Depuis trois ans, quelque 200 travailleurs sans-papiers, dont une centaine dormaient sur place, se relayaient sur un piquet de grève devant l’agence Chronopost d’Alfortville. Employés dans les derniers échelons de la chaine de sous-traitance, ils réclamaient leur régularisation en bonne et due forme, accompagnant cette action de manifestations régulières à la préfecture du Val-de-Marne. Ce piquet de grève a été évacué ce jeudi 31 octobre, les travailleurs sans-papiers, eux, comptent bien continuer à donner de la voix.
Après un premier piquet de grève de 7 mois en 2019, qui avait permis aux manifestants de régulariser une trentaine de personnes, une nouvelle occupation avait démarré fin 2021, toujours devant l’agence Chronopost d’Alfortville. Un lieu symbolique choisi pour désigner les commanditaires, en début de chaîne, des sous-traitants de sous-traitants qui emploient des travailleurs sans papiers.
Au printemps 2023, 32 dossiers ont été de nouveau déposés au cabinet de la préfète. Sur ces 32 dossiers, 15 ont été admis au séjour, 9 sont toujours en cours d’instruction après des demandes de pièces complémentaires et 8 dossiers ont été refusés. “L’examen des dossiers individuels a été mené conformément aux engagements pris par l’État en novembre 2023. En effet, ces régularisations ont bénéficié d’une procédure exceptionnelle. Tout autre dossier devra être présenté et instruit individuellement dans le cadre du droit commun. Dans ces conditions, l’État en appelle à la responsabilité de chacun pour que la mobilisation sur la voie publique prenne fin“, indiquait la préfecture à ce sujet en mars 2024, réclamant la fin du piquet de grève.
“De notre point de vue, on estime que les 17 sont régularisables, et nous regrettons que ces dossiers aient été transférés dans le droit commun, en rupture avec ce qui avait été prévu avec le cabinet de la préfecture en 2023”, dénonce Christian Schweyer, porte-parole du Collectif des travailleurs sans papiers de Vitry, très impliqué dans cette lutte au niveau du Val-de-Marne.
De son côté, la ville d’Alfortville a aussi estimé qu’il était temps de mettre fin au piquet de grève, organisant une première réunion à ce sujet en mars 2024, pour demander la levée du piquet fin mai, puis une seconde réunion en août, pour exiger le départ avant le 31 octobre.
“On va continuer d’accompagner et de soutenir le mouvement politiquement pour avoir gain de cause”, promet Luc Carvounas, maire PS d’Alfortville, pour qui il ne fait pas de doute que “l’État devrait régulariser ces travailleurs sans papiers qui étaient en première ligne pour le portage du dernier kilomètre, pendant le confinement.” Mais, poursuit l’élu, “nous avons constaté un essoufflement du piquet de grève. Après bientôt trois ans, il devenait invisibilisé et cette méthode n’était donc plus la meilleure.”
Pour la commune, cela constituait par ailleurs un coup, “300 000 euros” sur la période, chiffre l’édile, avec notamment la location et l’entretien de quatre toilettes à proximité. Un budget porté par la ville, seule, insiste le maire, tout en rappelant aussi le soutien des associations locales.
Alors que, du côté des travailleurs sans papiers, le compte n’y était toujours pas, pour lever le piquet, la situation s’est donc accélérée avec un arrêté d’expulsion.
“Nous avons été surpris”, regrette Christian Schweyer, qui indique qu’une centaine de personnes dormaient toujours sur place, dont plusieurs avaient “perdu leur matelas” là où elles étaient hébergées auparavant, depuis le temps qu’elles avaient rejoint le piquet, et devaient donc trouver à se reloger. “L’arrêté a été affiché comme il se doit, 48 heures avant et nous avions prévenu dès la fin août“, plaide Luc Carvounas.
Du côté des travailleurs sans papiers, l’objectif est désormais de poursuivre la mobilisation. Une manifestation, en réaction à l’expulsion du 31 octobre, était organisée ce mercredi 6 novembre, d’Alfortville à la préfecture. Et de nouvelles actions sont en réflexion.
#Créteil, 6 novembre 2024
— Cybèle 🔻⏚🇵🇸🇳🇨 (@CybeleSud) November 6, 2024
📢 La honte, la honte, à ce pouvoir, qui fait la guerre aux immigrés !
Manifestation contre l'expulsion du piquet de @Chronopost d'Alfortville et pour la régularisation des camarades Sans Papiers en lutte depuis 2021 !
Le combat continue ✊🏿✊🏽✊🏾 pic.twitter.com/KZDpoOFKav
En attendant, le travail en sous-traitance de sous-traitance, de manière précaire, se poursuit. “Dans le secteur du nettoyage, les personnes qui acceptent les coupures horaires sont les travailleurs sans papiers”, observe Christian Schweyer. Commence alors le parcours du combattant, pour obtenir une attestation de concordance de l’employeur après avoir utilisé un alias pour avoir les premiers bulletins de paie. “Certains jouent le jeu, d’autres pas. Et ensuite, encore faut-il que les préfectures acceptent les attestations de concordance, ce n’est pas le cas de toutes.” Dans d’autres cas, la situation est encore plus précaire, lorsque le travail, notamment dans le bâtiment, n’est carrément pas déclaré.
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