Urbanisme | Ile-de-France | 21/03
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Grand Paris : l’intercommunalité forcée échoue à réduire les inégalités est-ouest

Grand Paris : l’intercommunalité forcée échoue à réduire les inégalités est-ouest © Cocoparisienne

Imposée par la loi, la mise en intercommunalité au forceps de l’ensemble de Paris et de sa petite couronne en 2016, dans un double format peu compréhensible pour les citoyens, peine à réduire les inégalités entre territoires. En témoigne le premier rapport thématique de la Chambre régionale des comptes d’Ile-de-France, dédié à la politique d’aménagement sur le périmètre du Grand Paris. Une analyse “simplificatrice” fustige l’un des aménageurs métropolitains.

“Réduire les inégalités entre les territoires qui la composent”, tel était l’un des objectifs assignés par la loi lors de la création de l’intercommunalité du Grand Paris, en 2016.

Avant cette date, ce secteur dense, constitué de Paris et ses trois départements de petite couronne, n’avait pas d’obligation à travailler en intercommunalité. Une association, le syndicat mixe Paris Métropole, rassemblait les communes volontaires pour réfléchir aux grandes problématiques, mais sans caractère contraignant. À l’heure des grandes métropoles mondiales, il s’agissait de se mettre à l’échelle, après avoir écarté l’hypothèse de fusionner Paris avec les trois départements de petite couronne, ces derniers ayant défendu avec vigueur la nécessité de maintenir le lien de proximité pour mener à bien leurs missions essentiellement sociales.

Donner de la cohérence à l’aménagement et aux politiques territoriales, tel était donc l’enjeu de la Métropole du Grand Paris, portée sur les fonts baptismaux le 1er janvier 2016. La nouvelle intercommunalité regroupe 131 communes, dont Paris, l’intégralité des communes des départements des Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis et Val-de-Marne, ainsi que sept communes de la grande couronne (six de l’Essonne, et Argenteuil, dans le Val-d’Oise. L’ensemble pèse 25% du PIB national mais présente l’écart le plus élevé de toutes les métropoles françaises, entre les 10% les plus riches et les 10% les plus pauvres.

Alors que ce gros morceau de 7 millions d’habitants est compliqué à manœuvrer dans le détail, un sous-échelon intercommunal a été créé en parallèle, celui des Établissements publics territoriaux (EPT). Ces derniers n’ont pas, en revanche, de statut d’intercommunalité à part entière, notamment sur le plan des ressources financières propres. Ainsi sont nés douze territoires, regroupant d’anciennes intercommunalités existantes et des villes sans culture intercommunale. Un double échelon intercommunal assez complexe à comprendre pour les citoyens, avec un dénominateur commun : les maires, seuls élus “à portée d’engueulade”, comme ils aiment à le rappeler.

Un millier de projets d’aménagement

Sept ans plus tard, le bilan dressé, sur le plan de l’aménagement, par la Chambre régionale des comptes, est sévère. La Chambre, qui publie pour l’occasion son premier rapport thématique à l’échelle régionale, s’est appuyée sur les synthèses de 23 rapports déjà parus sur les différentes intercommunalités, sociétés d’économie mixtes d’aménagement et autres syndicats intercommunaux. Elle a ainsi recensé un millier de projets d’aménagement, articulant logements, activités économiques et équipements publics, dont 600 en cours. “Ces projets sont un des moyens qui doivent permettre de réduire les inégalités entre les territoires”, souligne la Chambre. Ils comprennent en moyenne des logements sur la moitié de leur surface, de l’activité économique sur 38%, et des équipements publics sur 14%.

Pour la Chambre, plusieurs facteurs sont propices à ce rééquilibrage, comme la construction du métro périphérique Grand Paris Express, les Jeux olympiques, l’obligation de construire 38 000 logements par an à l’échelle métropolitaine et le schéma de cohérence territoriale (Scot) voté par la Métropole du Grand Paris en juillet 2023, pour structurer l’aménagement.

La Métropole peu impliquée dans les grands projets d’aménagement

Mais, constate la Chambre, sur les 1000 projets recensés, seuls 6* ont été déclarés comme opérations d’intérêt métropolitain. Des grands projets structurants comme la zac Rive gauche ou son prolongement au-delà du périph, Ivry Confluences, ou encore la zac Pleyel, n’y figurent pas.

* Les 6 opérations d’intérêt métropolitain
2 opérations existantes : la ZAC des Docks à Saint-Ouen et le pôle gare Noisy-Champs à Noisy-le Grand.
– 4 opérations futures : la ZAC Plaine Saulnier à Saint-Denis ; la poudrerie-Hochaille à Livry-Gargan ; l’opération d’aménagement résultant de l’enfouissement de lignes à haute tension à Villeneuve-la-Garenne ; la résidentialisation du site industriel de la Molette au Blanc-Mesnil.

“En définitive, peu d’opérations sont réfléchies, décidées et réalisées en prenant en compte une stratégie globale, propice à un rééquilibrage du territoire, alors même que l’objectif principal du projet métropolitain était de palier le déséquilibre en termes d’attractivité économique entre l’ouest et l’est de la région parisienne”, pointe la Chambre dans son rapport.

Toujours plus de bureaux à l’ouest

Un manque de cohérence globale qui conduit, par exemple, à laisser perdurer la spécialisation des territoires. “En effet, les surfaces destinées à l’activité économique sont plus importantes là où cette spécialisation est déjà la plus marquée (Plaine Commune ou Paris Ouest – La Défense). Au contraire, là où l’activité économique est la moins implantée, les projets de cette nature sont quasiment inexistants”, constate la Chambre régionale des comptes.

De même, la Chambre note que “les projets en cours concentrent les équipements publics sur les EPT où les revenus disponibles sont les plus élevés.”

Les intercommunalités choisies réussissent mieux à porter l’aménagement

Dans son rapport, la Chambre reconnaît que quelques territoires ont réussi à vraiment s’emparer de l’aménagement, comme Paris, Plaine Commune ou Grand-Paris Seine Ouest (GPSO), tandis que d’autres communes restent maîtres à bord, grâce notamment à des outils comme “les entreprises publiques locales d’aménagement qu’elles ont créées, qu’il s’agisse de sociétés d’économie mixte (SEM) ou de sociétés publiques locales (SPL).” Il en est de même des départements, qui ont pourtant perdu la compétence aménagement. La Chambre note aussi que certains projets très structurants, comme les opérations de renouvellement urbain (Anru), sont restés à la main des communes, du fait de la loi.

À y regarder de près, les territoires pleinement engagés dans l’aménagement, en dehors de la ville de Paris qui a conservé son unité, sont ceux qui étaient déjà en intercommunalité, comme Plaine Commune et Grand Paris Seine Ouest, deux entités qui ont déjà l’habitude de travailler ensemble et historiquement constituées par des villes proches politiquement. Dans les grands territoires, le compromis n’a été possible qu’en assurant à chaque municipalité, seul échelon compris par les citoyens et objet d’un vote au suffrage direct et universel, qu’elle pourrait continuer à s’administrer librement.

Lire à ce sujet : Le Grand Orly Seine Bièvre défend son projet “inter-communal et non supra-communal”

Trop d’acteurs

Au final, la Chambre alerte sur la profusion des acteurs de l’aménagement, notamment des différentes SEM et sociétés de portage foncier, parfois sur un même territoire. Notant que les opérations d’aménagement dans le Grand Paris sont de plus en plus complexes, car elles se tiennent dans un territoire déjà urbanisé, ce qui implique une procédure longue et coûteuse pour récupérer des terrains (enquête publique, expropriations, dépollution…), avec une incertitude de valorisation financière croissante (marché immobilier fluctuant), la Chambre s’inquiète d’un risque financier pour les communes, en tant qu’actionnaires de sociétés dont elles seront responsables des dettes en cas de bilan déficitaire. Un risque accru par la tendance de certaines sociétés à chercher de nouvelles pistes de développement en sortant du seul périmètre de leurs collectivités actionnaires, ou en créant des filiales dont les activités risquent d’échapper au contrôle des élus.

Une métropole récente et corsetée par la loi

Dans sa réponse au rapport de la Chambre régionale des comptes, le président de la Métropole du Grand Paris (MGP), Patrick Ollier, rappelle que “la Métropole est récente, elle existe depuis 2016”, et que “la représentation nationale ne lui a pas confié les mêmes compétences que la plupart des autres métropoles françaises, notamment en matière d’aménagement, compétence partagée avec les Territoires dans un univers qui est largement marqué par l’action des communes.” Et de pointer ainsi la responsabilité du législateur. “La Métropole souhaite qu’il y ait plus de cohérence dans les opérations d’aménagement sur son périmètre et qu’il y ait davantage de lisibilité dans l’action des opérateurs”, convient toutefois Patrick Ollier, indiquant une mission est en cours pour faire le point sur l’ensemble des outils d’aménagement qui interviennent. Confiée au groupement Egis/Finance Consult, elle devrait rendre son rapport d’ici à l’automne 2024. Le patron de la MGP estime, en revanche, que la Métropole joue son rôle de rééquilibrage en intervenant à l’Est.

La Sadev 94 fustige une analyse “simplificatrice”

De son côté, le directeur de la Sadev 94, Mathias Doquet-Chassaing, estime que l’analyse de la Chambre est “simplificatrice” en ne distinguant pas les documents d’orientation comme les schémas directeurs et les plans d’urbanisme intercommunal, élaborés pour donner de la cohérence, et les opérations d’aménagement elles-mêmes. “Il parait ainsi éminemment discutable de mentionner que la preuve de l’échec de la Métropole est donnée par son absence d’engagement dans les opérations d’urbanisme opérationnelle !”, dénonce le directeur qui défend l’action de proximité des différents aménageurs. “L’échelle territoriale choisie par le législateur ne doit pas empêcher l’aménageur de construire « au plus près » des futurs usagers et habitants des quartiers à aménager.”

De même, le directeur insiste sur le rôle structurant de chaque type de collectivité locale, ville, département et région, en fonction de leurs compétences respectives qui les impliquent dans la création d’équipements (lycées, collèges, écoles, routes, équipements culturels et sportifs…). “Ces collectivités demeurent règlementairement associées à la mise en œuvre des politiques publiques d’aménagement et aux opérations de construction conduites sur le territoire. Aussi est-il possible de s’interroger également sur le fait de les priver de toute capacité d’intervention pour des opérations d’aménagement.”

Voir l’intégralité du rapport et toutes les réponses associées

La Chambre régionale prépare un nouveau rapport thématique, sur le logement, à paraître courant 2024.

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