par le cabinet CGX, l’impact socioéconomique d’un allongement du couvre-feu d’une demi-heure aurait été de 156 millions d’euros, en tenant compte des coûts liés aux annulations de vol engendrées par la perte de flexibilité d’exploitation qui conduisent à des suppressions de vol plus nombreuses en cas d’aléas et encore de la dégradation de la performance économique associée à la diminution de la plage d’utilisation de l’aéroport.
“L’étude chiffrait à 18 le nombre moyen d’avions à reprogrammer en cas d’extension du couvre-feu. Or, en vérifiant les chiffres, nous avons établi que le chiffre était en réalité de 6. Cela remet en question le calcul de l’impact économique”, réagit Didier Gonzales, pour qui il serait opportun de mieux préciser les chiffres, et qui met en balance le coût social du bruit.
Pour l’élu, pas question de lâcher l’affaire. Au-delà de l’arrêté en cours de consultation, une des prochaines étapes sera l’élaboration du Plan de prévention du bruit et de l’environnement (PPBE) de l’aéroport d’Orly lui-même, dont la dernière version est celle de 2018-2023. “On a quand même gagné quelque chose. Auparavant, il était élaboré sous l’égide de la DGAC et d’ADP, mais les associations ont attaqué en justice. Désormais, c’est la préfecture qui le porte.”
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Il s’agit d’une ‘décision’ assez minable ! Pendant des décennies, les maires et les responsables locaux de la banlieue sud de Paris ont laissé construire à l’infini, à proximité de l’aéroport et sous les couloirs aériens, et maintenant cet aéroport, qui n’a cessé de s’agrandir depuis ses origines en tant que base militaire, est enserré au lieu d’un véritable mégapole.
La santé des populations, et en particulier des enfants, doit se plier aux impératifs économiques : voilà la société telle qu’elle est !
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