20 000 mineures sont actuellement placées en France sous la protection de l’Ofpra pour les sauver des mutilations sexuelles comme l’excision, qu’elles pourraient subir si elles rentraient au pays. Mais le parcours de reconnaissance de ce risque reste lent, parfois traumatisant pour les petites filles, et n’aboutit pas toujours. Témoignages en Ile-de-France.
“Si le bébé que tu portes est une fille, on pourrait faire une demande d’asile pour la protéger de l’excision”, glisse l’assistante sociale à Nassira, 27 ans, Ivoirienne sans papiers, dont la longue robe cache un ventre arrondi par cinq mois de grossesse, lors d’un rendez-vous à Saint-Ouen. Originaire de la campagne, Nassira a elle-même subi une excision traditionnelle en Côte d’Ivoire, où elle a été mariée de force avant de quitter son mari violent, raconte-t-elle. “Chez nous, les hommes ont plus de pouvoir que les femmes”, commente la jeune mère.
Mère d’un garçon d’un an né sur le territoire français, hébergée dans un hôtel social à Sevran, elle enchaîne les rendez-vous médicaux et sociaux en Seine-Saint-Denis. Bientôt, une échographie lui permettra de connaître le sexe de l’enfant. Depuis son arrivée en France en 2021, elle erre entre la rue, les hébergements de fortune et les hôtels sociaux. “Elle est partie pour des années de galère, sauf si elle accouche d’une fille”, glisse l’assistante sociale.
L’excision : une mutilation encore largement pratiquée dans plusieurs pays
En Côte d’Ivoire, 37% des femmes âgées de 15 à 49 ans sont victimes d’excision, selon les chiffres de l’association Excision parlons-en. Cette mutilation consiste généralement en l’ablation du clitoris et des petites lèvres, partiellement ou totalement. Cette pratique peut entraîner des douleurs intenses, des problèmes urinaires et menstruels, des complications durant grossesse et accouchement, la diminution du désir et du plaisir sexuels, et des traumatismes psychologiques. En cas d’infections non traitées et d’hémorragies, elle peut même parfois causer la mort.
Parmi les pays les plus concernés par ces mutilations sexuelles féminines figurent “la Guinée, la Côte d’Ivoire, le Mali, le Nigeria, le Sénégal, la Mauritanie, le Burkina Faso ou encore le Soudan”, explique Annalou Kleinschmidt, référente violences faites aux femmes à l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra).
Au total, 20 000 mineures sont actuellement placées en France sous la protection de l’Ofpra pour les protéger des mutilations sexuelles féminines qu’elles pourraient subir si elles rentraient au pays.
Son fils d’un an sur les genoux, Nassira confie avoir peur qu’on la “renvoie” en Côte d’Ivoire. Elle aimerait “travailler, étudier, avoir un métier”, elle qui a été “jusqu’à la classe de terminale”. Mais “c’est trop compliqué sans les papiers”. Si elle était enceinte d’une fille, obtenir l’asile pour son enfant pourrait lui permettre de bénéficier d’un titre de séjour français. Cependant, “les demandes n’aboutissent pas tout le temps”, nuance l’assistante sociale.
Reconnaissance du risque d’excision : un parcours lent et pénible
Cette demande d’asile pour les mineures est “particulière”. “Le dossier requiert un certificat de non-excision, délivré après un examen gynécologique devant impérativement être réalisé au sein d’une unité médico-judiciaire”, explique Anita Traoré, présidente de l’association Chance et protection pour toutes, qui vient en aide aux femmes victimes de ces mutilations.
Or, ces unités sont débordées. “Il est très difficile d’avoir un rendez-vous, notamment en Ile-de-France”, dit Isabelle Gillette-Faye, présidente de la Fédération nationale du Groupe pour l’abolition des mutilations sexuelles (GAMS).
“De plus, il s’agit d’un examen extrêmement délicat, qui ne doit pas se transformer en violence institutionnelle à l’égard des fillettes examinées”, poursuit-elle.
Cet examen médical peut aussi être “violent” et “agressif”: “parfois, les petites filles n’y sont pas préparées”, avertit Violaine Husson, responsable genre et protection de la Cimade, l’association d’aide aux personnes migrantes et réfugiées. D’autant qu’il doit être réalisé tous les trois à cinq ans, une fois l’asile accordé pour “vérifier que la mineure n’a pas été excisée”, détaille Annalou Kleinschmidt.
Le certificat de non-excision doit être corroboré par d’autres informations, recueillies lors d’un entretien, “étape phare de la procédure”, ajoute-t-elle, “ce sont les parents qui vont exprimer leurs craintes concernant leur fille auprès de l’Ofpra”. Durant cet entretien sont évoqués la zone d’origine, l’ethnie d’appartenance, le degré de traditions respectées ou encore le nombre de femmes excisées dans la famille.
“L’attribution de l’asile se fait vraiment au cas par cas, c’est un processus complexe. Des femmes, majeures ou mineures, issues de certains pays peuvent voir leur demande déboutée parce qu’elles ne viennent pas de zones à risque”, prévient Isabelle Gillette-Faye. “Par exemple, le Sénégal interdit l’excision, mais certaines femmes continuent d’en être victimes”.
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