Culture | Val-de-Marne | 27/09
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Street-art en Val-de-Marne : des premiers graffitis aux fresques monumentales

Street-art en Val-de-Marne : des premiers graffitis aux fresques monumentales © FB

En l’espace de quarante ans, le Val-de-Marne s’est constitué un patrimoine de street-art remarquable, avec de nombreuses signatures d’artistes aujourd’hui mondialement connus. Un musée à ciel ouvert où coexistent graffitis posés à la hussarde et œuvres de commandes sur déjà plusieurs générations.

D’abord il y a eu les “writers”, sur les côte est des États-Unis, ces jeunes qui écrivaient leur nom sur les murs des villes, comme pour se la réapproprier, s’y affirmer en tant qu’individu. Un courant qui démarre à la fin des années 1960, facilité par la disponibilité des bombes aérosol, et traverse l’Atlantique pour peupler les murs de Paris et de sa banlieue. “Dans les années 1980, on ne parle pas encore de street-art, il s’agit principalement de tag. Il n’y a pas de message non plus, ce sont des signatures”, explique Sabine Meyer, présidente de l’association Art‘Murs, qui fait découvrir les street-artistes locaux et organise des projets avec eux. Un même nom se retrouve ainsi tagué un peu partout, comme une trace. Ce qui les distingue est leur calligraphie. “Progressivement, s’y ajouteront les ‘perso’ (personnages)”, poursuit Sabine Meyer. A l’intsar des “corps blancs” de Jérôme Mesnager. “Il a peint ses corps blancs un peu partout, près de 10 000 fois !” relate Zig, alias Sigismond Cassidanius, historien et guide-conférencier en street-art avec son association Les arts fleurissent la ville, qui a vécu la période des pionniers dans le Belleville des années 1980.

Cet article s’inscrit dans le cadre d’une série d’articles sur le street-art réalisés avec le soutien de Val-de-Marne Tourisme et Loisirs qui organise un festival dédié au street-art, Phenomen’Art du 11 au 13 octobre prochaine. Voir le programme complet.

Ce nouveau mode d’expression se répand comme le mouvement hip-hop, avec notamment des artistes communs, qui investissent en particulier l’est parisien. “Sur le terrain vague de la Chapelle, on va retrouver tous les vandales, les NTM, Joey Starr et compagnie. Ils sont d’abord danseurs puis se tournent vers le tag et rejoignent les pionniers comme Bando, Shoe, Mode 2”, se souvient Zig.

Ce mouvement de la nouvelle génération n’est toutefois pas le premier à s’emparer des murs pour s’exprimer. L’idée est vieille comme les peintures rupestres. À Paris, après mai 1968, l’artiste Zloty (Gérard Zlotykamien) peint ses silhouettes dans le trou des Halles, tandis qu’Ernest Pignon Ernest installe lui ses gisants de la Commune de Paris sur les marches menant à la basilique du Sacré-Cœur de Montmartre, en 1971.

Ces démarches qui ne s’inscrivent pas dans les mêmes mouvements, convergent dans la rue et contribuent à faire jaillir des styles très différents. Tag, calligraphie, pochoir, dessins… un empilement de styles et d’histoires, suffisamment riches pour constituer rapidement une culture du “street-art”. Dès le milieu des années 1980, l’esthétique de ce mouvement commence être reconnue par les pouvoirs publics, en parallèle d’une chasse aux tags non sollicités, notamment sur les rames de métro et mobiliers urbains. Des premières commandes publiques encouragent ainsi ces nouveaux artistes et les galeristes ouvrent l’œil.

Dans le Val-de-Marne, Fontenay-sous-Bois est l’une des premières communes à passer commande publique pour habiller un mur de l’avenue du Maréchal Joffre, à l’occasion du bicentenaire de la Révolution, sur le thème de l’amitié entre les peuples. Développée sur 259 mètres de long et 1,50 m de haut, cette fresque géante reconnait ainsi officiellement la crew (équipe de street-artistes) fontenaysienne, UTP (Underground Tribal Painterz). Un collectif qui rassemble Papa Mesk, Pict, Ranx, Epic, Number 6, Pop aka DanyDan, Move, Reas, Hem aka Yo! et encore Moshe. Certains d’entre eux, comme le Fontenaysien PapaMesk, qui a poursuivi ses recherches esthétiques autour de la calligraphie, vont ensuite transposer leur art sur d’autres supports, notamment des toiles. Les années suivantes, d’autres lieux de la ville se prêtent aux expressions des street-artistes locaux. Des expositions les mettent aussi à l’honneur, notamment dans le cadre du festival Art Cité, lancé en 2001 sous l’égide de Gregor Podgorski.

© Chloé Bergeret
Fresque réalisée par PapaMesk en 2021 sur un tiers-lieu d’urbanisme transitoire, La Grange, à Fontenay-sous-Bois

À Vitry-sur-Seine, la commande publique artistique est aussi une vieille tradition. Ce fut l’une des premières communes à appliquer le 1% artistique, dès le début des années 1960, permettant de consacrer 1% du budget d’un équipement à la création d’une œuvre in situ. Cette forme plus académique d’art visible de la rue, va rapidement croiser les démarches spontanées des graffeurs, lesquels répondront ensuite régulièrement à des commandes publiques. Parmi les pionniers locaux : le writer Brok, qui grandit à Vitry et investit ses murs dans les années 1990. Il travaillera par la suite sur commande à plusieurs occasions. (Voir en lien l’exemple d’une réalisation sur des postes techniques d’une résidence HLM, repérée par le site Street-Heart qui chasse les fresques pour les donner à voir) Autodidacte, adepte du wild style, Babs, natif de Vitry, commence aussi à taguer dans sa ville à la fin des années 1980 avant de rejoindre le crew 3HC. À la même époque, on peut aussi croiser Meushay et ses petits personnages, les Meushons. “Ces artistes ne sont plus à Vitry mais ont commencé dans cette ville. Par la suite, des artistes sont venus s’exprimer à Vitry, qui n’ont pas du tout démarré par le tag”, explique Sabine Meyer.

En 2009, c’est Christian Guémy, alias C215, qui installe son atelier dans la ville, où il restera une dizaine d’années. Le temps de peupler les rues de nombreux portraits de personnalités historiques ou actuelles, qui ont marqué la société, de Zinédine Zidane à Marie Curie. “C215, c’est notre peintre mémoriel, résume Zig. C’est l’un des rares à peindre avec les ponts, à se servir des raccords entre les espaces vide. C’est le seul qui fait cela, on le reconnaît au premier coup d’œil. À Vitry, il a invité des quantités de signatures.”

© C215
Portrait du compagnon de la libération Jean Cavailles par C215 dans le cadre d’une série réalisée en résidence à la prison de Fresnes (Voir notre reportage)

Dans cette vaste commune riche en friches et en pleine mutation urbaine, de nombreux artistes viendront laisser leur trace, de manière spontanée ou sur commande, comme l’immense guerrier Bantu dessiné par Kouka de face et de profil sur deux pignons d’immeuble, à proximité du MacVal, accompagné depuis par une autre fresque géante du libanais Potato Nose. De quoi conférer à Vitry son qualificatif de “capitale du street-art”, avec plusieurs centaines d’œuvres à ciel ouvert. Parmi ceux qui y ont fait leurs armes, figurent aussi Kashink, la street-artiste qui ne sort jamais sans se dessiner une fine moustache, ou encore Bebar et son univers ultra coloré, né en 1993 et grandi à Vitry avant de faire les Arts Décos à Paris puis la Parsons School à New York, Alice Pasquini…

Aujourd’hui encore, les créations foisonnent, de manière spontanée ou à l’occasion de performances, ou de résidences d’artistes. Dans les années 2010, ce sont ainsi les artistes Philouwer, ancien infirmier qui s’est entièrement dédié au dessin après les attentats de janvier 2015, ou encore Artis et Avataar, qui ont recouvert les murs.

Dans le Val-de-Marne, Vitry-sur-Seine est toutefois loin d’être la seule à abriter des œuvres désormais célèbres. Dans son sillon, Ivry-sur-Seine, où s’est installé C215 et où Ernest Pignon Ernest dispose de son atelier pour les œuvres XXL, Le Kremlin-Bicêtre, Arcueil, Cachan, Gentilly… prolongent ce vaste musée, faisant la jonction avec le 13e arrondissement. Avec des artistes locaux comme Pancho Quilici à Arcueil, Quentin Chaudat à Cachan, Nebay au Kremlin-Bicêtre

Plus au sud, Orly a aussi vu grandir une des pionnières du street-art, Miss Tic, dans la cité des Aviateurs. La pochoiriste, qui a commencé à recouvrir les murs de Paris dans les années 1980 avant d’acquérir une renommée internationale. En 2007, l’artiste est revenue dans sa ville d’enfance pour réaliser une fresque géante de Léo Ferré, rue Louis Aragon, sur commande de la ville.

À Créteil, l’encouragement de cette forme d’expression a pris forme dans les années 2010, en s’appuyant sur des artistes locaux comme Youl, Mirk, Nubs et Henry Hang. Avec une première commande du bailleur social Valophis sur le parking des Emouleuses, coup d’envoi de nombreuses initiatives de médiation culturelle. À chaque ville ses personnalités. À Charenton-le-Pont encore, c’est Tom Brikx qui a augmenté les rues de ses portraits en Légo, progressivement passé, lui aussi, d’un parcours de tagueur de graffitis à la hussarde, à une autre forme d’expression artistique. De Villeneuve-Saint-Georges à Vincennes, en passant par Champigny-sur-Marne ou Bonneuil, le street-art s’est aujourd’hui épanoui dans de nombreuses communes du département, mêlant toujours initiatives spontanées et œuvres de commandes, dans le cadre de résidences et de médiation culturelle notamment. Avec des signatures que l’on retrouve d’un lieu à l’autre, à l’instar de C215 qui a laissé sa trace sur les boites aux lettres de Vincennes en y représentant des personnalités américaines, à l’occasion de l’édition 2016 du festival America.

Les “street-artistes restent rarement au même endroit toute leur vie”, note Sabine Meyer. “Il y a souvent un ancrage de tel ou tel artiste à une ville, mais il n’y a pas de notion de territoire, plutôt de trajectoire”, résume Zig.

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