Proposer du sur-mesure tout en garantissant la capacité de fournir de gros volumes, telle est la spécificité des Établissements Giffard à Orly. La menuiserie a réussi à fidéliser ses équipes grâce à des projets “qui sortent de l’ordinaire”, nous explique son dirigeant, Jean-Christophe Toussaint.
C’est en 1920 que François Giffard crée sa menuiserie à Clamart. Une petite entreprise familiale, artisanale, qui prospère sur trois générations et va prendre un tournant décisif dans les années 1960. C’est l’époque, notamment, du développement de l’aéroport d’Orly. Les besoins changent d’échelle. Il faut des dizaines de banques d’accueil et des centaines de caisses pour accueillir les voyageurs. La menuiserie Giffard saura y pourvoir, en ayant “le génie de faire de l’artisanat, mais à grande échelle”, résume Jean-Christophe Toussaint, actuellement à la tête des Établissements Giffard.
Lorsque le dernier Giffard aux commandes de la menuiserie, Jean-Michel, cède l’entreprise pour partir en retraite, son successeur poursuit ce changement d’échelle de manière industrielle, négligeant le caractère spécifique de chaque projet qui faisait sa valeur ajoutée. Ainsi commence-t-il à travailler en sous-traitance pour de grands groupes de BTP. La recette échoue. C’est dans ce contexte que Jean-Christophe Toussaint reprend l’entreprise à la barre dans le courant des années 2000. Le cap est clair : revenir à l’essence du métier, du sur-mesure avec une forte capacité de mobilisation pour produire le volume requis.
Cet article s’inscrit dans le cadre d’une série de portraits d’entreprise ambassadeurs du Fabriqué en Val-de-Marne réalisés avec le soutien de la Chambre de commerce et d’industrie, à l’initiative de ce programme. Plus d’informations
“Il y avait une colonne vertébrale qui existait toujours, grâce, notamment, à plusieurs collaborateurs qui avaient fait leur apprentissage chez Giffard et en avaient gardé l’ADN. On est revenu aux fondamentaux avec eux, et autour d’eux”, se souvient Jean-Christophe Toussaint.
Diplômé de Panthéon Sorbonne, le nouveau président a toujours été entrepreneur. Après avoir commencé dans la présentation visuelle pour les commerces (mannequins, bustes) puis l’agencement de magasins, il s’est pris de passion pour le bois et a plusieurs entreprises liées à cette activité. “Au début de ma carrière, j’ai fait du polyester qui pose des problèmes de sécurité au travail. Le bois est un matériau sourçable et c’est une activité qui demande du savoir faire et des hommes”, motive-t-il.
“Des chantiers qui sortent de l’ordinaire”
Les ressources humaines, ce sera justement l’un des premiers défis à relever pour le nouveau management. Car l’équipe qui connait le métier est proche de la retraite. Il faudra une dizaine d’années pour reconstituer un vivier de pros et former les nouvelles générations, à raison aujourd’hui de 7-8 apprentis par an, dont “autant d’hommes que de femmes”, précise Jean-Christophe Toussaint. Alors que la croissance est au rendez-vous, le recrutement est stratégique. “On veut des chantiers qui sortent de l’ordinaire, il faut donc avoir une taille rassurante”, démontre le dirigeant. Réciproquement, ce sont ces chantiers d’exception qui permettent de fidéliser les recrues.
“Aujourd’hui, nous sommes l’une des plus grandes menuiseries d’Ile-de-France. Nous allons faire 27 millions d’euros de chiffre d’affaires cette année et employons 100 personnes”, cadre le patron. L’entreprise fait également appel à la sous-traitance sur certains chantiers.
Anticiper les projets sur le long terme
Outre les ressources humaines, l’autre challenge, pour cultiver les chantiers originaux et pérenniser l’activité, est l’anticipation. Un investissement en temps qui ne va pas forcément de soi, lorsque les chantiers pleuvent comme à la sortie de la crise sanitaire. “Nous allons chercher des chantiers que nous facturerons dans sept-huit ans, défend Jean-Christophe Toussaint. Des dossiers comme celui de la nouvelle halle de la gare d’Austerlitz mobilisent des heures de travail, mais cela permet de sécuriser le carnet de commandes avec de beaux projets.”
Des parquets du château de Versailles aux podiums des JO
Basée à Orly depuis 2013, la menuiserie s’attelle aussi bien à la réfection ultrasensible de prestigieux monuments historiques comme la cathédrale Notre-Dame de Paris, qu’aux aménagements de nouvelle génération. Avec une technique pour chaque projet, de la méthode puzzle consistant à numéroter chaque pièce de parquet pour réparer les sols du château de Versailles, aux machines numériques cinq axes. Au-delà du travail sur bois, le chantier commence souvent bien en amont, par les prises de mesure in situ, puis de la modélisation en bureau d’étude.
Parmi les derniers exemples de projets : les quelque 700 modules de bois qui ont permis de fabriquer la centaine de podiums olympiques et paralympiques des Jeux de 2024. Pour ce chantier sportif, la menuiserie a fourni des modules qui ont ensuite été recouverts de plastique recyclé par l’entreprise Le Pavé, basée en Seine-Saint-Denis.
Accompagner la transition écologique, avec cohérence
À l’heure du réchauffement climatique, le nouvel enjeu pour les Établissements Giffard, est d’intégrer la contrainte environnementale, avec cohérence. “Dans le cadre du chantier de la nouvelle halle de la gare d’Austerlitz, par exemple, l’architecte souhaitait initialement du parquet en bambou, qui présente l’intérêt de très bien résister aux variations d’humidité. En parallèle, le cahier des charges prévoyait des clauses très strictes pour limiter les gaz à effet de serre, privilégiant les circuits courts. Plutôt que d’importer le bambou de Chine, nous avons donc proposé du chêne sur chant, composée de lamelles recyclées assemblées verticalement, ce qui permet une grande dilatation.” Une proposition alternative, assortie d’une vitrification aux UV, qui a finalement été acceptée car répondant mieux aux contraintes environnementales, mais qui implique une prise de risque dans la réponse. “Désormais, nous essayons d’aller plus loin en recyclant les ballasts (traverses en bois) de chemin de fer, neufs mais fendus, qui ne peuvent donc être utilisés et sont mis au rebut. Nous étudions actuellement cette faisabilité.” Du chantier circulaire qui n’a toutefois rien d’évident, observe le chef d’entreprise, car parfois nettement plus coûteux.
Recycler s’avère, en effet, plus complexe que de partir de zéro. “Ce que l’on économise en matériau, on le dépense en matière grise”, pointe Jean-Christophe Toussaint.
Un bois de plus en plus local
Pour accompagner la transition, l’approvisionnement local du bois est par ailleurs devenu majoritaire. “En dix ans, on est passé de 40% de bois français et 60% de bois, essentiellement exotique, à 80% de bois français ou européen, et de moins en moins de bois exotique”, insiste le dirigeant. Une inversion des proportions qui vient “à la fois des clients et de notre démarche”, ajoute-t-il. “Aujourd’hui, quand un client souhaite du bois exotique, on s’assure que vraiment nécessaire. Sinon, on propose une alternative.” Exemple actuel dans un chantier de réhabilitation en hôtellerie de luxe, où l’acajou va être remplacé par un chêne teinté. “Mais c’est forcément un peu plus risqué et il y a un travail sur la teinte, qui doit coller à l’imaginaire.”
Les podiums des Jeux olympiques et paralympiques, eux, ont été réalisés en peuplier. “Nous souhaitions un arbre à croissance rapide. On trouve beaucoup de peupliers dans les milieux humides, notamment près des lacs de Troyes. Les panneaux ont ensuite été préparés dans une usine en Vendée. Nous aurions aimé utiliser des panneaux non conformes, car ils étaient de toute façon recouverts, mais les délais étaient trop courts.”
Le bémol pour fabriquer en Val-de-Marne ? le prix du foncier
Installée à Clamart depuis 1920, dans une zone pavillonnaire, la menuiserie a déménagé en 2013, après le rachat du site par un promoteur. Aujourd’hui déployée sur 3 500 m2 à Orly, rue du Kéfir, les Établissements Giffard apprécient cet emplacement, bien situé du point de vue logistique. L’entreprise, qui fait partie des Ambassadeurs du Fabriqué en Val-de-Marne, est toutefois à l’étroit et peine à trouver plus grand. En cause : le prix du foncier à cette distance de Paris. “Ça coute cher”, résume Jean-Christophe Toussaint, qui évalue actuellement les aides potentielles pour passer ce cap.
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