Les foyers gérés par l’Aide sociale à l’enfance (ASE) sont des repaires privilégiés pour les proxénètes rompus au trafic de drogue. Des jeunes filles placées et vulnérables se retrouvent exploitées sous les yeux de professionnels souvent désarmés.
“La prostitution des mineures revêt plusieurs visages mais elle se retrouve souvent chez les filles placées dans des foyers. Il suffit d’une fille qui a commencé à se prostituer et une sorte d’émulation s’opère”, observe Marc Bascoulergue, chargé des enquêtes sur les adolescents au sein de la police judiciaire de Seine-Saint-Denis.
“Concentration de vulnérabilité“
Chez ces mineures, “il y a une concentration de vulnérabilité: la quasi-totalité des jeunes qui entrent dans la prostitution ont été victimes en amont de violences sexuelles”, explique Lucie Debove, directrice adjointe de l’ASE de Seine-Saint-Denis. En France, près de 200 000 mineurs sont confiés aux structures départementales. Le recrutement des filles dans les foyers “n’est pas un phénomène massif”, assure toutefois Lucie Debove, reconnaissant néanmoins que les professionnels “n’ont pas vu les signaux d’alerte dans “un contexte de crise de recrutement des travailleurs sociaux”, peu formés à la problématique.
Dans les foyers, “il y a peu de contrôles”. “Les filles rentrent au petit matin et sortent le soir sans que l’éducateur s’en soucie”, témoigne sous couvert de l’anonymat un ex-responsable d’établissement en banlieue parisienne qui a jeté l’éponge après une année “éprouvante”, peu outillé pour faire face au phénomène.
Des filles qui se dévaluent abordées par des inconnus qui les complimentent
Depuis 2021 et le premier plan national contre la prostitution des mineurs, “le même schéma” se répète.
“Des filles de 12-14 ans qui ne s’aiment plus, se dévaluent, en rupture familiale”, “s’exposent sur les réseaux sociaux”, décrit Marc Bascoulergue. Elles sont abordées en ligne par des inconnus qui les complimentent et leur proposent un job”.
Un business moins dangereux que la drogue pour les jeunes proxénètes
Derrière ces profils se cachent de jeunes hommes âgés de 18 à 24 ans, qui “délaissent le stup’ pour le proxénétisme où il y a moins de risque (pour leur) intégrité physique”, résume le commissaire.
Le piège se referme sur les jeunes filles, prises en charge à 100% par “le petit copain proxénète”, qui vient récupérer les mineures directement au foyer. Il assure la sécurité, la logistique pour les prostituer et récupère une grande partie des gains.
De l’exploitation de mineurs, plutôt que de la prostitution
Les associations de protection de l’enfance souhaitent “bannir” l’usage du terme “prostitution” en l’espèce. “Il s’agit d’exploitation de mineurs. Ces enfants sont des victimes”, insiste Cécile Mantel, conseillère auprès de la Mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof).
Les signaux d’alerte : fugue, vêtements coûteux, déscolarisation…
Pour aider les éducateurs à repérer les mineurs exploités, la Miprof planche sur “un dispositif clé en main” qui sera intégré dans leur programme de formation. L’association Agir contre la prostitution des enfants (ACPE) a identifié plusieurs signaux d’alerte d’une situation de prostitution chez un mineur : la fugue, les vêtements coûteux, une déscolarisation, la possession de plusieurs téléphones, les signes de violences physiques.
Les foyers doivent rester des lieux de confiance
Pour Lucie Debove, “le biais serait d’affirmer que c’est le système de protection de l’enfance qui viendrait créer la prostitution. On est un peu la partie émergée d’un iceberg plus complexe. La société doit changer le regard qu’on porte sur ces filles qu’on considère souvent comme auteures de leur propre prostitution”, estime l’encadrante de l’ASE 93. Les foyers “ne sont pas des lieux d’enfermement et doivent rester un lieu de confiance, de refuge pour la jeune fille après une fugue“, insiste Cécile Mantel.
Punir les clients de jeunes mineures
L’objectif pour les travailleurs sociaux est d’aider les adolescentes à “prendre conscience de leur statut de victime” et d'”assurer un accompagnement psychologique, compte tenu de la gravité des faits qu’elles subissent”. Si le proxénétisme est sévèrement puni, jusqu’à 20 ans de réclusion lorsqu’il est commis sur un mineur de moins de quinze ans, les associations réclament plus de sévérité pour les clients, généralement condamnés à une contravention et à un stage de sensibilisation. “La légèreté des peines envoie un message de tolérance et participe de l’impunité de ces pédocriminels”, dénonce l’Amicale du Nid. Fin mai, le tribunal de Pontoise a condamné cinq hommes à 18 mois de prison pour avoir eu recours en novembre 2023 à la prostitution d’une jeune fille de 12 ans dans le Val-d’Oise, sanction “rare” selon les associations.
Rédaction : Wafaa ESSALHI
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