Un an et demi après avoir remporté son procès contre le Rectorat de Créteil, Audrey Tatry, mère délève en situation de handicap et fondatrice de l’association “Une école inclusive pour tous”, a noué un partenariat avec l’institution pour expérimenter l’Adapta’box. Le but de cette boite à outils : faciliter l’apprentissage des enfants à besoins particuliers. Les premières Adapta’box ont été livrées à l’école Émile Cote à Gagny, vendredi 11 octobre. Reportage.
“Il y a quoi dans cette grosse boite ?”, “Est-ce qu’on peut l’utiliser ?“… À peine posée sur une table, l’Adapta’box suscite la curiosité des élèves. À l’école Émile Cote de Gagny, ce sont deux classes, l’une de CE1 et l’autre de CP, qui ont commencé d’utiliser ce nouvel outil imaginé par l’association rosnéenne “Une école inclusive pour tous”.
“Handicap ou pas handicap, tous les élèves de ma classe peuvent avoir des besoins particuliers“
De la grosse boite, Audrey Tatry, sa présidente, sort des objets pour mieux apprendre à l’école comme des règles de lecture, des stylos et des ciseaux pour gaucher ; et d’autres pour se déstresser comme des pop-it avec lesquels on peut aussi compter, des balles molles à manipuler, le coussin à picots…. “Il n’y a pas de honte à demander. Si à un moment, il y a trop de bruit dans la classe, n’hésitez pas aussi à demander un casque anti-bruit, çela vous permettra de vous concentrer sur vos activités. Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que vous pouvez tous réussir bien que ce soit parfois un peu compliqué“, rassure Audrey Tatry. Autre objet, la “roue des émotions”. “Cet outil permet de mettre des mots sur ce que vous ressentez, de le montrer à votre maitresse et, si vous en avez envie, d’en parler“, explique-t-elle.
Les enseignants ont été formés durant une demi-journée à l’emploi des outils de l’Adapta box. Marie Lust, la professeure des écoles des élèves de CE1, qui a reçu l’Adapta’box pour l’expérimenter, s’est immédiatement portée volontaire. “Je suis très attachée à l’aide que l’on peut leur apporter aux élèves. Dans cette école qui accueille deux Ulis (unité locale d’inclusion scolaire), cet outil à tout son sens. Mais, handicap ou pas handicap, tous les élèves de ma classe peuvent avoir des besoins particuliers. Ils sont aussi enjoués de voir cette boite. On oublie le côté “j’ai des difficultés, tout le monde me regarde”. Ça devient plutôt “je veux pallier mes difficultés“, rapporte l’enseignante.
Du procès au partenariat
Cette boîte à outils est le fruit d’un long combat. Audrey Tatry a créé l’association “Une école inclusive pour tous” à la suite de son combat judiciaire pour faire valoir les droits de son fils, Sohan, alors âgé de 6 ans, et scolarisé à Rosny-sous-Bois. En janvier 2023, le tribunal administratif de Montreuil lui a donné raison. Elle a obtenu la prise en charge effective des 20 heures que lui avait notifiées la Maison départementale des personnes handicapées (MDPH) du 93.
Audrey Tatry ne s’arrête pas là. Elle décide, au-delà de son cas personnel, de trouver des solutions concrètes pour améliorer l’inclusion scolaire. “Ce projet, on l’a eu en tête à trois heures du matin. Mais, c’est grâce à ce partenariat entre tous que cette boite voit le jour“, rappelle-t-elle. Le contenu de l’Adaptabox a, en effet, été pensé par un collectif comprenant des parents d’enfants en situation de handicap de l’association, une enseignante, des psychomotriciennes et une éducatrice spécialisée. Si le ministère de l’Éducation nationale et le ministère de la Santé ont validé le dispositif, l’association doit le tester à l’échelle locale avant de pouvoir envisager un déploiement national. C’est le rectorat de Créteil (lequel couvre les départements de la Seine-Saint-Denis, du Val-de-Marne et de la Seine-et-Marne) qui a accepté de travailler à son expérimentation dans les établissements de l’académie et, plus précisément, à la formation des enseignants à l’utilisation des outils.
Un projet financé par les villes et l’Éducation nationale
Pour chaque boîte, le coût d’investissement représente environ 500 euros, cofinancé par les communes pour l’achat du matériel, et le rectorat de Créteil pour la conception de livrets pédagogiques et la formation des enseignants. 72 boites ont été conçues pour cette phase d’expérimentation.
L’Adaptabox sera testée dans cinq villes pilotes : Gagny et Rosny-sous-Bois en Seine-Saint-Denis, Brie-Comte-Robert et Montévrain en Seine-et-Marne, et Choisy-le-Roi dans le Val-de-Marne.
La fabrication des premières Adapta’box est elle-même très locale puisque leur conditionnement a été piloté par l’Esat (établissement ou service d’aide par le travail) de Rosny-sous-Bois. C’est aussi une entreprise rosnéenne, ACF Menuiserie, qui les a confectionnées.
Le lent et long parcours de l’inclusion du handicap à l’école
“Si on est ici, c’est que l’inclusion est finalement la grande question. On se rend compte que, dans cette histoire d’inclusion scolaire, tout le monde souffre : que ce soit les enseignants, les AESH, les parents, même les académies“, pointe Audrey Tatry.
Pour Rolin Cranoly, le maire (LR) de Gagny, dont la ville va mettre à disposition 18 Adapta’Box, l’objectif est “de sensibiliser sur le fait qu’un enfant ou un être humain, sans pour autant être reconnu en situation de handicap, peut avoir des besoins spécifiques. Est-ce que nous considérons aujourd’hui qu’un gaucher est en situation de handicap ? Non, mais, selon moi, on est peut-être le handicapé de quelqu’un d’autre au regard de ses aptitudes, de ses compétences“, considère-t-il.
Fatiha Keloua-Hachi, députée de Seine-Saint-Denis et présidente de la commission des affaires culturelles et de l’éducation de l’Assemblée nationale, estime pour sa part que l’école française a du retard en atière d’accueil des élèves en situation de handicap. “Audrey a gagné son procès, mais c’est une victoire symbolique. Aujourd’hui, il y a 20 000 enfants en situation de handicap qui ne vont pas à l’école parce qu’ils n’ont pas d’AESH, parce qu’il n’y a pas de place à l’école pour eux. En Seine-Saint-Denis, on doit bien être à 10%, peut-être même plus, de ce nombre d’enfants“, constate-t-elle. “Aujourd’hui on a trente ans de retard“, jauge l’élue, en référence à la prise en charge en Italie.
“Bien sûr, on peut être insatisfait de cet instant T, mais on peut aussi regarder le passé, il y a 100 ans, voire même seulement 20 ans. On les mettait à côté de l’école, dans d’autres structures. Là où nous en sommes aujourd’hui, c’est une très belle évolution de nos mentalités de ne pas mettre la différence à l’extérieur de nos écoles. C’est tout l’objet des formations que nous faisons avec les professeurs“, pondère Nathalie Kuehn, directrice académique adjointe de la Seine-Saint-Denis. En témoigne, le lab troubles du neuro-développement ouvert depuis juin dernier, où tous les enseignants, mais aussi les AESH et les agents des collectivités, peuvent bénéficier de formations. Le rectorat de Créteil compte par ailleurs 16 unités externalisées (8 maternelles / 8 élémentaires).
Pas question de gauche ou de droite : une “question humaine”
Pour la phase 2 du déploiement de l’Adaptabox, l’association Une école inclusive pour tous est lauréate de l’appel à projet Agir, du département de la Seine-Saint-Denis, et travaille déjà à une box adaptée au 1er cycle (maternelle). “Dans cette histoire il n’y pas question de gauche, droite, centre, finalement c’est une question humaine“, se réjouit Audrey Tatry.
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