Les maires de dix villes de Seine-Saint-Denis ont dénoncé, lundi en fin d’après-midi, la “gangrène” de la vente à la sauvette de cigarettes. Pour marquer les esprits, la circulation a été bloquée sur le carrefour très fréquenté des Quatre Chemins, quartier populaire à cheval sur Aubervilliers et Pantin.
Pour quelques minutes, les vendeurs de “Marlboro bled” se sont volatilisés : la forte présence policière a fait fuir les nombreux vendeurs à la sauvette de tabac qui y officient habituellement.
Sous une banderole jaune proclamant “Fausses cigarettes, vrais problèmes“, les élus des dix communes de gauche (Bagnolet, Bobigny, La Courneuve, Les Lilas, Montreuil, Noisy-le-Sec, Pantin, Romainville et Saint-Ouen) ont, au micro, réclamé à l’État plus de moyens pour lutter contre ce fléau porteur de tensions. Laurent Baron, maire (PS) du Pré-Saint-Gervais, avait également fait le déplacement. Seule absente, Karine Franclet, maire (UDI) d’Aubervilliers, qui a renoncé à participer au rassemblement en raison du blocage de la circulation.
“Nous sommes rassemblés pour dire que nous en avons marre du trafic de cigarettes de contrefaçon qui gangrène nos espaces publics, qui fait qu’aujourd’hui la situation est difficile sur le terrain, mal vécue par les commerçants et les habitants“, dit à l’AFP le maire (PS) de Pantin, Bertrand Kern.
Si le trafic de cigarettes n’est pas un phénomène récent, il a très visiblement pris de l’ampleur depuis la fin du Covid. Selon les maires protestataires, qui se basent sur des chiffres de l’industrie du tabac, le nombre de points de vente illégaux de tabac en Île-de-France est passé de cinq avant la pandémie à plus de 80 actuellement. “On estime que 40% du tabac consommé en France et notamment en Ile-de-France, n’est pas acheté chez le buraliste. Il vient soit de la contrebande de pays autres que la France, soit de ces cigarettes de contrebande qui sont bien plus nocives. Ici, il n’y avait que les Quatre Chemins, maintenant il y a du trafic aux abords du métro Hoche. Et je ne veux qu’il y en ait d’autres“, ajoute l’édile interrogé par 93citoyens.
À travers la banlieue parisienne, il est courant de voir des grappes de vendeurs alpaguer l’usager à la sortie des stations de transports en commun les plus fréquentées. S’ils s’envolent sitôt qu’apparaît un uniforme de police, il ne leur faut que quelques minutes pour revenir, à peine les forces de l’ordre parties.
“On est sur un constat d’impuissance collective, d’impuissance publique“, a lancé à la tribune Loline Bertin, adjointe au maire (PCF) de Montreuil, soulignant que “les villes ne peuvent plus vider l’océan de la misère à la petite cuillère“. “En 2023, nous avons saisi à Pantin 6 000 paquets de cigarettes et interpellés 180 personnes dont la plupart ont été relâchés par le procureur. Il faut que l’État trouve une solution“, abonde Bertrand Kern. “Il faut plus de moyens pour qu’il n’y ait plus ce sentiment d’impunité total et des moyens dédiés à la Seine-Saint-Denis spécifiquement sur ce sujet, parce que c’est un trafic très lucratif qui s’appuie sur la grande précarité des vendeurs à la sauvette et sur la paupérisation des acheteurs. À cela s’ajoute de plus en plus le harcèlement des riverains de points de vente et en particulier des femmes. À Noisy-le-Sec c’est un phénomène relativement nouveau, mais la police nationale, comme municipale, sont aujourd’hui occupées par d’autres missions“, réagit, quant à lui, Olivier Sarrabeyrouse, le maire (PCF) de Noisy-le-Sec, pour 93citoyens.
Lire : Dix maires organisent un rassemblement contre le trafic de cigarettes en Seine-Saint-Denis
Condamnations rares
Quelques jours avant cette action, les responsables de la police et de la justice de Seine-Saint-Denis avaient tenté de déminer le terrain en tenant, eux aussi, une conférence de presse.
Installés devant un photogénique mur de paquets de cigarettes, issus des 32 772 paquets saisis lors des trois semaines (entre le 25 mars et le 12 avril) d’une opération “Place nette XXL” dans le département, le directeur territorial Michel Lavaud et le procureur de Bobigny Eric Mathais ont mis en avant leur volonté de “déstabiliser les réseaux“, notamment en multipliant les actions en gares.
Dans ces ventes à la sauvette se retrouvent généralement des cigarettes de contrebande en provenance du Maghreb ou des cigarettes contrefaites produites en Europe de l’Est. Achetée 20-25 euros au fournisseur, une cartouche de dix paquets se revend 50 euros au client.
“C’est un trafic qui emprunte aux codes et modes opératoires des trafics de stupéfiants (stockage, acheminement, revente) c’est un trafic de rue, mais qui dans la plus-value financière est en deçà du trafic de stupéfiants“, a indiqué Michel Lavaud.
La vente à la sauvette ne constitue un délit que depuis une loi de 2011. Si elle est théoriquement passible de six mois d’emprisonnement et 3 750 euros d’amende, il est toutefois rare de faire condamner les vendeurs, a reconnu le procureur.
Seul un vendeur multirécidiviste serait susceptible de faire l’objet d’un jugement en comparution immédiate, avec un résultat pénal plutôt décevant du point de vue du parquet.
“La première fois, on lui confisquerait juste ses cigarettes, la deuxième fois ses cigarettes et son argent, la troisième fois il serait déféré devant un délégué du procureur, la quatrième fois il passerait en CRPRC déférement (procédure de plaider-coupable, NDLR), la cinquième fois il passerait en comparution immédiate“, a énuméré Eric Mathais, à titre d’exemple.
Mais une fois devant le tribunal, “les peines prononcées sont objectivement moins importantes, à situation équivalente, que celles prononcées en matière de stupéfiants“, a-t-il regretté.
Par Alexandre Marchand
Il faut être très courageux pour s’en prendre à des pauvres gens, qui dorment dans la rue, ont à peine de quoi manger et sont victimes de mafias.
Bravo aux maires de “gauche” : encore une action qui va élever le niveau de la réflexion politique !
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