Créateur de bijoux ou sculpteur sont des métiers qui font rêver. Réussir à en vivre n’a toutefois rien d’évident et il faut une bonne dose de passion. Rencontre avec Karine Pollastro (photo de une) et Tuan T. Tran, tous deux artistes à Saint-Denis, à l’occasion de l’édition Ob’Art à Saint-Ouen.
“Ce qui m’intéresse, c’est de garder une empreinte minérale. Pour moi, les formes que l’on trouve dans la nature sont déjà magnifiques. Je ne veux pas les transformer. Je cherche à les valoriser dans mon travail, un peu comme un cuisinier sublimerait une carotte“, explique Karine Pollastro. Entre ses doigts, elle montre l’une de ses créations qu’elle vend sous le nom de sa société, Bazalte : une bague constituée d’un anneau sur lequel elle a soudé un matériau plaqué or à l’argent, ayant la forme et la texture d’un fragment de pyrite.
Karine Pollastro est l’une des 37 artisans d’art qui exposaient ce week-end à la Serre Wangari à Saint-Ouen, où les Ateliers d’art de France ont organisé une édition inédite du salon Ob’Art en partenariat avec l’intercommunalité Plaine Commune. Depuis 2020, elle est résidente du 6B, un vaste tiers lieu à Saint-Denis, où elle partage un atelier avec une autre bijoutière, Marion Fillancq.
“Je n’ai jamais fait de plan de carrière“
“Je ne me serais jamais imaginée arriver là où j’en suis aujourd’hui. Je ne me rends toujours pas compte. Je n’ai jamais fait de plan de carrière“, confie Karine Pollastro. “Avant, j’ai fait plein de boulots : j’ai été assistante de vie scolaire (AVS), j’ai travaillé dans l’édition… Mais j’avais depuis longtemps envie de faire des bijoux“, raconte-t-elle. Elle commence d’ailleurs par fabriquer des bijoux fantaisie chez elle. “Très vite, j’ai voulu aller plus loin. Je voulais souder moi-même et travailler le métal“, poursuit-elle. Elle prend des cours avec une amie, puis franchit le pas en suivant une formation avec le Greta (Formation professionnelle de l’Éducation nationale) et obtient un CAP en 2018 à l’école Boule. “Mais cette formation adulte n’a été que d’un an, ce qui est court. Normalement, elle dure trois ans. Je n’avais appris que les bases“, remarque Karine Pollastro qui finit par candidater pour être d’abord stagiaire dans l’atelier de Marion Fillancq au 6B.
La créatrice achète tous ses matériaux bruts. “Au départ, je sélectionne des pierres brutes comme la pyrite pour en faire un moule grâce à un fondeur, ce qui me permet de tirer mes bijoux en argent ou en bronze“, explique-t-elle. “Mais, je continue d’apprendre. Je viens, par exemple, de terminer un stage pour réaliser mes fontes moi-même.” Karine Pollastro réalise aussi des pièces serties de pierres de joaillerie “pour montrer le contraste” entre forme originelle de la matière et pierre taillée”.
“Je voulais faire quelque chose avec mes mains“
Un peu plus loin dans la Serre Wangari, Tuan T. Tran présente ses sculptures qui allient béton, vitrail et plomb. Lui aussi a fait une reconversion professionnelle. “Avant, je faisais du conseil en formation d’entreprise, ce qui m’a beaucoup aidé pour tout l’aspect entrepreneur du métier. Mais, je voulais faire quelque chose de mes mains et m’exprimer“, motive-t-il. Il participe donc au chantier de restauration du château médiéval de Berzy-le-Sec (Aisne). C’est là qu’il découvre le vitrail et qu’il décide de suivre une formation à ce métier d’art en 2020. Il lance l’atelier ANH en 2022, au 68 avenue du Président Wilson à Saint-Denis. Il finit par sauter le pas en janvier 2024 pour se consacrer à 100% à cette activité.
“Assez vite, j’ai voulu faire un autre type de créations, plus petites, ce qui posait la question du cadre. Souvent, les vitraillistes cherchent un cadre pour poser leur création. J’ai choisi le béton“, commente le sculpteur. “Petit à petit, le cadre s’est complexifié : j’ai rajouté de la matière, des formes inspirées de l’architecture brutaliste. Ce cheminement m’a fait entrer un tout autre univers“. Pourquoi le béton ? “C’est sans doute lié à mon histoire : j’ai grandi en banlieue, dans le Val d’Oise, et j’aime beaucoup cet aspect urbain. Le béton a aussi propriétés qui me plaisent : c’est un matériau qui est accessible, facilement malléable et qui se marie très bien à mes yeux avec le vitrail et le plomb“, explique Tuan T. Tran. Aujourd’hui, il vend ses créations grâce aux réseaux et à la galerie en ligne Artmajeur.
“Pour se lancer, il faut de la ténacité“
Pour les créateurs, l’aventure n’est pas un long fleuve tranquille. “Ce n’est pas évident d’en vivre. Il y a les charges fixes de l’atelier et le coût des matériaux, surtout du verre. Au début, je ne voulais faire que des sculptures, mais je me suis rendu que ce que je vends beaucoup, ce sont les objets décoratifs“, pointe Tuan T. Tran.
“Pour se lancer, il faut de la ténacité“, abonde Karine Pollastro. La créatrice de Bazalte estime n’être réellement visible que depuis un an, à force de participer à des expositions comme la Foire de Saint-Denis ou à la Chambre des métiers et de l’artisanat de la Seine-Saint-Deni,s et grâce à son référencement sur les marketplace de e-commerce comme les Ateliers d’arts de France. “Je travaille beaucoup aussi au bouche-à-oreille. On me contacte par Instagram. Beaucoup d’amis d’amis me font des commandes particulières pour, par exemple, des chevalières. Contrairement à beaucoup de bijoutiers, je ne dessine pas, parce que c’est pas mon truc. Je fais directement des maquettes en métal au chalumeau, ce qui me prend beaucoup de temps, mais cela permet de voir tout de suite le volume des pièces.
Pour lancer son activité, Karine Pollastro s’est appuyée sur des indemnités de chômage puis une dotation du prix de perfectionnement décerné chaque année par la ville de Paris à des artisans d’art. Cela n’a pas empêché des moments de découragement. “Vendre est un métier à part entière, qui n’est pas le mien. Il faut prendre le temps d’être comptable, commerçant, artisan… Avoir toutes ces casquettes, c’est un peu difficile. Sans compter qu’il faut payer les fins de mois“, glisse-t-elle. Mais, pour rien au monde je ne ferai autre chose“.
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