L’entrepreneur Joseph Klapisch (oncle du réalisateur), l’artiste Michel Krever, les familles Tyszelman, Segal… 13 Cachanais, 9 hommes et 4 femmes, âgés de 18 à 71 ans, ont été déportés et exterminés parce que juifs, durant la Seconde Guerre mondiale. Ces vies, qui chacune pourrait faire l’objet d’un film tant elles sont romanesques, Gérard Najman a entrepris de les documenter avec rigueur, croisant témoignages familiaux et pièces d’archives. Un travail de mémoire, mais aussi d’histoire, qui replace chaque arrestation dans le contexte de mesures anti-étrangers puis anti-juives de plus en plus oppressantes.
Impliqué dans la vie cachanaise de longue date, notamment dans le cadre du mouvement Décidons notre ville, Gérard Najman, aujourd’hui âgé de 75 ans, est aussi un petit-fils de déporté sans retour. Sa propre mère a dû vivre cachée après la rafle du Vel d’Hiv des 16 et 17 juillet 1942. C’est en 1996, alors élu d’opposition, qu’il suggère de créer une exposition pour en transmettre l’histoire aux jeunes générations. En 1995, Jacques Chirac a reconnu le rôle de la police française dans cette rafle lors d’un discours qui a fait date. Le projet d’expo se concrétisera en 2001, en parallèle d’une première commémoration à Cachan, alors que Gérard Najman est devenu maire-adjoint de Jean-Yves Le Bouillonnec. En 1998, la mère de Gérard Najman décède, quelque temps après avoir été interviewée par la Fondation des archives de l’histoire audiovisuelle des survivants de la Shoah créée par Steven Spielberg. “Pendant longtemps, elle n’avait évoqué cette période que par bribes, je n’avais jamais eu d’explication linéaire”, se souvient-il. Le fils voit alors le puzzle s’assembler.
Gérard Najman dédicacera son livre, “Rencontre de la mémoire juive de Cachan avec l’Histoire” ce samedi 21 septembre entre 17 heures et 19 heures à la librairie Chroniques de Cachan, au 19 rue Camille Desmoulins. Le livre a été édité par l’association Les ateliers du Val-de-Bièvre, avec le soutien de la ville.
L’histoire de la famille Klapisch
Au tournant des années 2000 toutefois, la question de la déportation des Juifs de Cachan est peu documentée. C’est un peu par hasard, en 2012, que Gérard Najman prend connaissance de deux cas de déportation. Puis, en 2020, lors de la mort du physicien Robert Klapisch (père du réalisateur) né dans la ville en 1932, on lui demande un hommage. Gérard Najman retourne sur Internet pour se documenter sur le personnage… et plonge. “Entre 2000 et 2020, les outils sur Internet avaient changé. Beaucoup plus d’informations étaient disponibles.” Ainsi découvre-t-il que la famille Klapisch a aussi été marquée par la déportation. Alors que les trois frères aînés de Robert le physicien tenaient avec leur père une florissante entreprise de fumaison et salaison de poissons rue Camille Desmoulins, deux des frères seront déportés, dont un seul reviendra. Arrêté lors de la rafle du billet vert (la couleur de la convocation) le 14 mai 1941, Joseph Klapisch est interné au camp de Beaune-La-Rolande puis envoyé à Auschwitz en juin 1942. S’il échappe à la mort à son arrivée, affecté à des tâches comptables, il est assassiné deux mois plus tard, considéré comme inapte au travail après avoir cassé ses lunettes. Cette histoire, Gérard Najman la documente en croisant témoignages familiaux et archives. Pour cela, il a envoyé un mail circonstancié au réalisateur Cédric Klapisch qui lui ouvre son carnet. Il pourra ainsi interviewer directement Béatrice, la fille de Joseph.
Après cette monographie, publiée par l’association des Ateliers du Val-de-Bièvre, qui cultive l’histoire et le patrimoine local, Gérard Najman poursuit ses recherches sur la déportation des Juifs de Cachan à partir de la liste élaborée par les Amis de la Fondation pour la mémoire de la déportation (AFMD). Cette association recense toutes les personnes déportées, soit à des fins de répression, notamment pour des faits de résistance ou de refus de STO (service de travail obligatoire), soit à des fins d’extermination, essentiellement des Juifs. L’édition 2024 de ce recensement par la délégation du Val-de-Marne fait ainsi état de 1570 déportés pour répression et de 1207 déportés pour extermination dans le département. À partir de cette liste, qu’il contribue à actualiser, Gérard Najman creuse, recoupe, cherche les archives et les témoignages. La prise de contact se fait parfois facilement, contre toute attente, à partir d’un simple message laissé sur un téléphone, sans même être tout à fait sûr qu’il s’agit de la bonne personne. C’est comme cela qu’il retrouve la petite-fille de Chaïm Pliskin, ravie de partager avec lui l’interview qu’elle a enregistrée de son père avant qu’il ne décède, et de sauver ainsi cette mémoire. Il retrouve aussi un descendant de Berek Gerszenowicz qui conserve un trésor de documents. Plusieurs services d’archives se montrent aussi coopératifs. D’autre fois, c’est plus compliqué, comme avec cette famille émigrée aux États-Unis, dont les descendants se méfient, craignant une démarche commerciale, ou ne veulent pas revenir sur ce moment tragique.
Peu à peu, la documentation se structure. “Le confinement m’a bien aidé au départ, car j’ai eu beaucoup de temps libre, sans réunions”, confie l’ancien élu, toujours impliqué dans la vie associative. Que faire de ce travail d’historien ? “C’est la maire de Cachan, Hélène de Comarmond, qui m’a incité à publier.” L’éditeur s’est imposé comme une évidence, l’association des Ateliers du Val-de-Bièvre. Alors, Gérard Najman a mis ses notes en ordre, peaufiné et organisé son récit. “Je l’ai fait relire à ma petite fille de 16 ans, car je tenais absolument à ce que cela soit lisible pour la nouvelle génération. Ce travail s’inscrit d’abord dans une perspective de transmission.”
Au fil des pages, s’égrènent des parcours de vie tous romanesques, tel celui de Michel Krever, sculpteur et peintre qui fit partie du mouvement artistique de l’École de Paris, dans le Montparnasse du début du 20e siècle. Au-delà de ces histoires, toutes singulières et touchantes, de personnes qui, pour une grande majorité, ont fui la Pologne, la Russie, et autres pays de l’Est, voyant la France comme un refuge, ce recueil dépasse la dimension mémorielle pour contextualiser chaque déportation dans la chronologie des mesures de répression. Après avoir favorisé l’immigration au sortir de la Première Guerre mondiale, la France durcit les conditions de naturalisation, ce qui ne sera pas sans conséquence dans les rafles et la déportation, lesquelles ne concerneront d’abord que les étrangers de certains pays, puis d’autres, puis les Français. Viennent ensuite les mesures anti-juives dès 1940, de plus en plus étouffantes. Les arrestations des 13 déportés étudiés par Gérard Najman correspondent aussi aux grandes rafles, de celle du billet vert à la rafle des Juifs roumains, puis des juifs grecs… en passant par la grande rafle du Vel d’Hiv, à la suite de laquelle 4 Cachanais seront déportés. Une histoire locale qui raconte le conflit mondial et la politique de collaboration française.
Ces anciens maires de Cachan marqués par l’histoire
L’auteur rend par ailleurs hommage à Léon Eyrolles, maire de mai 1929 au 21 août 1944. Le fondateur de l’École spéciale des travaux publics (ESTP) et des éditions Eyrolles soutint sans faillir les demandes de naturalisation de ses administrés et protégea tacitement le foyer de résistance qui s’organisa au sein de l’ESTP, sous l’égide du directeur André Desguine. Sa femme, l’artiste Cécile Hertz, est un temps internée à Drancy pour n’avoir pas porté l’étoile jaune lors de l’inauguration du stade Dumotel en octobre 1942. Ironie de l’histoire, il sera destitué en aout 1944 et même condamné à mort pour “intelligence avec l’ennemi” par l’organisation antinazie Légions françaises anti-axe. Ceci pour avoir fait apposer une affiche dissuadant les étudiants de tracter des appels à la résistance, en réalité pour éviter d’attirer l’attention. Il sera libéré quelques semaines plus tard sur ordre du ministre Alexandre Parodi.
L’histoire de Jacques Carat (né Karaimsky), maire de mai 1953 à septembre 1998, est aussi marquée par cette période. Lui est mobilisé en avril 1940 puis interné en Allemagne, comme prisonnier de guerre, ce qui lui assure la protection de la Convention de Genève. Pendant ce temps, sa famille voit son magasin de confection aryanisé. Elle échappera heureusement aux rafles, prévenue par des clients.
Gérard Najman dédicacera son livre, “Rencontre de la mémoire juive de Cachan avec l’Histoire” ce samedi 21 septembre entre 17 heures et 19 heures à la librairie Chroniques de Cachan, au 19 rue Camille Desmoulins.
il ya une erreur: : mon frère Robert Klapisch le physicien n’avait pas 3 frères ainés. C’est notre père Solly Klapisch qui avec ses frères avait une usine de fumaison au 43 rue Camille Desmoulins.
Marcel Klapisch
… et cette carpe, ce n’était pas un poisson rouge.
…pardon, Klap(f)isch.
Une carpe de chez Klap(f)ish ! Mmmmh…
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