Quatre ans après la mort de Jérémy Wasson, étudiant ingénieur de 21 ans, la cour d’appel de Paris a de nouveau examiné les circonstances de sa chute mortelle à travers une trémie sur le toit du centre de commandement unifié des lignes SNCF de l’Est parisien, dont la ligne de RER E. Pour la famille, ce sont quatre années de combat pour obtenir justice. La société, Urbaine de Travaux, filiale du groupe Fayat, a été lourdement condamnée en première instance, mais a fait appel, proposant une nouvelle thèse pour se dédouaner.
Jérémy Wasson aurait dû fêter ses 25 ans avec son frère jumeau ce lundi 24 juin 2024. Mais ce lundi, l’heure n’était pas aux réjouissances. Valérie et Frédéric, ses parents, se sont de nouveau retrouvés devant les avocats de la société Urbaine de Travaux et de son ingénieure principale qui avaient accueilli leur fils pour son stage de première année. Cette fois, devant le 14ème chambre de la cour d’appel de Paris.
Le 28 mai 2020, trois jours après le début de son stage, Jérémy Wasson faisait une chute mortelle de six mètres du haut du toit-terrasse du chantier du centre de commandement unifié (CCU) des lignes SNCF de l’Est parisien. Son corps a été retrouvé à l’aplomb d’une trémie dite de désenfumage, de 60 par 60cm, située à proximité de deux trémies rondes plus larges. Au moment des faits, il était un étudiant de l’École spéciale des travaux publics (ESTP).
Absence de formation au risque de chute
Dans les rangs des parties civiles, de nombreux amis sont venus soutenir Valérie et Frédéric Wasson dans le procès en appel de l’entreprise et de l’ingénieure principale des travaux. Dans ceux de la défense, seule Sarah C., ayant délégation de pouvoirs en matière d’hygiène et de sécurité, a fait le déplacement, mais pas Julien Haas, le président de l’Urbaine des travaux, pourtant appelé à comparaître. La collaboratrice était déjà la seule représentante de l’entreprise à s’être rendue pour le verdict du procès en première instance rendu le 9 mars 2022. Le tribunal correctionnel de Bobigny l’avait alors condamnée à deux ans de prison avec sursis, avec inscription sur son casier judiciaire (B2). Il avait aussi lourdement condamné l’entreprise, en tant que personne morale, à 200 000 euros plus 20 000 euros par faute, à savoir l’absence de sécurisation de la trémie, qui était simplement recouverte d’une planche en bois non fixée, et l’absence de formation.
Lors de ce procès en appel, les débats se sont largement polarisés sur l’encadrement du stage de Jérémy Wasson et, plus précisément, sur les obligations de l’entreprise, filiale du groupe Fayat, un des plus grands acteurs du BTP. “Le fait de travailler sur un toit à 7 mètres de hauteur avec des trous partout, ce n’est pas considéré comme un poste à risque ?“, a ainsi questionné le président du tribunal. “Ce n’est pas considéré comme un poste à risque nécessitant une formation particulière“, a répondu l’ingénieure principale qui a précisé que le travail en hauteur n’exclut pas forcément les stagiaires. “Il faut différencier deux choses : le travail en hauteur et le risque de chute de hauteur“, justifie-t-elle. Selon Sarah C., Jérémy Wasson a par ailleurs bénéficié d’un accueil renforcé et avait été informé lors d’une première reconnaissance du chantier de la présence d’un “trou” sous le platelage de la trémie par laquelle il a chuté.
L’inspectrice du travail, Karine G., qui avait rédigé le rapport de l’accident, a de nouveau contredit sa vision de la réglementation. “Le code du travail prévoit une formation [renforcée] pour les intérimaires et les stagiaires, destinée à prévenir les accidents, puisqu’on s’est rendu compte que les travailleurs temporaires était plus souvent victimes d’accidents“, a-t-elle souligné. Dans le cadre de la procédure, elle avait demandé à la direction des ressources humaines de l’entreprise de lui transmettre la liste des postes à risques particuliers dans lequel figurait celui de manœuvre, qui correspond, selon elle, au “travail qu’était en train d’effectuer Jérémy Wasson au moment de son accident“. Par ailleurs, souligne-t-elle, “l’employeur n’a pas à demander à ce que l’on établisse que M. Wasson était exposé à un risque de chute (…) Ce n’est pas une exigence légale. C’est une exigence pour les types de missions sur le suivi renforcé pour la médecine du travail“.
“Si ce plancher avait été fixé, cette chute ne serait pas intervenue.”
Autre question de la cour : qui accompagnait concrètement Jérémy Wasson sur ce toit-terrasse, lequel représente à peu près deux fois la surface de la chambre où s’est tenue le procès en appel ? “Ce qu’il ressort de l’enquête, c’est que M. Wasson était seul [au moment des faits], pointe l’assesseur du président. “Non“, rétorque, l’ingénieure principale, qui se trouvait elle-même à son domicile, citant plusieurs personnes dont le chef d’équipe. Pourtant, les photographies prises du haut de la grue par l’architecte qui se trouvait sur les lieux, le montre manifestement seul. “Ce qu’il faut se représenter, c’est que la grue est au milieu [de la dalle] et les photos sont orientées dans une seule direction“, argumente l’ingénieure.
Devant la cour, l’inspectrice du travail qui est arrivée sur les lieux du chantier trois heures environ après l’accident, a rappelé avoir constaté que “le corps était à l’aplomb de la trémie” carrée et que les photos de l’architecte avaient montré que “le platelage a bougé” entre 13h38 et 13h47 ce jeudi 28 juin 2020. Pour elle, “la mort est due à l’absence de fixation de platelage.”
Selon le Code du travail, “la trémie doit être recouverte par un plancher provisoire jointif, c’est-à-dire qu’il doit remplir l’ensemble de l’espace de l’ouverture, convenablement fixé“, a-t-elle indiqué. Pour l’OPBTP (Organisme professionnel de prévention du bâtiment et des travaux publics), “le plancher doit même être solidement fixé. En aucun cas, on ne peut dire que la planche est assez lourde pour que l’on puisse dire qu’elle constitue un dispositif de prévention“, ajoute-t-elle, elle-même ayant pu le soulever d’un bras, confirme-t-elle devant la cour. Avant de signaler que “le bâtiment est particulièrement accidentogène. Le plus fréquent, ce sont les chutes de hauteur. Si l’OPBTP prend la peine d’établir un guide de prévention précisément consacré à la couverture de trémie, c’est parce qu’il y a des accidents qui sont relativement fréquents.” L’inspectrice du travail conclut : “pour moi la chute par la trémie carrée est forcément ce qui a provoqué le décès, et le manquement à la sécurité qui a permis cette chute est établi aussi. Si ce plancher avait été fixé, cette chute ne serait pas intervenue.” Une mise en cause aggravée par le fait que ce “platelage n’était pas prévu“. “Cette trémie carrée s’est retrouvée recouverte avec un platelage rond de dimensions bien supérieures avec des chevrons“, ajoute Karine G.
L’avocat de l’entreprise remet en question la chute
Tenant d’une autre hypothèse de l’accident qui a coûté la vie à Jérémy Wasson, l’avocat de l’ingénieure principal (qui a changé de conseil), Me Thomas Amicot, n’a pas hésité à rudoyer le témoignage de l’inspectrice du travail. “Vous dites que le corps était à l’aplomb de la trémie. Comment pouvez-vous savoir que le corps est tombé de cette trémie ?”, a-t-il lancé. “L’OPJ [l’Officier de police judiciaire] et les ouvriers m’ont dit que le corps était là“, a-t-elle rétorqué. “Le seul endroit où la position du corps est problématique c’est quand [l’entreprise] Urbaine des travaux déclare que le corps a été retrouvé au milieu de l’aplomb de deux trémies, (la carré et la ronde). Il me semble que la photo que j’ai prise à l’aplomb de la trémie carrée est suffisamment explicite“, bondit-elle, ajoutant que les garde-corps de deux puits de lumière à proximité “étaient intacts“.
De son côté, Me Patrice Herbonez, l’avocat de la société, a cherché à remettre en question la position exacte du point de chute du corps, Me Thomas Amicot. Il a ainsi suggéré une théorie audacieuse selon laquelle “M. Wasson a pu se trouver en dessous et avoir reçu un objet lourd sur la tête“. “L’autopsie dit que clairement qu’il y a eu une chute de grande hauteur et que la trémie était bien fermée par cette planche certes non fixée. Il n’y a rien qui pouvait tomber sur la tête de M. Wasson. Et, par ailleurs, les témoins s’accordent à dire qu’il était sur le toit à débarrasser des objets“, a affirmé l’inspectrice du travail.
“La mort d’un stagiaire sur un chantier est inacceptable. La colère dirigée contre ma cliente et l’Urbaine des travaux (…) résulte du fait que ce dossier n’a pas été traité comme il aurait dû l’être.” Comme Me Patrice Herbomez, Me Thomas Amicot dénonce “une enquête bâclée“. “On a fait aucun relevé topographique de là où se trouvait le corps“, défend-il, remettant aussi en cause l’autopsie. Pour ces raisons, il demande une nouvelle expertise. “En première instance, le tribunal avait considéré que, comme l’expert était payé par la société, l’expertise initiale était partiale. Alors qu’elle est assez claire, scientifique“, expliquera-t-il après l’audience.
La colère des parents de Jérémie Wasson
“Ce qui est insupportable est que ni Sarah C. ni Urbaine de travaux ne reconnaissent leurs responsabilités. Que M. Julien Haas ne soit pas là est tout à fait accablant“, a réagi Me Juliette Pappo, l’avocate de la famille Wasson. Elle a également réfuté les arguments sur une éventuelle irrégularité des délégations de pouvoirs de Sarah C. “C’était elle la cheffe du chantier (…), c‘est elle qui savait comment protéger la vie de Jérémy (…) elle est également responsable de [sa] mort“, a-t-elle martelé.
Sur les conditions de la présence de Jérémy Wasson sur le chantier, Me Juliette Pappo a rappelé que la convention de stage portait sur “un stage de découverte” et pas un “stage ouvrier“. “S’il s’était contenté d’observer, il serait parmi nous aujourd’hui“, a-t-elle signalé, rappelant que “Jérémy n’était pas du tout attendu” sur le chantier qui reprenait son activité tout juste après la levée du premier confinement ayant fait suite à la crise Covid. “Rien n’a été fait [pour l’accueillir dans de bonnes conditions]. Le coordinateur QSE (qualité, sécurité, environnement) dit même avoir parlé de tout et de rien (lorsqu’il a reçu Jérémy). S’ils avaient parlé sécurité, peut-être que l’accident n’aurait pas eu lieu“, lâche-t-elle. Quant à la nouvelle hypothèse soulevée par la défense, “Ça sort aujourd’hui comme par enchantement (…). [On] veut contrer la théorie de Newton (…) Un corps qui tombe, un corps de 75Kg et non pas de 100 Kg comment on prétend de l’autre côté de la barre, (…) tombe à la verticale“, pourfend-elle avant d’asséner : “Jérémy ne savait pas, parce qu’il n’avait pas été formé, que sous ce platelage rond, il y avait un trou. Il a soulevé ce platelage pensant qu’il fallait débarrasser le toit-terrasse. Il l’a déplacé et il est passé à travers cette trémie“, a-t-elle conclu.
“Quand je constate l’absence de compassion de l’entreprise et ses responsables, je me dit qu’ils ne comprennent pas les conséquences de leurs actes. Pour la famille, chaque étape de procédure si longue est une peine exponentielle. Ils le savent. Ils attendent la lassitude et le découragement des familles. Et donc je suis en colère. Mourir au travail, ce n’est pas une fatalité. Dans le cas de Jérémy, c’est la conclusion d’une succession dramatique de négligences“, a fustigé Frédéric Wasson accusant aussi l’entreprise de “fabriquer de la désinformation“. Regrettant d’avoir laissé son fils suivre cette voie professionnelle, Valérie Wasson a, quant à elle, souhaité que “la culpabilité change de camp.”
Le verdict du procès en appel de l’entreprise qui l’a accueilli en stage et de son ingénieure principale sera rendu le 23 septembre.
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