Environnement | | 15/02
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Prison de Noiseau : l’État sort l’arme fatale pour construire sur les terres agricoles

Prison de Noiseau : l’État sort l’arme fatale pour construire sur les terres agricoles © Fb

“C’est un 49.3 en urbanisme”, estime le maire de Noiseau, Yvan Femel (LR). Pour passer outre les vétos urbanistiques à la construction d’une prison, posés par la région et l’intercommunalité, l’État vient de lancer une procédure de qualification en Projet d’Intérêt Général (PIG). De leur côté, les agriculteurs (photo de une) tentent de s’opposer en jouant la montre.

Rappel historique Annoncé en octobre 2018, le projet de construire une prison de 700, et désormais 800 places, à Noiseau, ville de 5 000 habitants, a immédiatement suscité la colère de la population, soutenue par un front uni d’élus de tous bords, d’un bout à l’autre du département. Mais la maison d’arrêt de Fresnes, dotée de 1400 places, est en surpopulation chronique, parfois avec un taux de 200%. Dans ce contexte, l’objectif de construire une prison en Val-de-Marne est demeuré constant. Après avoir éliminé plusieurs sites potentiels, l’Apij (Agence publique pour l’immobilier de la Justice) a confirmé le choix de Noiseau, qui dispose encore de terres non construites, en particulier des terres agricoles, à proximité de l’ancien site France Télécom.

Début 2023, l’Apij a organisé une première concertation publique, lors de laquelle la population a massivement exprimé son refus de voir s’implanter une prison, notamment lors d’une réunion qui a attiré plus de 600 habitants en colère. En juin 2023, l’Agence a toutefois décidé de maintenir le projet, promettant de répondre aux réserves exprimées. Fin 2023, un appel d’offre a été lancé pour la construction. L’objectif affiché est d’ouvrir la prison en 2027.

Alors que le projet sera situé en partie sur des terres agricoles, obligeant à exproprier leurs exploitants, le Conseil régional d’Ile-de-France a tenté de sanctuariser les fermes dans son nouveau Schéma directeur (le Sdrif – E), mais ce document n’a pas encore obtenu le feu vert de l’État.

L’arme fatale : le Projet d’intérêt général (PIG)

C’est dans ce contexte que l’Agence pour l’immobilier de la justice a décidé de saisir la préfète du Val-de-Marne, Sophie Thibault, pour qu’elle déclare ce dossier comme Projet d’intérêt général (PIG). Le 5 février, la préfète a donc pris un arrêté pour lancer une procédure de qualification en PIG.

Créé en 1983 lors des lois de décentralisation, pour permettre à l’État d’imposer des projets d’utilité publique aux collectivités locales, le PIG permet de passer au-dessus des documents d’urbanisme votés par les collectivités, au nom de l’intérêt général, et de procéder à des expropriations. (Voir la fiche technique du PIG). Cette qualification oblige ainsi les plans d’urbanisme à se mettre en conformité, et non l’inverse.

Concertation autour du PIG, du 26 février au 29 mars

Un dossier fixant les principes et les conditions de réalisation du PIG sera mis à disposition du public du 26 février au 29 mars 2024, en ligne (Lien vers le site de concertation, actif à partir du 26 février) ainsi que dans les mairies de Noiseau et de La Queue-en-Brie, et en préfecture. Des registres physiques et électroniques permettront de déposer des observations. La commune de La Queue-en-Brie est également concerné car une des sorties y est prévue.

Surpopulation carcérale

Dans ses considérants, l’arrêté de la préfète rappelle “le niveau particulièrement élevé de la surpopulation carcérale en lie-de-France et notamment à la prison de Fresnes, qui accueillait 1935 détenus pour 1330 places au 1er octobre 2022, représentant un taux d’occupation de 145 %”. Il replace aussi le projet dans son contexte : le programme immobilier pénitentiaire qui prévoit la création nette de 15 000 places supplémentaires entre 2017 et 2027, pour “assurer la réponse pénale, résorber la surpopulation carcérale, ainsi qu’améliorer les conditions de travail des personnels pénitentiaires et la prise en charge des personnes détenues.”

“C’est un 49.3 en urbanisme”, dénonce Yvan Femel

Pour le maire de Noiseau, Yvan Femel, ce “passage en force” est ‘équivalent d’un “49.3 en urbanisme”, déplore-t-il dans une tribune sur sa page Facebook. “Je ne n’ai pas eu de réponse à mon courrier au Premier ministre. Au lieu de cela, l’Etat déclenche une procédure de PIG!” regrette l’élu auprès de 94 Citoyens, annonçant étudier toutes les options juridiques à sa disposition pour continuer de s’opposer au projet.

Fin janvier, des villes comme Noiseau et Sucy-en-Brie avaient retourné leur panneau pour protester contre le projet.

Lire : Des villes du Val-de-Marne renversent leur panneau contre la prison de Noiseau

Les agriculteurs jouent la montre

De leur côté, les agriculteurs n’entendent pas se laisser exproprier facilement, et jouent la montre au maximum.

Ils nous ont pris pour des péquenauds avec la fourche et le béret, mais aujourd’hui, les agriculteurs, ça n’est plus comme ça“, lâche Frédéric Naudier. Le céréalier de 61 ans cultive du blé, de l’orge ou encore des féveroles sur 130 à 140 ha à Noiseau, entre la friche Orange et la forêt de Notre-Dame où l’Apij veut construire une prison de 800 places. Les 8 ha de son voisin et ami d’enfance, Jacques Fauvarque, 63 ans, sont également en jeu. Les deux agriculteurs avaient pourtant prévu de céder leurs exploitations à Ludovic Naudier, 19 ans. “J’aide mon père à la ferme depuis tout petit. À la fin du collège, je voulais déjà m’orienter vers des études agricoles. L’envie de reprendre est venue naturellement“, explique-t-il.

Depuis l’automne 2022, les agriculteurs ont aussi engagé un bras de fer avec l’État en attaquant au tribunal administratif de Melun l’arrêté préfectoral du 14 octobre 2022 qui autorisait les diagnostics dans les champs. Celui-ci autorisait pendant quatre ans des entreprises mandatées à pénétrer et à occuper 8 parcelles pour réaliser un recensement de la flore et de la faune, des diagnostics archéologiques, des relevés géomètres et topographiques, une étude acoustique, des sondages géotechniques, hydrogéologique et une étude d’insertion urbaine et paysagère.

“Nous avons demandé une expertise pour établir la valeur de nos biens”, explique Jacques Fauvarque. De quoi jouer la montre. Un expert spécialisé en génie civil a été nommé, qui s’est déclaré incompétent. Fin juin 2023, un expert agricole a été désigné par le tribunal administratif, et a convoqué les parties courant juillet. “Nous leur avons fait remarquer qu’un terrain était en indivision et qu’ils n’avaient pas convoqué toutes les parties”, indique Jacques Fauvarque.

En parallèle, un système hydraulique de drainage, datant du 17e siècle, a été mis à jour, à une profondeur de 50 cm à 1 mètre, et une mission a été déléguée cet été à l’Inrap (Institut national de recherches archéologiques préventives), qui devrait démarrer prochainement. De quoi temporiser.

Les agriculteurs s’inquiètent du préjudice

La perspective de sondage des terres inquiète particulièrement les agriculteurs. Pour toucher les financements de la Politique agricole commune (Pac), ils doivent, en effet, déclarer leurs cultures d’ici au 15 mai. “Si l’Apij finit par sonder le terrain, ils vont endommager des surfaces que nous devrons enlever sous peine d’être sanctionné par la Pac”, explique Jacques Fauvarque. Même les fouilles archéologiques les inquiètent. “Si je ne peux pas cultiver une surface le temps des fouilles pendant deux ans, je perds les primes de la Pac”, ajoute Frédéric Naudier. Les céréaliers de Noiseau, qui se sont joints à la mobilisation agricole de janvier, se sont notamment rendus sur les barrages en Seine-et-Marne voisine pour partager leur combat contre la prison. Le 1er février, ils ont reçu le soutien des élus locaux (région, département, villes) et du collectif citoyen mobilisé contre le projet.

Éléments de réponse de l’Apij

L’agence publique de l’immobilier de la Justice assure que les dommages causés aux agriculteurs seront pris en charge. “L’évaluation financière sera réalisée dans le cadre de la procédure d’expropriation, pour les propriétaires et pour les exploitants, conformément au code de l’expropriation pour cause d’utilité publique. Par ailleurs, les dommages causés aux cultures ou tout préjudice causé par la réalisation des études préalables à la réalisation de l’établissement pénitentiaire, et notamment le diagnostic archéologique, seront pris en charge par une convention d’indemnisation spécifique entre l’APIJ et chacun des exploitants, conformément aux dispositions de la loi du 29/12/1982 relative aux dommages causés à la propriété privée pour l’exécution des travaux publics. Les dates de réalisation du diagnostic archéologique ne sont pas encore connues“.

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