La Société des Grands Projets (ex Société du Grand Paris) présentera le 7 novembre à la mairie de Bondy l’avancée des travaux de la ligne 15 Est et de la construction des deux gares dans la commune. Expulsions, noria de camions sur trois villes, contentieux juridiques… Près d’un mois après la fin de l’enquête publique sur la future gare de Bondy, cette réunion publique s’annonce déjà houleuse.
“La SGP vient présenter ses deux nouvelles gares, mais nous attendons des réponses sur le projet de circulation des camions proposé dans l’enquête publique, qui n’est pas acceptable“, observe Michel, un membre de l’association Bondy Autrement. “Il risque d’y avoir de la colère“, soupire pour sa part Francis Redon, le président d’Environnement 93. Les deux structures ont déjà contesté en justice le projet de la gare de Bondy sur la ligne 15 Est. Sans succès. “C’est très surprenant qu’il y ait cette réunion. La SGP, tout comme la mairie de Bondy, savaient qu’il y avait une enquête publique. Il aurait été intéressant de faire ça avant“, pointe le militant écologiste. Pour lui, le procédé est même “grossier” et “un peu provocateur“. “Je ne pense pas que la réunion se passe de manière très calme”, prévient-il.
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Habitants, parents d’élèves, élus contre le projet
L’enquête publique qui s’est achevée le 11 octobre doit, en effet, permettre de régulariser la déclaration d’utilité publique (DUP) sur trois points : l’absence d’évaluation des incidences du projet en termes de pollution de l’air de la centrale à béton et de flux de camions sur les axes routiers locaux ; les nuisances sonores sur la crèche Janusz Korczak ; et la mise à jour du plan de circulation des poids lourds chargés de l’approvisionnement et de l’évacuation des déblais du chantier de la gare de Bondy.
C’est sur ce dernier aspect que se cristallisent aujourd’hui les inquiétudes d’une partie des habitants de Bondy, mais aussi des Pavillons-sous-Bois et de Villemomble. Les deux communes seront, en effet, impactées par le nouveau plan proposé par la SGP. De fait, s’il est validé, les camions passeront aussi sur leur territoire, route de Villemomble, rue Anatole France, rue Franklin, rue Louis Auguste Blanqui, avenue Eugène Fischer et avenue Albert Thomas.
Un scénario qui provoque une levée de boucliers. Les parents d’élèves de la FCPE du collège Éric Tabarly ont lancé une pétition contre ce plan de circulation qui a recueilli à ce jour 307 signatures. De leur côté, les élus pavillonnais et villemomblois sont furieux que leurs deux communes n’aient pas été prises en compte dans le périmètre de l’enquête publique. Leurs maires, Phillipe Dallier et Jean-Michel Bluteau, pourraient même contester en justice sa légalité. Après le conseil municipal des Pavillons-sous-Bois, celui de Villemomble a aussi voté un vœu pour s’opposer au projet de la SGP. Dans un courrier en date du 11 octobre, le maire de Bondy, Stéphen Hervé, s’est pour sa part inquiété auprès de la commissaire-enquêtrice, de la circulation des camions avenue Anatole France et plus particulièrement, de la capacité du pont dit “des Coquetiers” à le supporter, à l’image du pont Jules Ferry situé plus à l’ouest. Un arrêté avait été pris, en septembre 2022, interdisant la circulation des camions de plus de 3,5 tonnes. Dans son courrier, l’édile s’interroge aussi sur les moyens que comptent déployer la SGP et le groupement d’entreprises Corea (qui a remporté le premier marché de conception-réalisation de la ligne 15 Est), pour entretenir les voies communales affectées par le flux de camions durant la durée des travaux.
Une régularisation de la DUP contestée
À l’origine de cette nouvelle enquête publique, deux habitants expropriés par le chantier : Denise Kasparian et Mehmet Yazar ont porté l’affaire en justice. Pour construire la nouvelle gare de Bondy à côté de celle existante du RER E, la SGP avait, en effet, besoin de créer une emprise déportée rue Etienne Dolet, de l’autre côté des voies de la SNCF. À cette fin, elle a requis l’expropriation des habitants qui ont demandé au tribunal administratif de Montreuil d’annuler l’arrêté de cessibilité de leurs biens immobiliers pris le 21 juillet 2022 par le préfet de la Seine-Saint-Denis. La juge avait alors prononcé en juillet 2023 un sursis à statuer, donnant un délai de douze mois à la SGP pour régulariser “les vices entachant l’arrêté du 20 juin 2018” modifiant une première fois la DUP.
Faute d’une régularisation à l’issue des 12 mois de délai, qui a échu le 19 juillet, Me Pierre Heïdi, avocat de Denise Kasparian, a de nouveau demandé au tribunal de Montreuil d’annuler l’arrêté de cessibilité. Il a aussi fait valoir une décision rendue le 14 juin 2024 par le Conseil d’État, selon laquelle “lorsqu’est invoqué par voie d’exception, à l’appui de conclusions dirigées contre un arrêté de cessibilité, un vice affectant l’acte déclaratif d’utilité publique sur le fondement duquel cet arrêté de cessibilité a été pris, un tel vice est insusceptible d’être régularisé dans le cadre du recours dirigé contre l’arrêté de cessibilité.” Le Conseil d’Etat avait alors statué dans une affaire du même type concernant l‘établissement public d’aménagement Euroméditerranée.
“Le principal problème dans cette affaire réside dans la possibilité de régulariser la DUP. C’est une question juridique très complexe. En juillet 2023, le tribunal a, en quelque sorte, accordé une deuxième chance à la SGP pour régulariser. Mais, le tribunal ne pouvait pas le faire. Ce n’est pas un type de contentieux sur lequel la jurisprudence permet de procéder à une régularisation“, souligne Me Pierre Heïdi.
Pour Francis Redon, “le terme de régularisation est très mal choisi. L’enquête publique ne concerne pas un simple problème de forme. Il s’agit bien d’une nouvelle enquête publique sur l’impact du chantier.” La première enquête publique, rappelle-t-il, “avait émis des observations très négatives sur les camions qui passaient par le centre de Bondy. C’est pour cela que l’emprise déportée avait été créée pour éviter cette circulation. Mais, aujourd’hui, on revient à la situation de départ avec des camions qui vont passer par le centre-ville.”
Prolongation du délai de régularisation jusqu’au 31 janvier 2025
Le tribunal administratif de Montreuil a néanmoins donné raison à la SGP et au préfet de la Seine-Saint-Denis, qui ont demandé une prolongation de 12 mois pour régulariser la DUP. Motifs invoqués : des retards dans la réalisation de mesures de la qualité de l’air sur site par des bureaux d’études spécialisés et dans la réalisation d’études complémentaires nécessaires à la régularisation de l’étude d’impact et de l’organisation de l’enquête du 9 septembre au 11 octobre “en raison de la période estivale marquée par l’organisation des Jeux olympiques de Paris“. Dans son jugement rendu le 24 octobre, la juridiction administrative a ainsi accepté de prolonger le délai de régularisation de la DUP jusqu’au 31 janvier 2025 pour donner le temps à la commissaire-enquêtrice de rendre son rapport, et au préfet de signer le nouvel arrêté. Il a aussi refusé “à titre exceptionnel” d’appliquer la nouvelle jurisprudence du Conseil d’État, au nom de “la sécurité juridique” et estimant qu’elle “porte une atteinte excessive à l’intérêt public qui s’attache, en l’espèce, à la réalisation, sur le territoire de la Seine-Saint-Denis, de la ligne 15 Est du réseau de transport public du Grand Paris.”
En attendant la résolution de cet imbroglio juridique, Denise Kasparian a rendu les clés de sa maison le 24 septembre. Mehmet Yazar a été expulsé le mardi 29 octobre au matin. Les deux propriétaires ont été préalablement indemnisés par la SGP pour se reloger.
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