Auditionnée ce mardi 22 octobre par la Commission de la culture, de l’éducation, de la communication et du sport du Sénat, la nouvelle ministre de l’Éducation nationale, Anne Genetet, a rouvert la polémique sur les conditions d’enseignement dans le département de la Seine-Saint-Denis.
C’est la petite phrase qui ne passe pas. “Les élèves de Seine-Saint-Denis bénéficient d’un taux d’encadrement qui ferait pâlir d’envie bien des établissements ailleurs en France“, a lancé Anne Genetet au cours de son audition, mardi dernier au Sénat, à la suite de sa nomination comme nouvelle ministre de l’Éducation nationale dans le gouvernement de Michel Barnier.
Manque de personnels d’éducation
Anne Genetet répondait à Ahmed Laouedj, sénateur (PRG) de la Seine-Saint-Denis, qui l’interrogeait précisément sur le manque de personnels d’éducation. “Depuis janvier 2024, quatre ministres de l’Éducation nationale se sont succédé (…). Parmi les départements qui souffrent le plus de cet abandon se trouve malheureusement la Seine-Saint-Denis qui semble être l’agrégateur des difficultés existantes partout ailleurs dans l’Hexagone. Manque de moyens, remplacements insuffisants, bâtiments insalubres (…). Les inégalités sont incontestables : l’État investit 2 000 euros de moins par élève en Seine-Saint-Denis par rapport au reste de la France“, a pointé le parlementaire avant de rappeler que “parents d’élèves, syndicats, municipalités” réclament un plan d’urgence depuis le début de l’année. S’il a constaté une amélioration sur le plan des absences non remplacées, Ahmed Laouedj a souligné la persistance du manque de personnel éducatif et l’insuffisance d’affectation d’élèves. Il a aussi pris l’effondrement du plafond du collège Roger Martin du Gard à Épinay-sur-Seine comme exemple de la dégradation du bâti.
200 millions d’euros par an pour la Seine-Saint-Denis
Dans sa réponse, Anne Genetet a bien reconnu que la Seine-Saint-Denis connaît “la plus forte concentration de réseaux d’éducation prioritaire, la plus forte homogénéité sociale… C’est peut-être l’endroit où la mixité sociale est la moins prégnante de tous les départements de France“, a-t-elle observé. Mais, elle a aussi rappelé les efforts déployés par l’État. “Depuis 2017, on a mis 1 500 d’ETP [équivalent temps plein] d’enseignants supplémentaires. C’est un département qui a grandement bénéficié des dédoublements de classes en grande section, CP, CE1. On a mis des sections internationales (…) On a aussi revitalisé des internats. Tout ça, c’est quand même 200 millions d’euros par an qu’on a mis sur le département. On a la prime de fidélisation de nos enseignants qui est régulièrement distribuée. On a 26 000 agents qui en ont bénéficié et il faudra la poursuivre. Enseigner dans un département de ce type-là, c’est une expertise supplémentaire qu’on donne aussi à nos enseignants. Je veux souligner que l’État est vraiment présent aux côtés du département de Seine-Saint-Denis. On ne le lâche pas“, a ajouté la ministre, avant de glisser sa remarque sur le taux d’encadrement des élèves.
“C’est un déni de réalité“
De quoi susciter des réactions de toutes parts. “Non, Madame la Ministre, les élèves de la Seine-Saint-Denis ne bénéficient pas d’un taux d’encadrement enviable. Avec, entre autres, 45% des postes ouverts au CRPE [concours de recrutement de professeurs des écoles] dans le 1er degré non pourvus, un recours massif aux contractuels, des classes surchargées, des milliers d’accompagnants d’élèves en situation de handicap manquants, la réalité est bien différente. Si professeurs et parents d’élèves se mobilisent depuis des mois dans notre département, c’est pour enfin obtenir l’égalité réelle pour l’éducation dans notre département“, rétorque Adel Ziane, sénateur (PS) du département, sur X. “C’est un déni de réalité“, s’insurge le sénateur (PCF) Fabien Gay qui rappelle que l’ancien Premier ministre, Edouard Philippe, a reconnu ces inégalités en lançant en 2019 le plan “Un État fort en Seine-Saint-Denis” pour rattraper le retard des services publics dans ce territoire. Le député de la 5ème circonscription (Drancy,Bobigny), Aly Diouara, s’est quant à lui fendu d’une lettre à la ministre pour lui rappeler la précarité de l’inclusion scolaire dans le département.
Bataille de chiffres
Même indignation du côté des syndicats. “Chaque jour dans le 93, département le plus pauvre de la France hexagonale, l’état est en faute. C’est documenté. Le plan d’urgence, c’est 358 millions d’euros. La seule priorité de la ministre : Provocation, provocation, provocation !“, réagit ainsi le Snes-FSU 93.
Selon les chiffres officiels, la Seine-Saint-Denis bénéficie d’effectifs par classe en dessous de la moyenne académique et nationale.
Effectifs par classe des écoles (public/privé, maternelle/élémentaire) du 1er degré | Seine-Saint-Denis | Académie de Créteil | Académie de Paris | Moyenne nationale |
2023 | 20,005 | 21,45 | 20,83 | 21,45 |
2022 | 20,16 | 21,67 | 20,80 | 21,62 |
2021 | 20,34 | 21,82 | 21,29 | 21,82 |
Dans le détail, les données communiquées par le rectorat de Créteil indiquent (pour la rentrée 2023) un nombre moyen d’élèves de 20,7 en maternelle en Seine-Saint-Denis contre 22,2 dans l’académie (23,5 en Val-de-Marne) et de 19,8 en élémentaire contre 21,4 dans l’académie (21,8 en Val-de-Marne). Même constat dans les collèges : le nombre moyen d’élèves par formation (hors Segpa) est de 24 en Seine-Saint-Denis, contre 25,2 à l’échelle académique et même 26 dans le Val-de-Marne. Idem en lycée (voir le schéma très officiel ci-dessous).
Dans leur rapport sur le suivi de l’évaluation de l’action de l’État en Seine-Saint-Denis, les députés Stéphane Peu (PCF) et Christine Descodts (Renaissance)*, avaient d’ailleurs fait le constat d’une amélioration. “Dans le premier degré, le taux moyen d’encadrement est passé de 23,4 élèves à la rentrée 2017 à 20,2 élèves à la rentrée 2022. Grâce au dédoublement des classes, la Seine-Saint-Denis est au-dessus de la moyenne nationale : le département est ainsi passé de 5,75 enseignants pour 100 élèves à la rentrée 2017 à 6,56 enseignants pour 100 élèves à la rentrée 2023“, notent-il. Mais le rapport précise aussi qu'”il serait néanmoins intéressant de connaître le taux d’encadrement hors réseau d’éducation prioritaire.”
Sur 898 écoles publiques et privées du premier degré, 301 sont, en effet, en Rep (réseau d’éducation prioritaire) et 207 en Rep + en Seine-Saint-Denis, ce qui explique le taux moyen plus faible. Elsa Foucraut, parent d’élève, membre de la FCPE 93 et formatrice en déontologie, a fait les calculs, en tenant compte de ces catégories, et en tire des conclusions différentes, qu’elle a publiées sur X.
“Si l’on regarde l’effectif moyen par classe dans tous les départements de France, la Seine st Denis est en 94ème position nationale (pour les rentrées scolaires de 2020, 2021 et 2022“, pointe ainsi Elsa Foucraut.
*Christine Descodts ne s’est pas représentée aux élections législatives anticipées du 9 juin 2024.
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