Culture | | 30/01
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“Faire entrer la ville dans La Commune”: le projet du nouveau directeur du théâtre d’Aubervilliers

“Faire entrer la ville dans La Commune”: le projet du nouveau directeur du théâtre d’Aubervilliers © CH

Marqué par un conflit interne depuis 2018, le théâtre de la Commune tourne la page de Marie-José Malis. Son nouveau directeur, Frédéric Bélier-Garcia veut profiter de l’élan de sa nomination pour redonner de l’attractivité à cette scène devenue le premier centre dramatique national de banlieue en 1971. Il détaille son projet à 93 Citoyens.

Je ne suis pas sûr que tous les gens qui passent maintenant dans le parc sachent qu’il y a un théâtre ici“, observe Frédéric Bélier-Garcia derrière les fenêtres de son petit bureau. Le metteur en scène a pris les fonctions de directeur du théâtre de La Commune le 1er janvier. La salle de spectacle, fondée par Gabriel Garran en 1960 avec le soutien de Jack Ralite (1928-2017), alors adjoint au maire d’Aubervilliers, est devenue un centre dramatique national (CDN), c’est-à-dire un établissement ayant une mission publique de création et diffusion du théâtre.

Nommé par l’ancienne ministre de la Culture, Rima Abdul Malak, Frédéric Bélier-Garcia succède à José-Marie Malis qui a marqué l’institution, tant par sa programmation engagée que par sa gestion. “Marie-José Malis a cette qualité de radicalité que je n’ai pas. Ses “Pièces d’actualité” me bluffent par exemple. Moi, j’ai besoin que les gens aiment mon projet et les spectacles que je propose“, confie celui qui a dirigé pendant dix ans le CDN des pays de Loire, à Angers, avant de revenir au travail en compagnie durant cinq ans.

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La fin d’un conflit entre les équipes

C’est un défi bien sûr. En compagnie, on est confronté aux réalités du terrain, il faut savoir redevenir “sexy”. Lorsque l’on dirige un lieu, on peut ressentir un certain engourdissement après quelques temps. Ces aller-retour sont assez sains“, estime le directeur. Quelles affinités ressent-il avec la Seine-Saint-Denis? “Quel que soit mon pédigrée, j’ai passé toute mon enfance dans un univers urbain un peu similaire à celui du 93, à Nanterre, même si c’était une autre époque“, indique-t-il. Surtout, à La Commune, il retrouve le théâtre où ont été représentées ses premières pièces, lorsqu’il était dirigé par Didier Bezace.

Avec l’arrivée de Frédéric Bélier-Garcia, c’est aussi la page d’un long conflit interne qui se tourne. “Quand on entre dans un théâtre, il y a toujours un passé, parfois un passif. Avec le projet tel que je l’amène, je souhaite que les envies se redistribuent. Ce projet marchera uniquement si tout le monde en interne s’en empare et passe à autre chose.” Depuis 2018 et une grève de trois mois, les relations entre certains membres de l’équipe et l’ancienne direction n’ont, en effet, cessé de miner la vie du théâtre. Lorsque l’appel à candidature a été lancé pour la succession de Marie-José Malis début 2023, une tribune a ainsi été signée par 11 salariés sur les 25 permanents, demandant d’ailleurs au ministère de la Culture d’intervenir. Sur leur page Facebook, les “salariés de la Commune en lutte“, visés par la tribune, ont pour leur part tiré le bilan de dix ans de “management toxique“, sur leur page Facebook, assurant vouloir être aux côtés de Frédéric Bélier-Garcia pour “pour faire renaître de ses cendres le centre national dramatique d’Aubervilliers.”

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“On peut venir pour plein de désirs différents”

Le défi est d’ampleur. Le théâtre de La Commune traverse une passe difficile. La fréquentation est passée de 25 000 à 15 000 spectateurs entre 2012 et 2022 et la rénovation du bâti se fait attendre. “Je vais essayer de profiter de l’élan de ma nomination pour rassembler les partenaires et relancer le projet de rénovation. J’aime beaucoup ce théâtre qui ressemble à un palais d’été russe posé au milieu des tours. Le fait qu’il était à l’origine une salle des fêtes inspire mon projet. Il faut que les gens identifient de nouveau cet espace comme un lieu d’amitié, pour avoir envie d’y entrer.”

Le nouveau patron du CDN compte proposer “une programmation exigeante quant au texte, et populaire sur l’affiche, ouverte sur d’autres disciplines comme la danse, l’image, la musique“.

Je crois que l’on peut venir pour plein de désirs différents : voir des acteurs qui nous plaisent, découvrir une nouvelle forme d’expression, rire… Il n’y a pas de hiérarchie. Après, le rôle du théâtre public, en tant que CDN, c’est parfois de déplacer les gens par rapport à l’attente qu’ils avaient.”

“Il faut programmer du théâtre, mais aussi penser les moyens d’accès à cet art qui est compliqué

Reste que le théâtre de La Commune est situé dans un environnement social et économique difficile. “Mon appréhension, ici peut-être plus qu’ailleurs, est que le théâtre est aujourd’hui dans le cheminement culturel de chacun, dans une marche assez haute. Beaucoup de gens, en fonction de leur origine sociale ou de leur éloignement culturel, sont indifférents, voire rétifs au théâtre et à l’institution. Pour casser ces barrières, il faut, à mon sens, créer ce que j’appelle des processus de confiance qui peuvent prendre différentes formes, comme la pluridisciplinarité“, développe Frédéric Bélier-Garcia.

“Aujourd’hui, il y a de nouvelles manières de se raconter et de raconter le monde comme le stand up. On peut s’adresser à un public en particulier, comme les enfants, ce qui nous ouvre à des populations que l’on ne touche pas forcément. On peut aussi proposer un acteur connu, vu à la télé ou au cinéma, qui va pouvoir conduire les spectateurs à écouter un texte de Marie NDiaye, par exemple, qui n’est pas l’autrice la plus simple. Il faut programmer du théâtre, mais aussi penser les moyens d’accès à cet art qui est compliqué“, détaille Frédéric Bélier-Garcia.

Des “pavillons” pour rythmer la saison

En plus de la programmation régulière, le théâtre de La Commune mettra en place des “pavillons”, un concept ad hoc sur lequel le directeur s’explique. Dès l’automne 2024, une semaine complète sera ainsi consacrée à deux reprises par saison au jeune public, ponctuée par une sorte de “samedi en famille” qui utilisera éventuellement les possibilités du parc de Stalingrad. La première édition est prévue après les vacances de la Toussaint et sera coconstruite notamment, avec les Tréteaux de France, CDN itinérant également situé à Aubervilliers. Elle devrait aussi associer la Villa Mais d’ici.

Pendant toute la saison, une semaine ou quinze jours tous les deux mois, le CDN confiera un pavillon à artiste, un écrivain, une institution ou même une discipline comme le stand up ou le cirque. “Le théâtre se métamorphosera au sens générique du terme. L’idée est de proposer aux créateurs et aux spectateurs une sorte d’immersion“, précise Frédéric Bélier-Garcia. Pour les pavillons de sa première saison (2024-2025), il pense à l’écrivaine et autrice de pièces de théâtre Marie NDiaye, à la compagnie Nathalie Béasse ou à la danseuse et chorégraphe franco-malgache Soa Ratsifandrihana. Les artistes accueillis et soutenus par le CDN dans ce cadre pourront “adouber une jeune compagnie” et mèneront un projet amateur dans la ville durant l’année.

Fédérer le tissu culturel local

Frédéric Bélier-Garcia travaille également à un projet pour associer chaque année, en juin, deux structures culturelles du territoire pour “créer une sorte de nouvelle institution pendant un mois autour d’une thématique commune“. Le nouveau directeur du CDN compte, en effet, tirer partie de la richesse du tissu créatif du département. “La Seine-Saint-Denis est caractérisée par beaucoup de fragilités, mais aussi par beaucoup de puissances. Toute la soute du cinéma français est ici, par exemple. C’est très stimulant de se dire que l’on peut fédérer différents acteurs pour raconter ce territoire“, souligne-t-il, imaginant des possibilités de création avec les Ateliers Médicis ou l’école audiovisuelle Kourtrajmé.

“Faire entrer la ville dans La Commune” et sortir La Commune d’elle-même

Pour aller vers les spectateurs sans attendre qu’ils viennent au théâtre, le directeur souhaite par ailleurs “créer un petit théâtre mobile que l’on pourra monter en quatre heures dans une école, un collège ou en pied de cité. Cette idée repose sur un double mouvement : celui de faire entrer la ville dans La Commune en accueillant les forces créatrices du territoire, mais aussi celui de sortir La Commune d’elle-même pour aller au-devant du public.” Dans les tuyaux notamment, un spectacle de la compagnie de Juliette Navis à programmer dans les Ehpad (établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes).

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