Rupture de traitement, suivi médical dégradé …les sans-abri présentant des troubles psychiques subissent de plein fouet le manque de moyens alloués à la psychiatrie, souligne Alain Mercuel, coordinateur des équipes mobiles psychiatrie et précarité (EMPP) d’Ile-de-France.
Dans un entretien à l’AFP, le psychiatre à l’hôpital Sainte-Anne à Paris insiste sur l’importance d’agir en amont sur les facteurs de risques et de multiplier les appartements de coordination thérapeutique. Interview.
Combien de sans-abri se trouvent en souffrance psychique en France ?
Leur nombre n’est pas connu avec précision mais une enquête menée en 2009 par le Samu social et l’Inserm (institut national de la santé et de la recherche médicale-ndlr) avait estimé à un tiers (32%) le nombre de personnes sans-abri à Paris présentant un trouble psychiatrique sévère nécessitant des soins.
Parmi ces troubles, on relevait 13% d’état psychotiques, à savoir schizophrénie, états délirants aigus, délires paranoïaques, 7% d’états dépressifs graves, 12% d’états anxieux invalidants. Un tiers avaient une conduite addictive, à l’alcool et au cannabis essentiellement.
Si on applique ces chiffres à l’échelle nationale, où le nombre de sans-abri est estimé à 350 000, on arrive à 115 000 sans-abris nécessitant des soins psychiatriques. Les équipes mobiles déployées sur le territoire en ont rencontré 35 000, donc il y a entre 75 et 80 000 sans abris présentant des troubles psychiatriques que nous n’avons pas rencontrés – qui passent sous les radars.
Pour certains, la maladie psychiatrique préexistait à la situation de sans-abrisme et a provoqué la désocialisation. Pour d’autres, c’est l’exil, le traumatisme de l’immersion dans la précarité qui a fait le lit de la pathologie. Au niveau du passage à l’acte, contrairement à ce qu’on pourrait penser, les personnes présentant des troubles psys sont plus souvent agressées qu’elles n’agressent.
Quelles sont les failles du système actuel ?
Les personnes qui font la démarche de venir consulter d’elles-mêmes sont rarissimes. Certaines accèdent aux soins psychiatriques par le biais des services d’urgence. Mais, la plupart du temps, les personnes ne peuvent pas consulter d’elles-mêmes, que ce soit pour des raisons physiques ou psychiques et c’est là où les équipes mobiles psychiatrie-précarité interviennent. Soit les acteurs de terrain lors des maraudes arrivent à les faire venir à notre lieu de consultation soit on va à leur rencontre.
Mais le contexte actuel n’aide pas. On a l’habitude de dire que la psychiatrie est le parent pauvre du monde de la santé, les sans-abris sont les petits enfants de ces parents pauvres, ils subissent de plein fouet le manque de moyens et l’inflation.
Pour eux, c’est la double peine. Avant, on pouvait garder quelqu’un quelques jours supplémentaires pour stabiliser le traitement, aujourd’hui ce n’est plus possible en l’état. Résultat, le suivi est rompu et on sait qu’il est difficile de prendre des médicaments quand on est à la rue. Les sacs peuvent se perdre, ils peuvent faire l’objet de vols et leur conservation à l’abri de l’humidité et de la lumière est plus que complexe dans ces situations. Les financements des structures d’accueil subissent aussi l’inflation. Avec 100 euros il y a 3 ans, on faisait des choses qu’on ne peut plus faire maintenant, du coup, on se retrouve avec un suivi de moins bonne qualité parce qu’il n’y a pas assez de personnel.
Quelles seraient les solutions ?
Il faut limiter les facteurs de risque pour éviter que les gens se retrouvent à la rue. Donc ça veut dire mieux repérer la maltraitance infantile, par exemple, en augmentant au niveau de l’école la présence de médecins et de psychologues. Le service militaire, je ne dis pas qu’il faut le remettre, mais il avait l’avantage de repérer les jeunes de 18 ans qui étaient en train de déraper. Or, on sait que plus un trouble est pris précocement, meilleur est le pronostic.
Il faut également éviter que les personnes sans abri changent de lieu d’hébergement en permanence, cela veut dire co-construire des structures qui permettent d’accueillir rapidement des personnes, comme les appartements à coordination thérapeutique, avec un suivi social et sanitaire.
“Psychiatrie : l’état d’urgence” (Fondation Fondamental / Institut Montaigne) Fayard
publié (avec propositions) en 2018, 5 ans déjà, et la situation empire.
Pour le suicide, le livre indique : 10 000 morts, 200 000 tentatives, par an, faute souvent de moyens de prise en charge à temps.
Si certains cas sont médiatisés, les morts sur la route (3 600 en 2012) le sont davantage et les féminicides (150 pour un millier d’homicides annuels) bien davantage. Pourtant, dans les trois catégories il y a des morts évitables.
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