Coloré, costumé, musical… Il faut imaginer un carnaval de 1 500 participants, pour la plupart des adolescents, défiler entre le théâtre de la Commune à Aubervilliers et la mairie de Pantin dans le cadre de l’olympiade culturelle de Paris 2024. Organisée par huit lieux du spectacle vivant de Seine-Saint-Denis, la Grande parade, baptisée “On ne va pas se défiler !, investira la rue le 23 juin pour montrer toute la fierté d’un département et son savoir-faire culturel.
Stade Jean Delbert, dans les hauts de Montreuil. Sous un soleil d’été, ce samedi 8 juin, une fanfare entonne ses premières notes. Derrière elle, un premier groupe se met en marche, esquissant un mouvement de danse. Au centre de la procession, Mahamoud et Samba, élèves de seconde du lycée Condorcet, avancent le poing levé en hommage aux athlètes américains Tommie Smith et John Carlos des JO de Mexico en 1964. Ils sont encore à pied et répètent avec une cinquantaine d’autres camarades. Le jour J, le 23 juin, ils seront près de 150 de la section du Théâtre public de Montreuil (TPM), à défiler dans la Grande parade. Mahamoud et Samba feront partie des cinq cavaliers qui fendront leur cohorte, mais sur de vraies montures. Ils rejoindront alors les 1 500 participants attendus pour la Grande parade.
“Ce n’est donc pas une simple réunion de personnes 15 jours avant“
“Pour “On ne va pas se défiler !”, nous avons commencé à travailler depuis deux ans. À travers ce défilé, nous avons voulu inscrire un temps long, celui d’une présence d’artistes à Montreuil qui a créé des liens avec les habitants. Ce n’est donc pas une simple réunion de personnes 15 jours avant“, explique Pauline Bayle, la directrice du TPM. “Des projets comme cela, on en a quinze ou vingt chaque année. C’est une réalité quotidienne de nos structures. Là, le résultat sera très visible parce qu’il y aura ce feu d’artifice le 23 juin. Mais, ce n’est que la surface émergée de l’iceberg : ce travail d’ouverture sur la ville, sur des lieux qui ne sont pas dédiés au spectacle vivant, et, dans le fond sur autrui, fait partie de nos missions en tant que théâtre public”, poursuit-elle.
À l’origine de la Grande parade, huit lieux du spectacle vivant de Seine-Saint-Denis se sont associés dans un collectif nommé La Beauté du geste : la MC93 de Bobigny, le Centre national de danse de Pantin, Houdremont et la Maison des jonglages de La Courneuve, l’Espace 1789 de Saint-Ouen, le Théâtre Louis Aragon de Tremblay-en-France et les trois centres dramatiques nationaux du département : le TPM, La Commune à Aubervilliers et le Théâtre Gérard Philippe de Saint-Denis. Cette Grande parade est l’initiative phare de l’Olympiade culturelle financée par le département à hauteur de 2,4 millions d’euros sur un total d’environ 6 millions d’euros.
“Lorsque Paris a été désignée pour accueillir les Jeux olympiques et paralympiques, nos huit structures ont fait ce rêve un peu fou de créer quelque chose ensemble et qui nous ressemble, en mettant la jeunesse au centre de l’attention. Et puis, il y a eu la crise Covid. Le travail quotidien avec les jeunes et les habitants s’est alors révélé encore plus bénéfique“, relate Julie Deliquet. Pour la directrice du théâtre Gérard Philipe, qui a pris le projet en marche en 2020, un an après son lancement, “ce défilé XXL est bien l’opportunité de mettre en valeur tout ce savoir-faire, de rendre visible l’identité de nos lieux et de rendre hommage à toutes ces structures qui gravitent autour de nous : les éducateurs, les professeurs, les chefs d’établissement, les associations, les bénévoles, les unités de soins…. Mais, ce sont les artistes qui font le lien entre le théâtre et les habitants et qui donnent chair à notre mission de service public“, pointe-t-elle.
“L’idée, c’est de changer le rapport entre le spectateur et l’acteur“
Pour la réalisation de son segment de la Grande parade, le CDN (centre dramatique national) de Montreuil a choisi la compagnie de cirque La Fauve. Son directeur, Arthur Sidoroff, s’est fait connaître pour ses “Rêves parades”, des résidences artistiques à même l’espace public. Dans cet esprit, La Fauve s’est installée une première fois au parc des Guilands en août 2022 et une seconde à la prairie des Murs à pêches en juin 2023. “L’idée, c’est de changer le rapport entre le spectateur et l’acteur. On s’installe pour au moins deux semaines. C’est un véritable campement, une partie de l’équipe dort sur place. Et puis, on part à la rencontre des habitants avec nos chevaux. On se balade dans les rues. Le cheval joue un rôle essentiel parce qu’en ville, il déclenche la curiosité, l’envie de toucher. Il suspend le temps. Cette rencontre change la relation que l’on peut avoir avec l’animal. On a aussi sound système. La musique joue un rôle important. On invite les gens à participer au campement, au soin des chevaux et finalement à faire comme nous“, détaille Arthur Sidoroff, en pleine répétition au stade Jean Delbert.
C’est lors de ces “Rêves parades” que certains jeunes comme Mahamadou et Samba ont rejoint le projet, grâce à l’association de quartier Lez’Arts dans les murs. Ils ont récemment été initiés à l’équitation par Arthur Sidoroff qui leur confiera Johnny et Saxo pour le défilé. “On a tout de suite accroché avec les chevaux, même si ce n’est pas si simple de garder son équilibre“, commente Samba. “Les Jeux olympiques ne m’intéressent pas trop. Mais, je suis fier parce qu’on va porter le symbole fort du black power“, confie-t-il. Assis à quelques mètres, Fatouma, Nawan et Djalil font une pause fraicheur, à l’ombre, sur les gradins du stade. “On a rencontré plein de gens. On appréhende un peu le public, mais ça va être super“, commente la première. Tous les trois sont en option danse au lycée Charles de Gaulle de Rosny-sous-Bois. “Pour les élèves, c’est une très belle expérience. Lorsque le TPM nous a proposé le projet, nos élèves ont tout de suite adhéré. Ils sont très fiers de représenter leur ville et la Seine-Saint-Denis“, observe Léna, enseignante du collège Jean Jaurès, dont deux classes de 4ème prennent part à la Grande parade. “En tant que prof d’EPS, je trouve aussi que c’est très bénéfique parce qu’ils travaillent sur une chorégraphie dansée. C’est une autre approche du rapport au corps qui n’est pas si courante. C’est aussi l’apprentissage de la responsabilité parce que c’est un projet collectif“, poursuit-elle.
“Il y a une vertu très émancipatrice à trouver sa place dans un collectif“
“La dimension collective est fondamentale dans le spectacle vivant et sa création“, considère Pauline Bayle. “Je suis convaincue qu’il est essentiel de la partager parce que c’est transmettre des valeurs d’écoute, de respect d’autrui, de faire ensemble. Il y a une vertu très émancipatrice à trouver sa place dans un collectif et à vivre ce frisson lorsque l’on se jette à l’eau parce que même si l’on n’est pas un professionnel, on veut toujours qu’un spectacle soit génial. Cet appel de la lumière est très joyeux à mettre en partage“, ajoute-t-elle. Dans le groupe du TPM, il y a aussi des “individuels” comme Sandile, 24 ans ou Anne, 63 ans, qui explique justement avoir rejoint la troupe “pour participer à une œuvre collective“. “Le TPM fait participer des habitants, des scolaires, des maisons de quartiers, des centres sociaux et des associations culturelles, des élèves du conservatoire de Montreuil qui forment la fanfare, mais aussi de l’École nationale des arts du cirque de Rosny-sous-Bois“, détaille Antonin Delom, coordinateur du projet au TPM. Il y a même des élèves du lycée La Source de Nogent-sur-Marne, qui propose des formations aux métiers des arts, du spectacle et de la création textile. Ce sont d’ailleurs eux qui ont confectionné les costumes aux couleurs acidulées, floqués d’une étoile, symbole du cirque, à partir de vêtements et de textiles récupérés notamment à la ressourcerie solidaire Neptune.
“On ne voit jamais autant de gens, jeunes, se mettre au diapason“
Au Théâtre Gérard Philippe, le projet a aussi été pensé local, “made in Saint-Denis“, souligne Julie Deliquet. En tout, il enverra 250 participants à la Grande Parade, dont six classes des collèges Elsa Triolet, Garcia Lorca et Pierre de Geyter, des élèves de la filière mode du lycée pro Frédéric Bartholdi et du conservatoire de la ville.
“La première fois que j’ai vu tous ces adolescents répéter dans une cour de l’école, j’ai été émue aux larmes de voir cet ensemble trouver un silence commun et prendre vie après une semaine d’école“, remarque Julie Deliquet. “On ne voit jamais autant de gens, jeunes, se mettre au diapason pour tenter un geste commun. Cela représente des heures et des heures de travail avec toutes les exigences que cela implique. Il faut imaginer la performance que cela représente avec les sept autres groupes qui défileront le 23 juin. On s’est posé la question d’un ensemblier qui viendrait signer le dernier geste artistique qui les réunirait tous. On y a renoncé parce que l’on a convenu qu’il fallait laisser s’exprimer nos différences et que la fraternité, la sororité et, en définitive, la solidarité sont les valeurs les représentatives de ce projet et de l’identité du 93. D’une certaine façon, c’est aussi une philosophie qui sous-tend les Jeux olympiques. Cette Grande parade est un projet inédit à l’échelle nationale. Et il ne fait pas de doute qu’il y aura un après parce que le projet a pris trop de racines pour disparaître après les Jeux.”
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