Il y a d’abord eu Miss Tic la pionnière, un peu seule parmi des premiers street-artistes hommes, puis une nouvelle génération de femmes ont osé prendre la rue. Une conquête de l’espace public, de la reconnaissance, et aussi une revendication sociétale plus féministe, en pleine effervescence. Le street-art au féminin prend sa place.
D’abord pratiqué sans autorisation, souvent la nuit dans des rues désertes, le graffiti, avant de se muer en street-art, a impliqué un mode opératoire peu propice à une large participation féminine, pour qui la peur d’une mauvaise rencontre constituait un obstacle majeur. “Sortir la nuit, dans un espace qui n’est pas sécurisé, est rédhibitoire”, résume Julie Marangé, fondatrice de l’association Feminists in the city, qui rappelle la place des femmes dans l’histoire des arts dans le cadre de visites et conférences.
Territoire
“Il y a aussi parfois une notion de territoire. Des femmes ont pu faire face à la violence verbale d’hommes qui considéraient que ce n’était pas leur territoire”, ajoute Julie Marangé. Alors que des marches exploratoires de femmes se développent en ville, pour appréhender les points qui contribuent à un sentiment d’insécurité ou de malaise dans l’espace public, cette expression sur les murs de la cité fait partie des sujets, comme cela s’illustra il y a quelques années lors d’une marche à Fontenay-sous-Bois, dans l’ancienne galerie marchande des Larris, aux murs recouverts de grands portraits d’hommes. “Y a que des mecs! Quand je passe devant, ça me hérisse!”, commentait une habitante. Un peu plus loin, des collages “Merci Simone”, de ceux qui ont fleuri après la mort de l’ancienne ministre à l’origine de la dépénalisation de l’avortement, semblaient donner la réplique. (Voir le reportage)
Cet article s’inscrit dans le cadre d’une série sur le street-art réalisés avec le soutien de Val-de-Marne Tourisme et Loisirs qui organise un festival dédié au street-art, Phénomen’Art du 11 au 13 octobre. À cette occasion, une balade street-art et féminisme sera notamment organisée. Voir le programme complet.
Une discrimination classique dans le monde de l’art
Dans le prolongement de cette expression spontanée dans la rue, plutôt masculine, la commande d’œuvres à des street-artistes s’est majoritairement limitée à des hommes. “Cela commence à se féminiser pas mal, mais il reste beaucoup d’événements avec une majorité d’hommes. Dans les expos type Urban Art Fair, il y a souvent quelques femmes sur une centaine d’artistes. Il n’y a pas encore beaucoup de femmes qui exposent en galerie”, constate la street-artiste Emyart’s, pour qui ce constat n’est toutefois pas spécifique au street-art. “Moi je viens du luxe et c’était un peu pareil. Dans les ateliers de haute joaillerie, c’est très masculin. En général, cela reste plus difficile pour les femmes dans le milieu artistique”, estime-t-elle. “Les commandes concernent encore majoritairement les hommes, notamment les grandes œuvres sur les grands immeubles”, abonde Julie Marangé. “Chez les femmes, perdure aussi le syndrome de l’impostrice”, note encore Julie Marangé.
La pionnière Miss Tic
Une pionnière a montré la voie, Miss Tic, qui a d’abord apposé ses pochoirs sans autorisation, et a même été condamnée pour cela, avant de travailler avec l’accord des villes ou carrément sur commande. L’artiste, grandie à Orly dans la cité des aviateurs, a ainsi été sollicitée pour déployer deux fresques XXL de Léo Ferré sur une résidence étudiante, en 2007. Fin 2023, la ville a inauguré une allée Miss Tic au parc des Saules, en hommage à la plasticienne et poétesse, décédée en 2022.
Petit à petit, des street-artistes femmes commencent à laisser leur trace, être reconnues. “A Vitry-sur-Seine, passent Kashink, Zabou, Aday et ses lapins, Alice Pasquini (photo de une)…” cite Zig (Sigismond Cassidanius), historien et guide-conférencier en street-art avec son association Les arts fleurissent la ville
Prise de conscience
Alors que de nombreuses villes ont pris conscience de la faible parité des noms de rue et d’équipements publics, opérant plus ou moins progressivement un rééquilibrage, la commande d’œuvres de street-art évolue aussi pour faire plus de place aux femmes. Ces dernières s’organisent aussi pour exister dans le paysage, avec des initiatives comme l’association “Sortir les femmes de l’ombre”, impulsée par Lilyluciole. Des initiatives culturelles vont même plus loin. “L’une des éditions du festival Art urbain de Grimaud a été entièrement dédié aux femmes artistes”, cite Emyart’s.
Dans le département, Bonneuil-sur-Marne a montré la voie en organisant une exposition entièrement consacrée au street-artistes femmes, en 2022, en partenariat avec l’association Art’Murs. Douze artistes, dont les françaises Ami imaginaire, Carole B, Loraine Motti, Nadege Dauvergne, Noon, Parvati et Yoldie y étaient invitées.
Du féminin au féminisme
Le mouvement me-too va pour sa part contribuer à l’expression d’un street-art plus féministe, revendicatif, observe Julie Marangé. Avec, à Paris, des artistes comme Wild Wonder Woman (voir ci-dessous), Oja.officiel, Loriot_The_House, Carole B…
Mais rien n’est jamais gagné. “Les œuvres féministes sont souvent saccagées”, constate la guide conférencière.
N’empêche, le mouvement est bien là, qui ne semble pas prêt de s’arrêter. Parmi les derniers gestes en date, l’hommage à Gisèle Pélicot, rendu par la street-artiste Maca à Gentilly, avec Détash qui a fait le lettrage.
“C’est avec la rage au ventre, la larme à l’œil mais surtout la détermination au cœur qu’avec Détash, on a décidé d’apporter notre soutien à Gisèle Pelicot, mais aussi à toutes les victimes de viol et de tentatives de viol”, a ainsi motivé l’artiste, après avoir réalisé cette fresque devant le panneau “Rue de la Paix”.
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