Depuis plusieurs années, le port de Bonneuil, opéré par Haropa – Ports de Paris, fait rayonner le street-art dans ses darses. Une manière de se connecter à la ville qui l’entoure sur le plan culturel, au-delà du réaménagement urbain. Point commun de la majorité des œuvres : un univers marin peuplé d’oiseaux et de poissons fantastiques.
Un peu à l’écart de la ville, le port de Bonneuil constitue un terrain de jeu idéal pour le graffiti, doté de grands murs irrésistibles à la bombe de peinture. Au-delà d’expressions spontanées, plus ou moins abouties, le port a décidé d’encourager sa forme artistique depuis plusieurs années, en faisant progressivement un véritable musée de plein air, à la thématique très cohérente.
“Lorsque je suis arrivé en 2012, il y avait déjà des expressions spontanées de street art”, confie Eric Fuchs, directeur du port, sensible à ce mouvement. De rendu inégal, ces productions sont alors régulièrement recouvertes d’un coup de peinture par les conducteurs de travaux. Certaines fresques valent pourtant le détour, estime le directeur qui décide de canaliser le mouvement pour en faire un atout d’attractivité.
Cet article s’inscrit dans le cadre d’une série d’articles sur le street-art réalisés avec le soutien de Val-de-Marne Tourisme et Loisirs.
Connecter le port à la ville
“L’idée était aussi appuyée par l’architecte-conseil dans le cadre de notre schéma d’aménagement et de développement durable”, indique Eric Fuchs. Pour le site logistique et industriel, un peu excentré, l’enjeu de ce schéma est notamment de développer le rapport ville-port. “Un port, c’est un élément essentiel à la ville, mais on a tendance à considérer que c’est à part. Cela peut provoquer un phénomène de rejet car ce n’est pas toujours très beau. Ça fait un peu de bruit, un peu de poussière, mais sans le port, il y aurait des milliers de camions en plus et cela serait absolument insupportable. Les fonctions portuaires doivent donc être comprises.”
Dans le contexte du port de Bonneuil, ce lien ville-port autour du street-art fait écho à la démarche de la commune qui a fortement encouragé le street-art de commande dans ses espaces publics depuis quelques années, comme l’illustre cette vaste fresque sur le thème de la Commune de Paris, réalisée autour d’une enceinte de chantier, réalisée par le collectif Douze Douze.
Pour entrer en contact avec les street artistes, le port demande au comité du tourisme départemental qui organise déjà des croisières au port, de les accompagner. “Nous organisons régulièrement des événements de découverte du street-art en Val-de-Marne, comme le festival Phénomèn’art, et sommes donc en lien avec de nombreux street-artistes locaux”, explique François Roblot, directeur de Tourisme Val-de-Marne.
Fin 2021, démarre ainsi une première collaboration avec Quentin Chaudat, street-artiste de Cachan, et le duo Tito Mulk, coordonnés par l’association Des ricochets sur le pavé. Cette première commande s’inscrit dans le cadre de la création d’un parking poids lourd disposant d’un grand mur, à proximité du point ferroviaire, au 73 rue du Moulin Bateau. Les trois artistes réalisent une immense fresque de 500 m2, “Port bleu”, représentant un palétuvier et ses racines, dans un univers de couleurs intégralement bleu et blanc.
Après cette première expérimentation, l’opération s’institutionnalise chez Haropa, avec un budget annuel, complété par une participation des entreprises portuaires qui mettent leur mur à disposition. Désormais, le procédé est bien rodé.
Chaque année, un concours est d’abord organisé pour départager les artistes sur leur projet de fresque. “Dans les premières années, on avait trois-quatre candidats. Aujourd’hui, il y en a plutôt entre vingt et trente”, se réjouit le directeur du port. C’est ensuite un jury, composé de représentants du comité du tourisme, du port, de la ville de Bonneuil, de l’architecte-conseil du port, Urbicus, et de l’entreprise où l’œuvre sera réalisée, qui choisit le lauréat.
Un cadavre exquis de street-art animalier sur la darse sud
Après le parking, le port choisit d’investir la darse sud, qui fait face au quai du Raincy, fréquenté des joggeurs, cyclistes et promeneurs. Un site qui devrait prochainement être doté d’une piste cyclable.
En octobre 2022, le dessinateur et illustrateur Syrk, artiste poitevin, s’empare ainsi des murs de l’entreprise MRB (Matériaux routiers de Bonneuil). Il les peuple d’une faune aquatique réjouissante, entre homard attrapant un parapluie ou dansant sur un bateau, poissons expressifs et autre poulpe géant, sur une surface de 220 m2.
Depuis, le port a choisi de continuer à colorer la façade de la darse sud. En 2023, Emyart’s, ancienne designer en haute joaillerie, enrichit l’univers marin de nouveaux poissons et oiseaux sur les parois de l’entreprise Vicat (production de béton). Une large fresque réalisée à l’huile dans des camaïeux de bleu et de jaune.
À chaque fois, les artistes réalisent leur fresque à l’occasion de Phénomèn’art et les festivaliers peuvent découvrir l’œuvre en cours d’achèvement et échanger avec leur auteur ou autrice.
Au-delà de ces initiatives, l’esprit street-art se propage dans le port. Fin 2023, alors que l’intercommunalité Paris Est Marne et Bois achève la construction de sa déchèterie – ressourcerie, également située sur la darse Sud, elle fait ainsi appel à Syrk pour offrir de nouveaux poissons joyeux à observer depuis le quai du Raincy.
“D’ici à quelques années, nous aurons six œuvres, cela constituera un parcours intéressant dans le prolongement de la ville”, se projette Eric Fuchs. D’autres projets sont aussi en cours, ailleurs dans le port.
Lors de la dernière édition du festival, en octobre 2024, c’est l’artiste Ardif qui est venu s’attaquer au quai de chargement et déchargement de la Spap (fabrication de parpaings, blocs béton, plancher…). Une entreprise qui se situe entre la déchèterie Paris Est Marne et Bois et le fabricant de béton Vicat, permettant ainsi de boucler l’illustration des murs de la darse dans l’esprit d’un cadavre exquis, même s’il ne s’agit pas d’un mur continu, chaque locataire ayant ses propres bâtiments.
Ancien architecte, autant inspiré par la nature et les animaux que l’architecture et la science-fiction, qu’il hybride dans un mélange steampunk, Ardif a expliqué s’être adapté à la configuration particulière du mur de l’atelier, avec ses décrochements et ses fenêtres, adaptant la tête de son magistral héron cendré à l’allure du bâtiment.
La lucarne du bas, elle, a été totalement intégrée dans un enchevêtrement de poulies, trouvant parfaitement sa place dans le nouveau décor.
Tout en bleu et orange contrastés, donnant la réplique au ciel et au sable, les hérons, martin-pêcheur et libellule d’Ardif, ont tapé dans l’œil des collaborateurs de la Spap.
“Avant la réunion du jury, j’ai montré tous les dessins qui étaient en compétition à mon équipe, en les prévenant que celui qu’ils retiendraient ne serait pas forcément retenu, et c’est celui-là qu’ils ont choisi”, a confié José de Oliveira, président de la Spap. Au-delà de la performance artistique, ce sont aussi des relations directes sans surplomb qui se nouent pendant quelques jours, entre les salariés et l’artiste qui vient installer son échafaudage et sortir ses couleurs.
Un enjeu d’image pour les collaborateurs
“La péniche, les tas de sable, les tas de ferraille, c’est un peu l’industrie d’antan. Même s‘il faudra toujours reconstruire la ville sur elle-même, on a besoin de moderniser notre image, car les chefs d’entreprise ont du mal à embaucher des jeunes. Les entreprises sont demandeuses d’un lieu qui soit agréable pour leurs salariés”, souligne Eric Fuchs. Au-delà du rapport ville-port, il y a donc un enjeu d’attractivité. Certes, le lieu est plutôt bien desservi par les transports, avec une ligne de bus 24h sur 24, mais on est loin de l’ambiance animée de centre-ville. Pour les anciennes générations, qui rentrent chez elles directement après le boulot, ce n’est pas un sujet. Pour les nouvelles, c’est plus compliqué et il s’agit donc d’anticiper cette mutation. D’où le développement de lieux comme la Maison du port, de pistes cyclables… Le port dispose aussi d’un restaurant, La Caravelle. Au-delà de ces infrastructures, la dimension culturelle anime cette lente mutation, qu’il s’agisse des croisières découverte du port, des animations sur place pour les écoles ou de ce mécénat autour du street-art. “Je pense qu’il faut beaucoup de liens immatériels”, insiste le directeur du port qui concentre 3 000 emplois.
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