À 52 de jours de l’ouverture des Jeux olympiques de Paris 2024, le collectif d’associations de solidarité, Revers de la médaille, estime à 12 545 le nombre de personnes expulsées entre mai 2023 et avril 2024, en augmentation de 38,5% d’une année sur l’autre. Lors d’une conférence de presse ce lundi, les associations de solidarité ont présenté un rapport chiffré sur le sujet et détaillé de manière concrète les conséquences de ce qu’elles appellent un “nettoyage social” à Paris et en Seine-Saint-Denis, les deux principaux territoires qui accueilleront Les JO.
“Le collectif de la médaille alerte depuis maintenant huit mois sur les conséquences sociales de l’organisation des jeux olympiques sur les populations les plus précaires“, explique Antoine de Clerck, son coordinateur. “1,5 million de personnes ont été expulsées avant les JO de Pékin, 77 000 à ceux de Rio, ce sera combien à Paris?“, interroge-t-il.
Chiffres à l’appui, le collectif, qui regroupe 102 associations, veut interpeller l’État et le comité d’organisation des Jeux olympiques sur ce qu’il qualifie de “nettoyage social” des personnes les plus précarisées vivant dans des campements, bidonvilles, lieux de vie informels ou à la rue, et dépendent de l’espace public pour vivre et travailler.
Accélération des expulsions
Durant la période 2023-2024, l’Observatoire des expulsions de lieux de vie informels publié par le collectif a ainsi dénombré 138 expulsions en Île-de-France contre 121 sur la période 2021-2022, “parmi lesquelles 64 expulsions de bidonvilles, 34 expulsions de regroupements de tentes (exclusivement sur Paris et Aubervilliers), 33 expulsions de squats, ainsi que sept expulsions de personnes voyageuses. Ces expulsions ont concerné 12 545 personnes, une augmentation de 38,5 % par rapport à la période 2021-20222. Parmi ces personnes, 3 434 étaient mineures, soit deux fois plus que l’an dernier, et presque trois fois plus qu’en 2021-2022“, détaille le rapport rendu public ce lundi par Le revers de la médaille.
“Il y a clairement une accélération des expulsions. En avril 2024, rien que pour l’Ile-de-France, on compte 23 expulsions qui ont affecté 1 896 personnes. Il y a une accélération soudaine en sortie de trêve hivernale et une pression des forces de l’ordre“, complète Anthony Ikni, délégué général du Collectif national droits de l’homme Romeurope, qui coordonne l’observatoire. Alors qu’un diagnostic social a été fait dans seulement un quart des cas expulsions réalisées en 2023, il pointe une détérioration des conditions dans lesquelles ces expulsions ont lieu. “Il y a aussi une évolution des bases juridiques qui permettent d’expulser. De plus en plus d’arrêtés préfectoraux et municipaux, difficilement contestables, sont pris, souvent très rapidement, ne laissant aux gens que 48h, parfois moins pour partir“, ajoute Anthony Ikni.
Théodore Malgrain, du barreau de Paris Solidarité, association d’accès au droit, pointe pour sa part une “accélération des évictions “sèches” et non concertés des petits campements de personnes “grande précaires”. Depuis janvier 2024, ce sont au moins 25 campements qui ont disparu du jour au lendemain“.
Évacuations liées au JO
“La France va se démarquer dans l’histoire des JO. Vancouver c’était des bus, avec juste un ticket aller. Nous, ce seront les SAS régionaux“, alerte à son tour Paul Alauzy, porte-parole du collectif et coordinateur veille sanitaire à Médecins du Monde. Au nombre de dix, ces centres régionaux d’accueil temporaire ont été créés en mars 2023 pour “désengorger” les centres franciliens, et doivent être prolongés jusqu’à la fin 2024. “On nous dit les yeux dans les yeux qu’ils n’ont pas été créés pour les jeux, je pense qu’on nous prend pour des dupes“, raille Paul Alauzy. Selon un chiffre que s’est procuré Franceinfo auprès de la préfecture de la région Île-de-France, plus de 5 224 personnes ont été déplacées d’Île-de-France pour aller vers d’autres régions, via le dispositif des SAS, dont 1 266 depuis le début de l’année 2024.
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“On prend des sans-abris à Paris pour les orienter dans d’autres régions, comme ça on cache la misère, on la met bien sous le tapis avant les jeux. On nous a promis de nous léguer une société plus inclusive après ces jeux. Avec la loi immigration, la loi Kasbarian, avec cette dynamique préfectorale, avec cette circulaire SAS, on est en train de faire un monde impossible pour tous les Yaya de ce pays et pour toutes les personnes qui ont décidé de se tenir solidaires à leurs côtés“, fustige Paul Alauzy. Le porte-parole du Revers de la médaille fait référence à Yaya, un des délégués du squat Unibéton, situé à côté du village olympique à l’Ile-Saint-Denis et évacué le 26 avril. “Le 25 avril, j’étais dans sa chambre. Arrivé en France depuis 2017, il a fait une demande d’asile qu’il n’a jamais obtenue. Depuis, Yaya bosse comme un sans-papier“, raconte Paul Alauzy. Les habitants d’Unibéton ont trouvé un autre lieu à Rosny-sous-Bois avant d’en être évacuées le 6 septembre et de se retrouver à Aubervilliers dans un squat qui doit être évacué à la mi-juin.
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Autres exemples d’évacuations : celle du squat du pont du Landy, canal Saint-Denis où vivent encore 200 personnes, du bidonville évacué à Noisy-le-Sec, ou encore, plus indirectement, du squat de Vitry-sur-Seine dans le Val-de-Marne, même si “c’est compliqué d’établir des liens direct avec les JO“, concède Anthony Ikni.
“Avec les JO, l’espace public va être fortement contrôlé par une très forte présence policière en Ile-de-France. On sait qu’on va avoir des périmètres de sécurité où les personnes ne pourront pas rester. Nous sommes particulièrement inquiets parce que les personnes sans abris n’ont qu’une seule solution : rester dans l’espace public, et cette solution va le leur être enlevée“, note de son côté Lila Cherief du Secours catholique.
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Des capacités d’hébergement d’urgence déjà saturées
“Sur les deux départements [concernés en Ile-de-France], la Seine-Saint-Denis et Paris, on a déjà une concentration de la précarité avec la saturation des dispositifs d’hébergement d’urgence, un nombre important de lieux de vie informels, et des dispositifs d’accès à l’aimantation qui sont complètement saturés“, signale Lila Cherief. En matière d’hébergement d’urgence, le SIAO de Paris comptait ainsi, en 2023, 800 demandes d’hébergement par jour non pourvues au titre du 115. En Seine-Saint-Denis, c’est 715 demandes par jour non pourvues au 13 mai, dont 69% concerne des familles.
“Chaque soir, Paris et la Seine-Saint-Denis font 65% de toutes les nuitées d’hôtel [pour l’hébergement d’urgence] d’Ile-de-France. Il y a en 4 000 dans les Hauts-de-Seine pour 12 000 en Seine-Saint-Denis. J’ai demandé il y a de très nombreux mois au préfet de région de faire de ce débat, une occasion pour l’État du rééquilibrage territorial. Surtout à un moment où la Seine-Saint-Denis est en train de se transformer avec des friches qui sont aménagées, réduisant les espaces propices à de l’habitat précaire. Je voudrais que cette situation soit l’occasion d’une prise de conscience que les dispositifs d’hébergement d’urgence sont totalement saturés en Île-de-France“, commente à ce sujet Stéphane Troussel. Le président du conseil départemental de Seine-Saint-Denis, qui a rencontré en mai le collectif, dit également travailler avec des associations, comme Médecin du Monde, dont le Centre d’accueil de soins et d’orientation (CASO) est situé à Saint-Denis, pour permettre la continuité de leur activité durant les JO. La tenue des Jeux risque, en effet, de provoquer des interruptions. La Drihl 93 (direction régionale et interdépartementale de l’hébergement et du logement) a, par exemple, annoncé que 40% des dispositifs d’aide alimentaire seraient fermés cet été, soit parce qu’ils se situent en périmètre JO, soit faute de bénévoles.
Plus de places d’hébergement
Alors que plus 3 400 personnes sans abris ont été comptabilisées à Paris lors de la dernière Nuit la solidarité (7% de plus par rapport à 2023), l’État s’est engagé à ouvrir 274 places d’hébergement. “À ce jour, seules 73 sont ouvertes et occupées. Cette promesse est intéressante, mais elle est à mettre en regard avec les 3 000 places perdues en 2023 et les milliers de sans-abris installés sur le reste du territoire et dans d’autres périmètres JO comme le métro, les fans zones“, déplore Théodore Malgrain. Ces places sont par ailleurs réservées aux grands précaires, ce qui exclut de fait les primo-arrivants et les mineurs non accompagnés qui constituent une partie importante de la population des sans-abris, rapporte-t-il.
Lire : Nuit de la solidarité 2024 : près de 3 500 sans abris recensés à Paris
Le collectif Le Revers de la médaille milite également pour l’ouverture de 1 000 places à Paris. “La Mairie de Paris a fait cette proposition face à toute cette pression. Elle a repéré un lieu ; elle a le budget. La seule chose qui manque est le pouvoir de réquisition de la préfecture“, indique Paul Alauzy. À plus long terme, le collectif réclame 19 000 places à l’État. En Seine-Saint-Denis, il doit rencontrer la préfecture ce mercredi sur l’organisation des périmètres de sécurité, tout en déplorant une réunion tardive.
Durant les JO, Le Revers de la médaille entend bien continuer à marquer les esprits. “On espère que la réponse au monde militant sera proportionnée et raisonnable. Nous, on fait des actions festives et pacifiques“, fait savoir le porte-parole du collectif. Dimanche dernier, 200 bénévoles ont collé 3 000 affiches et peint plusieurs dizaines de clean tag à Paris et en Seine-Saint-Denis.
Lire le rapport “1 an de nettoyage social avec les JOP 2024”
Excellente nouvelle que l’Etat fasse enfin respecter la loi, tu squattes ou tu ne payes pas ton loyer, tu es expulsé, c’est parfaitement logique et légitime, nous sommes dans un état de droit.
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