“On nous a mis une cible sur la tête”: l’ex-proviseure d’un lycée d’Ivry-sur-Seine, mutée à l’étranger depuis, et sa collègue du rectorat ont dénoncé les ravages de la haine en ligne devant le tribunal correctionnel de Paris vendredi. Elles avaient été menacées de mort sur internet après les posts d’une lycéenne exclue pour port d’abaya.
Trois jeunes gens sont mis en cause, parmi lesquels une ancienne élève exclue de l’établissement, âgée de 19 ans. Son avocat Nabil Boudi a plaidé “la maladresse” d’une jeune fille “dépressive” et “meurtrie”, aujourd’hui “auto-entrepreneuse sans ressource”. Trois jours après son exclusion du lycée il y a un an, prononcé par un conseil de discipline après que toutes les possibilités de dialogue aient été explorées, elle s’était déchaînée sur TikTok et sur X.
Décrite comme “intelligente”, elle accusait son lycée d’islamophobie et relayait l’identité de la proviseure et de la conseillère du rectorat, mentant sur de supposées violences, ce qui avait déclenché une avalanche de commentaires et de retweets. “C’était d’une violence abominable”, dans un contexte où tout le monde avait en tête l’assassinat de Samuel Paty le 16 octobre 2020, victime d’un jeune radicalisé après des messages de haine colportés sur les réseaux sociaux, a témoigné à la barre la proviseure.
Protection policière puis mutation à l’étranger
Cette mère de famille de 50 ans a été placée plusieurs mois sous surveillance policière, avant un départ à l’étranger dans le cadre d’une mutation. Elle a raconté comment, incrédule, elle a réalisé par son fils l’ampleur que cela prenait sur les réseaux sociaux: “Il m’a dit: – Maman, c’est la merde, c’est en train d’être repris par tous les grands comptes!”, a-t-elle relaté. Une affaire similaire, bientôt jugée à Paris, impliquant le proviseur du lycée parisien Maurice Ravel après une altercation avec une élève voilée, l’a convaincue de venir à la barre.
“j’ai pas fait ce métier pour ça“
“Je me suis mise en danger, moi et ma famille (…) j’ai pas fait ce métier pour ça”, a-t-elle dit. À Ivry-sur-Seine, sa collègue du rectorat a indiqué qu’elle ne circulait “plus à pied mais en voiture”. Destinataire de messages comme “Trop tard, on a ta photo!”, il lui a fallu durant plusieurs mois se méfier, changer constamment d’itinéraire, ne pas circuler avec ses proches. “Maintenant, quand on m’appelle de loin, je réfléchis avant de me retourner”, a-t-elle confié. “J’ai l’impression qu’il y a un million de personnes qui peuvent me reconnaître”, dit-elle, citant le nombre de vues atteint par les posts de la lycéenne exclue.
Six mois de prison avec sursis ont été requis à l’encontre de cette dernière, ainsi que cinq ans d’inéligibilité et un stage de citoyenneté, pour “harcèlement” et “divulgation d’information personnelle permettant d’identifier ou localiser une personne et l’exposant à un risque d’atteinte à sa personne ou ses biens”.
Comme le président Eric Vivian s’interrogeait sur son absence à l’audience, l’avocate d’une partie civile, Me Florence Lec, a brandi son téléphone, après consultation du compte Instagram de la prévenue : “Elle est aujourd’hui au Sofitel de Dubaï en train de prendre du bon temps au lieu de faire face aux victimes !”.
Une peine à peine plus légère de cinq mois d’emprisonnement avec sursis a été requise contre un internaute de 20 ans, ex-élève du lycée, qui avait insulté la proviseure et l’avait menacée de revenir la “niquer”. Le jugement a été mis en délibéré au 5 juillet.
Faute d’avocat commis d’office, un étudiant de 20 ans sera lui jugé le 30 mai 2025. Il avait également mis en cause la proviseure et une autre collègue, disant avoir “des antécédents à régler” avec cette dernière avec un mème vidéo se voulant humoristique et montrant un homme maniant un couteau de façon menaçante.
La France fête cette année les 20 ans de la loi interdisant les signes religieux à l’école (voiles, kippas, grosses croix, etc), complétée en 2023 par un texte interdisant le qamis et l’abaya.
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