Bouchra Bouali pensait avoir un répit, supposant son mari toujours en détention, lorsqu’elle a péri poignardée au pied de sa tour d’Épinay-sur-Seine, un soir de novembre 2021: la cour d’assises de la Seine-Saint-Denis juge à partir de mardi ce féminicide retentissant qui a conduit la justice à revoir ses protocoles.
Khalid Fahem, 54 ans, encourt la réclusion criminelle à perpétuité pour le meurtre par dix-sept coups de couteau de sa femme, neuf jours après sa sortie de prison où il purgeait une peine pour violences conjugales. Une libération anticipée de trois semaines, dont la justice avait oublié d’informer la victime.
Ce procès de quatre jours racontera avant tout l’histoire de l’émancipation sentimentale et professionnelle d’une femme de 44 ans, patronne d’une boutique de vêtements, décidée à prendre son destin en main et à s’affranchir d’un mari de plus en plus menaçant et oppressant. Une émancipation stoppée net par la mort.
Mais en filigrane s’y lira aussi l’impuissance du système judiciaire à juguler la violence croissante d’un homme dangereux et jaloux, malgré deux passages en prison en l’espace de cinq mois et le suivi de sa femme par les associations spécialisées dans la protection des victimes.
Le retentissement de ce drame a amené le ministère de la Justice à prendre un mois plus tard un décret ordonnant aux autorités d’informer systématiquement les victimes de violences conjugales de la sortie de détention d’un conjoint violent et de s’interroger sur les mesures de protection à prendre.
En cette fin de journée du 26 novembre 2021, Khalid Fahem guette sa femme Bouchra au pied de son domicile. Dissimulé dans le blouson de cet ex-videur de discothèques, un grand couteau de boucher, acheté l’après-midi même en grande surface avec une pierre à aiguiser.
Or Bouchra Bouali le croit à cette heure derrière les barreaux. “Je respire jusqu’au 8 décembre”, date de fin d’incarcération théorique de son conjoint, a-t-elle même confié à l’association SOS Victimes 93, qui la suit de près et lui a remis avec le parquet de Bobigny un “téléphone grand danger”.
tuer cette “pute”
Depuis plusieurs mois, cette propriétaire d’une petite boutique de prêt-à-porter du boulevard Magenta à Paris vit en effet dans une peur extrême. Depuis qu’elle a signifié en mai leur rupture au père de ses deux filles, avec qui elle a fait un mariage d’amour en 2004, celui-ci lui fait vivre l’enfer.
Disant la soupçonner d’entretenir une relation extraconjugale avec l’un de ses employés, Khalid Fahem menace sans cesse de la tuer.
Les menaces commencent en 2014, lorsqu’elle achète un appartement, puis une boutique en 2018, où elle salarie son époux. Elles passent au cran supérieur quand elle décide de le quitter.
Craignant pour sa vie, elle s’équipe d’un taser et d’un aérosol de gaz et installe des caméras de surveillance dans son propre logement.
Fin mai, son mari s’immisce dans son domicile et la menace d’une arme blanche : “J’ai aiguisé le couteau pour t’égorger”, lui dit-il. Visé par trois plaintes successives de sa femme, Khalid Fahem passe cinq mois en détention entre juin et novembre 2021.
Auprès de ses co-détenus, il répète à l’envi qu’il va tuer cette “pute” à sa libération, avertissant même l’un d’entre eux: “Tu me verras dans pas longtemps à la télévision”. Il est remis en liberté le 17 novembre.
“femme violences conjugales mort”
L’autopsie relèvera une quinzaine de coups de couteau d’une grande violence sur le corps de la victime, principalement de dos, profonds jusqu’à 20 centimètre. Bouchra Bouali sera déclarée morte sur place quelques minutes après l’attaque.
Les avocates de la défense et des parties civiles, contactées par l’AFP, n’ont pas souhaité s’exprimer avant l’audience.
Dans le matériel informatique de la victime, les enquêteurs retrouveront cette recherche sur internet, faite le matin même de son décès : “femme violences conjugales mort”.
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