Entreprendre | Seine-Saint-Denis | 04/04
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Seine-Saint-Denis : les entrepreneuses de la Fabrique 621 bravent les obstacles pour créer les cosmétiques de demain

Seine-Saint-Denis : les entrepreneuses de la Fabrique 621 bravent les obstacles pour créer les cosmétiques de demain © JQDC

Difficile de trouver des financements quand on crée sa marque. Encore plus quand on est une femme et qu’on s’engage dans un marché souvent méconnu des investisseurs : les cheveux texturés et les peaux noires. Rencontre avec des entrepreneuses de la Fabrique 621.

Symbolik, ChebHair, Little Nappy Cosmétique, Niir, Inya Ayurveda… Autant de marques de cosmétiques qui comptent bien s’installer sur les meilleures marketplaces. Pour réussir, leurs dirigeantes ont intégré la Fabrique 621, un incubateur d’entreprises de cosmétiques naturels basé à Bondy, crée par Diogou Dramé.

Lire : À Bondy, La Fabrique 621 de Diogou Dramé trace son sillon dans la cosmétique naturelle

Stratégies de financement, recherche de nouvelles textures de produit, création des premiers prototypes, l’incubateur accompagne les entrepreneurs à chaque étape de l’aventure.

Parmi les premiers défis à relever : la recherche de financements. Un parcours d’obstacles en soir, dont elles ont témoigné auprès d’Olivia Grégoire, ministre déléguée aux entreprises, venue à leur rencontre à l’occasion du 8 mars.

“On te réclame des preuves de ton chiffre d’affaires à N+4 ou N+5, alors que tu viens de monter ta structure”

Adiza Traoré, Célia Just Valerius et Ashley Auguste sont respectivement les créatrices de Symbolik proposant des crèmes pour la peau, ChebHair des soins capillaires et Little Nappy Cosmetique des produits destinés aux enfants aux cheveux texturés. Elles expliquent : “Quand tu demandes des financements, on te réclame des preuves de ton chiffre d’affaires à N+4 ou N+5, alors que tu viens de monter ta structure !” Or, le besoin de financement est immédiat pour les entreprises de cosmétiques, surtout au moment du lancement de la marque. “Pour avoir le droit d’écrire ne serait-ce que le mot “hydratant” sur un flacon, il faut obligatoirement passer un test scientifique. Cela coûte 3 000 euros à chaque fois. Pour les grandes entreprises déjà installées, c’est facile. Pour nous, il est beaucoup plus compliqué d’avancer les frais”, déroule Adiza Traoré.

“Je vis dans ma grotte, je suis à fond dans mes projets et j’oublie qu’il y a des aides

Anna Seck, fondactrice de Niir, une gamme de produits pour les cheveux bouclés, travaille seule. Pour elle, partir à la pêche aux financements a toujours été un casse-tête. “Je vis dans ma grotte, je suis à fond dans mes projets et j’oublie qu’il y a des aides. Au bout du compte, je n’ai jamais le temps de les demander”, constate-t-elle. Niir s’est d’abord développée sur les fonds de sa créatrice. En trouvant son public, la marque a fini par autofinancer son développement. “Le premier projet a financé le deuxième. Puis les deux premiers, le troisième. Grâce à ce système, on va bientôt sortir un sixième produit.”

Le lancement d’une marque de cosmétiques s’articule en deux phases. D’abord, le tirage en petite série qui doit alimenter les stands et faire connaître la marque. Puis, la moyenne série, pour alimenter les marketplaces et les distributeurs, stade crucial qui demande des fonds importants. Pour celles qui ne possédaient pas les finances pour se lancer seule, il a fallu ruser pour rassembler la mise de départ. Célia Just Valérius a ainsi fait appel au crowfunding (financement participatif) pour créer sa marque de soins capillaires, ChebHair. Avant même la fin de ses études de commerce, elle a réussi à récolter 150 000 euros auprès d’internautes convaincus de l’utilité de ses produits. “C’est beaucoup, mais en réalité, c’est peu”, relativise-t-elle, toujours à la recherche de financements pour diversifier son offre.

© JQDC
Olivia Grégoire rencontre les entrepreneuse de la Fabrique 621, le 8 mars 2024

Assumer ses cheveux crépus

À l’origine de toutes ces entreprises : la frustration de ne pas trouver un produit adapté à ses besoins. Comme l’explique Chantal Kpdodar, 47 ans, cocréatrice de Inya Ayurveda : “le projet est né de la synthèse de nos problématiques personnelles. Olivier avait les cheveux gras, moi, j’avais les cheveux secs, Mercia ne trouvait pas de produit”. Alors, les trois compères s’associent pour concocter des recettes de shampooing eux-mêmes. Même conclusion pour Charlène Gnahoua : “Une peau noire va réagir différemment dans un milieu occidental. À cause du manque d’humidité, elle risque de peler ou de briller”. D’où sa ténacité à créer Koloré, sa marque de crème pour les peaux noires et métisses. Pour Anna Seck (Niir), l’enjeu était surtout d’avoir une offre de qualité. Comme elle le raconte à la ministre déléguée : “J’ai pensé mon premier produit pour ma fille de trois ans. Un jour, en la coiffant, j’ai vu le logo inflammable sur le flacon d’un produit. Je me suis dit que je ne pouvais pas lui mettre ça dans les cheveux !” Du constat de ces besoins spécifiques, un nouveau marché s’est ouvert aux entrepreneuses.

Leur démarche prend aussi sens au regard de leur vécu. “Plus jeune, j’ai souvent été moquée pour mes traits de visage, la couleur foncée de ma peau et mes cheveux crépus. Quand je suis tombée enceinte, je ne voulais pas que ma fille me ressemble pour ne pas subir les mêmes moqueries”, confie Charlène Gnahoua. Effrayée par la pensée qu’elle vient d’avoir, elle fonde Koloré pour “casser les standards de beauté. ” Hashley Auguste, avec Little Nappy Cosmétique, s’inscrit dans la même tendance. “Je ne connaissais pas mes cheveux, j’ai passé mon temps à les brosser et à les défriser pour rentrer dans les standards.” Depuis, elle a créé une marque destinée aux enfants “pour qu’ils acceptent leurs cheveux”. Célia Just Valérius abonde : “Tous les cheveux sont beaux et l’un des objectifs de ma marque, c’est de le prouver.”

Valoriser les matières brutes

Comme pour Typology ou Ordinary avant elle, les entreprises de la Fabrique 621 suivent un mouvement de fond en cosmétique, qui consiste à revenir au simple, à l’épuré et au brut. La marque de Célia Just Valerius, utilise “des ingrédients 100% naturels” dont le chébé, une plante originaire du Tchad. Aziza Traoré, elle, a concentré ses efforts sur la mise en valeur de produits bios et bruts pour sa marque de soins pour la peau. “Petite, ma mère utilisait des matières brutes comme le beurre de karité, l’huile de cacao ou celle de baobab et j’ai voulu les valoriser” explique-t-elle. “Même si, au début, le consommateur, avait beaucoup de préjugés sur ces matières brutes”. Devant cette démarche, la ministre déléguée acquiesce : “J’ai eu l’occasion d’utiliser du karité brut. Ça n’a rien à voir avec le karité raffiné qu’on a l’habitude d’acheter en magasin. On dirait que ce ne sont pas les mêmes produits !”

La valorisation de ces matières s’est adossé au laboratoire de la Fabrique 621. “Le karité est une matière très versatile qui ne correspond pas à tous les types de peau. Alors, avec Diogou Dramé, on a travaillé à créer une nouvelle texture : le soufflé, qui peut correspondre à tous.”

La difficulté d’être une femme entrepreneuse 

Entreprendre “a quelque chose de grisant”, encourage la ministre déléguée, Olivia Grégoire. C’est un caractère : “Si vous n’avez pas une centaine d’idées par jour en tant qu’entrepreneure, posez-vous des questions ! ” Grisant, certes, mais difficile de s’imposer dans ce monde quand on est une femme, comme le rappelle Diogou Dramé, à l’initiative de la Fabrique 621. “Quand on cherche des financements, malgré l’avancée de notre projet, on remet souvent en question notre légitimité. On nous demande si le projet n’est pas trop grand pour nous, si on va réussir malgré notre vie de famille.”

“Je connais très bien le symptôme de l’imposteur qui fait que les femmes vont parfois moins oser que les hommes”, reconnait la ministre, qui a elle-même fondé son entreprise en 2014. “Mais c’est le genre de chose qui ne se décrète pas. En vingt ans, ça a changé, mais ce sont des clichés qui ont la vie dure et il faudra du temps. On en a encore pour quelques années.” Avant de partir, la ministre déléguée prend l’engagement d’accompagner la candidature de “celles dont le produit est packagé” pour la grande exposition du fabriqué en France qui aura lieu au palais de l’Élysée cette année. “On n’est pas à l’abri que vous soyez sélectionnées !

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